celui qui prodigue les richeffes du style avec celles de la penfée. Cette rare félicité, fi j'ofe m'exprimer ainfi, règne dans le ftyle de la Fontaine & dans celui d'Ovide. Mais l'abondance de la Fontaine eft celle de la nature dans fa beauté fimple, naïve, & variée à l'infini: elle eft d'autant plus merveilleufe, qu'elle naît de fujets que l'on croiroit ftériles, & qu'elle en naît fans l'effort du travail: celle d'Ovide fans être plus pénible, tient de l'art, & va jufqu'au luxe. Des différentes faces fous lesquelles Ovide préfente une penfée, ou des nuances variées qu'il démêle dans un fentiment, chacune plairoit, fi elle étoit feule : mais la foule en eft fatigante; & à côté de la richeffe on aperçoit enfin l'épuisement. La Poéfie allemande furabonde en détails dans les peintures phyfiques; la Poéfie italienne, dans l'analyse des fentitimens donne fouvent dans le même excès. La paffion donne lieu à l'abondance du ftyle, dans les momens où l'ame fe détend & fe foulage par des plaintes: Les foibles déplaifirs s'amufent à parler. Mais lorsque le cœur eft faifi de douleur, enflé d'orgueil ou de colère, la précifion & l'énergie en font l'expreffion naturelle. Il arrive cependant quelquefois que l'abondance contribue à l'énergie, comme dans ces vers de Didon : Sed mihi vel tellus optem priùs ima dehifcat, On voit là une femme qui fent fa foibleffe, & qui, tâchant de s'affermir par un nouveau ferment, le fait le plus inviolable & le plus effrayant qu'il lui eft poffible: ainfi cette redondance de style, Pallentes umbras Erebi, noctemque profundam, (a) «Que fous mes pas la terre entr'ouvre ses abîmes, & que d'un coup de foudre le tout puiffant maître des Dieux me précipite au séjour des ombres, des pâles ombres de l'Erèbe, & dans la profondeur de l'éternelle nuit, ô Pudeur, avant que je t'oublie, & que je viole tes lois ». eft l'expreffion très-naturelle de la crainte qu'elle a de manquer à sa foi. Il en eft de même, toutes les fois que la paffion s'accroît à mesure qu'elle s'exhale: comme dans les imprécations de Didon & de Camille dans les Horaces; comme dans les protestations que fait Achille, au 9o livre de l'Iliade, de ne jamais se laisser fléchir. Quand le caractère de celui qui parle est austère & grave, l'expreffion doit être pleine, forte, & précise. Fernand Cortès, à fon retour du Mexique, rebuté par les miniftres de Philippe II, & n'ayant pu approcher de lui, fe préfente fur fon paffage & lui dit: Je m'appelle Fernand Cortès: j'ai conquis plus de terres à Votre Majefté, qu'Elle n'en a hérité de l'empereur Charles-Quint fon père ; & je meurs de faim. Voilà de l'éloquence. Merville, évêque de Chartres, en de◄ mandant au feu roi quelque argent pour les pauvres de fon diocèfe, dans une grande cherté de grains, lui dit : Sire, vous vivez dans l'abondance, & vous ne connoiffez pas la famine; mais la famine amène la pefte, & la pefte eft pour tout le monde. C'est encore là de l'éloquence fans aucune amplification. L'entretien de Caton & de Brutus dans la Pharfale, feroit fublime s'il n'étoit pas diffus. Lucain étoit jeune, & l'ambition d'un jeune homme eft d'étonner en renchériffant fur lui-même. Le comble de l'art eft de s'arrêter où s'arrêteroit la nature. Virgile & Racine font des modèles de cette fobriété ; Homère & Corneille n'ont pas ce mérite. Par-tout où la Philofophie eft fufceptible d'éloquence, elle permet au style une abondance ménagée. Voyez Plutarque exprimant le délire & les angoiffes de l'homme fuperftitieux. Voyez, dans l'Hiftoire naturelle, toutes les richeffes de la langue, employées à décrire la beauté du paon & la férocité du tigre. Mais en général le style philofophique veut être plein, clair, & précis. Lycurgue vouloit qu'on accoutumât les enfans, par un long filence, à avoir la repartie vive & aiguë. Car, ajoute Plutarque, comme la débauche rend les hommes inféconds & ftériles, l'intempérance de la langue rend de même le discours infipide & vain. Paroles fimples & d'un grand poids, vivacité piquante, qui partoit comme un trait, & qui alloit droit au but ce fut l'éloquence lacédémonienne. Le genre oratoire eft celui où les richeffes de la pensée & du ftyle peuvent fe répandre le plus abondamment. Voyez AMPLIFICATION. Les anciens orateurs en aimoient l'excès, même dans leurs disciples. M. Antoine difoit de l'un des fiens: Hunc ego (Sulpicium) cum primùm, in caufa parvula, adolefcentulum audivi... oratione celeri & concitatâ ( quod erat ingenii), & verbis effervefcentibus & paulo nimium redundantibus (quod erat ætatis); non fum afpernatus. Volo enim fe efferat in adolefcente fecunditas : nam faciliùs ficut in vitibus, revocantur ea quæ fefe nimium profuderunt, quam, fi nihil valet materies, nova farmenta culturâ excitan |