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vue du rivage de Troye, dont la cendre fume encore. Quelle carrière pour le génie du poëte !

Aux incidens naturels qui peuvent retarder tour à tour & favorifer l'entreprise d'Orefte, ajoutez la haîne des dieux ennemis du fang d'Agamemnon, la faveur des dieux qui le protègent, les furies attachées aux pas d'Orefte, & qui viennent l'agiter toutes les fois qu'il veut s'oublier dans les plaisirs ou dans le repos: tous ces agens furnaturels vont mêler à l'action du poëme un merveilleux déjà fondé fur la vérité relative & adopté par l'opinion.

Cependant Thoas, épouvanté par la voix des dieux, qui lui annonce qu'un étranger lui arrachera le fceptre & la vie, Thoas ordonne que tous ceux que leur mauvais fort ou leur mauvais deffein ameneront dans la Tauride, foient immolés fur l'autel de Diane. Iphigénie en est la prêtreffe; elle a horreur de ces facrifices; & après avoir employé tout ce que l'humanité a de plus tendre, & la religion

Tome I.

E

de plus touchant, pour fléchir l'ame du tyran: « Non, lui dit-elle, Diane n'est point une divinité fanguinaire : & qui le fait mieux que moi » ? Alors elle lui raconte comment, deftinée elle-même à être immolée fur fon autel, elle en a été enlevée par cette divinité bienfaifante. «Jugez, conclut Iphigénie, fi Diane fe plairoit à voir couler. un fang qu'elle ne demande pas, puisqu'elle n'a pu voir répandre le fang qu'elle avoit demandé par la voix même des oracles ». Le tyran perfifte. Orefle & Pilade abordent dans fes états ils font arrêtés, conduits à l'autel, & le poème eft terminé par la tragédie d'Euripide, dont je n'ai fait jufqu'ici que développer l'avant-fcène.

Pac

On voit, par cet exemple, que tion de l'Epopée n'est que l'action de la Tragédie, plus étendue & prise de plus

loin.

Le Taffe ne penfoit pas ainfi. Il poema heroïco, dit-il, e una imitatione de azione illuftre, grande, e perfetta, fatta nardo conan altiffimo verfo, affine di mover

pas tant de

gli animi con la maraviglia, e di giovar dilettando (a). Il regarde le merveilleux comme la fource du pathétique de l'Epopée; & laiffant à la Tragédie la terreur & la pitié, il réduit le poème héroïque à l'admiration, le plus froid des fentimens de l'ame. S'il eût mis fa théorie en pratique, fon poème n'auroit charmes. Quelque admiration qu'inspire l'héroïsme, quelque furprise que nous caufe le merveilleux répandu dans les fables d'Homère, de Virgile, & du Taffe lui-même, l'intérêt en feroit bien foible, fans les épifodes terribles & touchans qui le raniment par intervalles ; & ces poètes P'ont fi bien fenti, qu'ils ont eu recours, à chaque inflant, à quelque nouvelle fcène tragique. Retranchez de l'Iliade les adieux d'Andromaque & d'Hedor, la douleur d'Achille fur la mort de Patro

(a) Le poème héroïque eft l'imitation d'une action illuftre, grande, & parfaite, racontée en vers d'un ton très élevé, pour émouvoir les efprits par le moyen du merveilleux, & pour rendre agréable une inftruction solide.

cle, & fon entrevue avec le vieux Priam ; retranchez de l'Enéide les épisodes de Laocoon & de fes enfans, de Didon, de Marcellus, d'Euriale & de Pallas; retranchez de la Jérufalem la mort de Dudon, celle de Clorinde, l'amour & la douleur d'Armide; & voyez ce que devient l'intérêt de l'action principale, réduit à l'admiration que peut caufer le merveilleux des faits ou la beauté des caractères. On fe laffe bientôt d'admirer des héros que l'on ne plaint pas, on ne fe laffe jamais de plaindre des héros qu'on admire & qu'on aime. L'aliment de l'intérêt, foit épique foit dramatique, eft donc la crainte & la pitié. Il est vrai que la beauté des caractères y contribue, mais elle n'y fuffit pas : Concorre la miferia delle azioni infieme con la bonta di coftumi. (Le Taffe.)

La règle la plus sûre dans le choix du fujet de l'Epopée, eft donc de le fuppofer au théâtre, & de voir l'effet qu'il y produiroit. S'il eft vraiment tragique & théâtral, fon intérêt fe répandra fur les

n

épifodes; au lieu que, s'il n'avoit rien de pathétique par lui-même, en vain les épisodes feroient intéreffans, chacun d'eux ne communiqueroit à l'action qu'une chaleur accidentelle, qui s'éteindroit à chaque inftant, & qu'on feroit obligé de ranimer fans ceffe par quelque épisode

nouveau.

C'est, dira-t-on, donner à l'Epopée des bornes trop étroites, , que de la réduire aux fujets tragiques. Mais l'on verra que, fans compter la Tragédie grèque, celle, dis-je, où tout fe conduit par la fatalité, j'en ai diftingué trois genres, dans lesquels font compris, je crois, tous les intérêts du coeur humain. Si ce n'eft pas l'homme en proie à ses paffions, ce fera l'innocence ou la vertu éprouvée par le malheur ou poursuivie par le crime; ce sera la bonté mêlée de foibleffe, entourée des piéges du plaifir & du vice, & obligée d'immoler fans ceffe de doux penchans à de tristes devoirs. Or il y a peu de fujets intéreffans qui ne reviennent à l'une de ces trois fituations, ou, mieux encore,

à

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