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Je laiffe à balancer les avantages de cette fable terrible & touchante d'un bout à l'autre, fans aucune espèce de foulagement pour l'ame des fpectateurs, avec la fable de l'Iphigénie en Tauride, quelques rayons incertains d'une espérance confolante brillent par intervalles,

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& laiffent entrevoir une reffource dans les malheurs & les dangers dont on frémit je veux feulement faire voir que tout fe réduit à ces deux problêmes, l'un fimple, & l'autre compliqué. Celui-ci, en faifant paffer l'ame des fpectateurs par de continuelles viciffitudes, varie fans ceffe les mouvemens de la terreur & de la pitié; l'autre les foutient & les preffe, en faifant faire à l'intérêt le même progrès qu'au malheur.

De cette définition de l'adion, confidérée comme un problême, il fuit d'abord qu'il eft de fon effence d'être douteuse & incertaine, & de l'être jusqu'à la fin car fi l'action eft telle qu'il n'y ait pas deux façons de la terminer, & que l'événement qui fe présente naturel

lement à la prévoyance des spectateurs, foit le feul moralement poffible, il n'y a plus d'alternative, & par conféquent plus de balancement entre la crainte & l'efpérance: tout fe paffe comme on l'a prévu; & s'il arrive une révolution, ou elle a befoin d'une caufe furnaturelle, comme dans le Philoctète de Sophocle, ou elle manque de vraisemblance, comme dans le Cid. C'eft un effort de l'art, qu'on n'a pas affez admiré dans le Télémaque, d'avoir, par la feule force de l'éloquence d'Ulyffe, rendu naturel & vraisemblable le retour de Philocète, que Sophocle avoit jugé lui-même impoffible fans l'apparition d'Hercule. A l'égard du Cid, Corneille n'a fu d'autre moyen d'en terminer l'intrigue, que de ne pas décider la révolution.

D'un autre côté, fi, dans les poffibles, l'action avoit deux iffues., mais que, par la mal-adrefle du poète & la prévoyance des fpectateurs, le problême fût résolu dans leur opinion avant le dénouement, il n'y auroit plus d'inquiétude; & il ne

faut pas croire que l'art de rendre l'événement douteux & de laiffer le spectateur dans ce doute, ne foit utile qu'une fois. L'illufion théâtrale confifte à faire oublier ce qu'on fait, pour ne penser qu'à ce qu'on voit. J'ai lu Corneille ; je fais par cœur le cinquiéme acte de Rodogune; mais j'en oublie le dénouement; & à mesure que la coupe empoisonnée approche des lèvres d'Antiochus, je frémis, comme fi je ne favois pas que Timagène arrive. Ayez seulement soin que, dans l'action même, rien ne trahiffe le secret de la derniere révolution ; j'aurai beau le favoir d'ailleurs, je me le dissimulerai, pour me laiffer jouir du plaifir d'être ému: effet inexplicable, & pourtant bien réel, de l'illufion théâtrale. Mais autant la folution doit être cachée, autant les termes oppofés où l'action peut aboutir, doivent être marqués & mis en évidence. Je n'en excepte qu'une forte de fable: c'eft lorfqu'entre deux malheurs dont il femble que l'un ou l'autre doive arriver inevitablement, il y a pourtant

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un moyen de les éviter tous deux, & qu'on a deffein de tirer, par cette heureuse révolution, les perfonnages intéreffans du double péril qui les preffe. Ce moyen doit être caché comme l'iffue du labyrinthe mais tout ce qu'il y a de funeste à craindre, doit être connu, & le plutôt poffible. Que, dès le premier acte d'Edipe, par exemple, le spectateur fût inftruit qu'Edipe eft l'affaffin de fon père & le mari de fa mère ; dès ce moment, tous les efforts de ce malheureux prince, pour découvrir le meurtrier de Laïus, feroient frémir; & l'approche des incidens qui ameneroient les reconnoiffances, rempliroient les efprits de compaffion & de terreur. On peut rendre raifon par-là de ce -là de ce qui arrive affez fouvent, qu'une pièce fait plus d'impreffion la feconde fois que la première.

De notre définition, il fuit encore, que plus les événemens oppofés font extrêmes, plus l'alternative de l'un à l'autre a d'importance & d'intérêt. Si, d'un côté, il y va de l'excès du bonheur, & de

l'autre, de l'excès du malheur, comme dans l'Iphigénie en Tauride & dans la Mérope, la folution du problême est bien plus intéreffante que lorfqu'il ne s'agit que d'un malheur plus fenfible ou d'un bonheur foiblement fouhaité. Par exemple, dans Polieude, fuppofons que Pauline fût paffionnément amoureuse de fon époux; le problême feroit bien plus terrible, & la fituation de Pauline bien plus cruelle & plus touchante. Corneille, en la faisant amoureuse de Sévère, a évidemment préféré l'intérêt de l'admiration à celui de la terreur & de la pitié en quoi il a obéi à fon génie, & compofé une fable plus étonnante & moins tragique.

Dans la Comédie, même alternative: l'intérêt confifte, 1°. à faire fouhaiter que le ridicule, puni par lui-même, soit à la fin livré à la rifée & au mépris; 2°. à faire naître une curiofité inquiète, & une vive impatience de voir par quel moyen ce qu'on fouhaite arrivera. L'Avare époufera-t-il Marianne, ou la cédera-t-il à

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