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bles. Celles qui paffent par les yeux, font vives, foudaines, rapides, mais par-là même fugitives. La penfée a des accroiffemens; la fenfation n'en a pas l'une germe dans les efprits, l'autre eft ftérile & infructueufe. Les yeux n'introduisent que des fenfations; l'oreille transmet des pensées. Enfin les paffions les plus pittorefques & les plus remuantes ne font pas toujours celles d'où l'éloquence tire fes plus beaux mouvemens, fes plus belles gradations, fes développemens les plus intéreffans, fes traits les plus fublimes. Or c'est dans cette fécondité de l'action dramatique que fa beauté réfide; & c'est là ce qui la diftingue de l'action pantomime, qui ne parle qu'aux yeux.

Un mouvement groffier de jaloufie, de dépit, de fureur, peut s'exprimer fans équivoque par le feul gefte & le jeu du vifage. Mais ces fucceffions graduées, ces réflexions, ces retours, ces contrastes, ces mélanges de paffions, en un mot, cette analyse du cœur humain, qui fait la beauté inimitable des rôles de Didon,

d'Ariane, de Phèdre, d'Hermione, &c. tout cela, dis-je, n'est pas fait pour les yeux; & c'est pourtant là le fublime & le propre de l'action. Qu'on la réduife en pantomime, il n'y a plus rien que de commun. Aux yeux, la Phèdre de Racine feroit la même que celle de Pradon : elle feroit bien pis encore; elle feroit la Phèdre de tel & de tel fpectateur, qui, en s'expliquant le jeu muet de l'actrice, lui prêteroit les mœurs, fes fentimens, & fon langage.

On a pu voir que, dans le ballet des Horaces, tout le génie de Corneille étoit perdu. Aucun des fentimens, ni d'Horace le père, ni d'Horace le fils, ni de Camille, n'étoit rendu nettement, ni ne pouvoit l'être. Affurément ce n'est pas que l'action ne foit vive & tragique, furtout depuis la scène du qu'il mourût, jusques à la mort de Camille. Mais le moyen d'exprimer par le gefte les mouvemens de l'ame du vieil Horace & de fa fille? La pantomime eft un canevas que chaque fpectateur remplit dans fa penfée. Or,

quand le parterre feroit plein d'hommes de génie, & d'un génie égal à celui de Corneille, ils feroient encore loin de suppléer à la méditation du poète dans le filence du cabinet. Il en eft de même de la Comédie. Que feroit-ce que l'action muette du Mifanthrope, & même du Tartuffe? On exprimeroit dans l'Avare l'enlèvement de la caffette & le désespoir d'Harpagon; mais fa fcène avec Euphrofine, mais fes perplexités fur le dîner qu'il doit donner à Marianne, mais l'artifice qu'il emploie pour tirer de son fils l'aveu de fon amour, mais leur rencontre chez l'ufurier; font-ce-là des jeux de théâtre ? & cependant c'eft de l'action. Rien de plus mouvant fur la fcène que le comique efpagnol & italien; Molière y renonça dès qu'il fe fentit du génie. Il reconnut que l'action comique tiroit fa force & fa beauté des mœurs ; & que, pour faire rire les honnêtes gens, c'étoit à l'efprit qu'il devoit s'adreffer, moins par les. yeux que par l'oreille.

Le but de l'action dramatique, fon uti

lité, fon attrait, fon intérêt durable, eft de corriger les mœurs par l'imitation des mœurs: c'est là le grand fruit du spectacle; & fans cela le plaifir qu'on y éprouve, feroit puéril & momentané.

La belle contexture de l'action dramatique eft donc un enchaînement de fituations, qui donne lieu à mettre en évidence ou le danger de nos paffions, ou le ridicule de nos foibleffes, de nos travers, & de nos vices. Or tout cela demande des développemens que le gefte n'exprime point. Qu'on fe rappelle les plus belles fcènes de l'un & de l'autre théâtre : c'eft l'éloquence qui en fait le prix ; & c'eft la fituation morale qui eft la fource de Péloquence. C'eft ce que ne fentoit pas celui qui, après la déclaration de Phèdre à Hippolyte, difoit à fon voifin: Voilà bien des paroles perdues. Ce mot renferme tout le fyftême de ceux qui mettent la pantomime à la place de l'éloquence des paffions. Ils ont choifi le genre qui leur étoit le plus commode : car il en eft de l'art dramatique comme de l'art oratoire.

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Où domine la pantomime, dit Aristote, Pélocution demande peu de foin. Mais avec ce talent de parler aux yeux, on peut être encore un médiocre orateur & un mauvais poète.

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Je ne dis pas que la même action ne puiffe en même temps parler aux yeux &à l'efprit : fi elle réunit ces deux moyens, l'impreffion n'en eft que plus vive c'eft peut être un avantage qu'on a trop fouvent négligé. Mais je dis que le jeu de théâtre est, comme la parole, une façon de s'exprimer; que l'un rend ce que l'action a de plus matériel, de plus com& de plus vague; l'autre, ce qu'elle a de plus fpirituel, de plus noble, de plus exquis; que ni l'un ni l'autre de ces deux fignes ne doit être pris pour la chofe, c'està-dire, pour l'action même ; & que, s'il faut choifir, ou d'un fpectacle plus intéreffant à la vue qu'à la penfée, ou d'un fpectacle plus intéreffant à la pensée qu'à la vue, il n'y a point à balancer. Le premier aura fon fuccès, mais le fuccès de la pantomime, après laquelle il ne reste rien.

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