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Ainfi, celui qui, après avoir rempli un canevas de pantomime, nous dira que fa pièce eft faite pour être jouée & non pour être lue, se placera lui-même dans le nombre des compofiteurs de ballets.

Le fpectacle n'eft qu'un moyen de l'éloquence poétique ; & quoique fon objet immédiat foit d'amufer, de plaire, d'émouvoir, ce n'eft point encore là fa fin ultétieure: cette fin eft de renvoyer le fpectateur plus éclairé, plus fage, meilleur, s'il eft poffible, au moins plus riche de pensées & de fentimens vertueux.

Le plaifir d'être ému ou réjoui, n'est

que

le miel dont on arrofe le bord du vase où eft contenue la liqueur falutaire. Un peuple enfant fuce le miel, & s'en tient là. Un peuple raisonnable veut autre chose qu'un amufement ftérile & frivole. L'un va rire à une mauvaise farce, ou s'attendrir à un mauvais drame : l'autre veut dans le ridicule une inftruction qui l'avertiffe, une leçon qui le corrige, au moins une peinture ingénieuse & vraie, qui, en flattant fa malignité, ai

guile

guife fon efprit & perfectionne fa raison. Il veut de même dans le pathétique un fpectacle qui laiffe des impreffions utiles; qui lui élève l'efprit & l'ame; qui l'occupe long-temps après, de fouvenirs intéreffans, de réflexions fages, ou de grandes idées, en un mot, qui l'inftruise en même temps qu'il l'attendrit.

AFFECTATION. Manière trop étudiée, trop recherchée de s'exprimer : vice ordinaire aux gens qu'on appelle beaux parleurs.

L'affedation eft dans la pensée, dans l'expreffion, dans le choix des mots, des tours, ou des images. Quand on a l'idée de l'affectation dans la contenance, dans la démarche, dans la parure, on a l'idée de l'affectation dans le ftyle.

L'affectation eft quelquefois jusques dans le foin trop marqué d'être naturel, dans la familiarité, dans la négligence. L'affectation de Pline, de Voiture, de Balzac, de Le Maître, de Fontenelle, de la Motte, n'est pas la même.

Tome I.

F

Voiture, en parlant d'une expreffion recherchée de Pline le jeune, «Ne m'avouerez-vous pas, dit-il, que cela est d'un petit efprit, de refufer un mot qui fe présente & qui est le meilleur, pour en aller chercher, avec foin, un moins bon & plus éloigné » ?

Cette critique femble annoncer l'homme du monde le plus naturel dans fa façon de penser & d'écrire. C'est pourtant ce même Voiture qui, écrivant à mademoifelle Paulet, qu'il s'eft embarqué fur un navire chargé de fucre, lui dit que, s'il vient à bon port, il arrivera confit, & fi d'aventure il fait naufrage, il que, aura du moins la confolation de mourir en eau douce. Le maréchal de Vivonne difoit à fon cheval, au paffage du Rhin: Jean le Blanc, ne fouffrez pas qu'un général des galères foit noyé dans l'eau douce. Mais ceci eft de meilleur goût.

C'est ce même Voiture qui écrit à une femme: Je crois que vous favez la fource du Nil; & celle d'où vous tirez toutes les chofes que vous dites, eft

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Beaucoup plus cachée & plus inconnue. C'est lui qui dit de Balzac : Il a inventé un potage que j'eftime plus que le panégyrique de Pline, & que la plus longue harangue d'Ifocrate.

C'est lui qui, félicitant Godeau, des fleurs qui naiffent dans fon efprit, lui dit qu'il en a reçu un bouquet fur des bords où il ne croît pas un brin d'herbe. Et il ajoute : L'Afrique ne m'a rien fait voir de plus nouveau que vos ouvrages? en les lifant à l'ombre de fes palmes, je vous les ai toutes fouhaitées, & en même temps que je me confidérois avoir été plus avant qu'Hercule, je me fuis vu bien loin derrière vous.

C'est ce même Voiture qui écrivoit à Coftar, qu'il vouloit s'abftenir de recevoir de fes lettres, à caufe qu'on étoit en carême, & que, pour un temps de pénitence, c'étoient de trop grands feftins. Pour vous, vous pouvez fans ferupule recevoir ce que je vous envoie ajoutoit-il; à peine ai-je de quoi vous faire une légère collation. . . . Je ne

vous fervirai que des légumes ; & dans le même fens figuré, vous faites des fauces avec lesquelles on mangeroit des cailloux.

Comment le même homme qui, dans fon ftyle, emploie des tours fi recherchés, des jeux de mots fi étudiés, des rapports fi finguliers & fi faux entre les idées, en un mot, une plaifanterie fi peu naturelle & fi froide, comment peutil être bleffé de l'affectation de Pline le jeune, mille fois moins affecté que lui? En voici la raison.

L'affedation de Voiture n'étoit pas celle qu'il reprochoit à Pline: il ne voyoit dans celui-ci que la recherche de l'expreffion, fans même être bleffé du tour antithétique & artificiellement compaffé que Pline avoit dans fon éloquence. Mais fi Pline avoit lu Voiture, il eût été blessé du rapport forcé des idées & des images qu'il emploie, & fur-tout de la peine qu'il fe donne pour traiter familièrement les grands fujets, & plaifamment les chofes les plus graves.

Balzac, dont l'affectation est encore

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