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Iphigénie eft arrivée, Achille demande sa main, & Calchas demande fon fang: voilà déjà le nœud formé. C'est le modèle des gradations que le péril, le malheur, la crainte, la pitié, l'intrigue, en un mot, doit avoir.

En effet, qu'est-ce qu'un ade? Son nom l'exprime un degré, un pas de l'action. C'est par cette divifion de l'action totale en degrés que doit commencer le travail du poète, foit dans la Tragédie, foit dans la Comédie, lorsqu'il en médite le plan.

Il s'agit, par exemple, de démafquer Tartuffe, ou de le voir, maître de la maison, divifer le fils & le père, dépouiller l'un, amener l'autre à lui donner tout fon bien & la main de fa fille. Que fait Molière dans fon premier ade? Il met fous nos yeux le tableau de cet intérieur domestique. L'afcendant que Tartuffe a fur l'efprit d'Orgon, la prévention aveugle de celui-ci & de fa foeur en faveur d'un fourbe hypocrite, & la mauvaise opinion qu'a de lui tout le reste de

la famille, se manifestent dès la première scène : le combat s'engage; l'action commence avec chaleur.

Dès le second acte, après avoir tiré, de la bouche d'Orgon lui-même, l'aveu de fon aveuglement pour le fourbe qui le détache de fes enfans & de fa femme, & qui, d'un homme foible & bon, fait un homme dénaturé, Molière lui fait déclarer que Tartuffe eft l'époux qu'il deftine à fa fille celle-ci n'ose refuser ; & de là l'incident comique qui fait la querelle des deux amans.

Dans le troifième ade, au moment que Damis croit pouvoir confondre Tartuffe, & que l'on touche au dénouement, l'adreffe du fourbe & la fimplicité d'Orgon refferrent le nœud de l'intrigue, & l'intérêt redouble par la réfolution que vient de prendre Orgon, pour punir fes enfans, de donner fon bien à Tartuffe.

Dans le quatrième ade, Tartuffe eft enfin démafqué & confondu aux yeux d'Orgon; mais tout à coup le fourbe s'arme contre fon bienfaiteur des bienfaits

même qu'il en a reçus ; & par fes mcnaces, fondées fur un abus de confiance, il met l'alarme dans la maison.

Dans le cinquième ade, le trouble & l'inquiétude augmentent jufqu'au moment de la révolution ; & s'il y a quelque chose à défirer, c'est un peu moins de négligence dans les détails des dernières fcènes, & un peu plus de développement & de vraisemblance dans les moyens.

Les miférables Critiques, en déprimant le dénouement du Tartuffe, ne ceffent de rappeler ce vers:

Remettez-vous, Monfieur, d'une alarme fi chaude;

& ils oublient qu'ils parlent avec dérision du chef-d'œuvre du théâtre comique, d'une pièce à laquelle tous les fiècles n'ont rien à comparer, & qui fera peut

être trois mille ans fans rivale, comme

elle a été fans modèle.

L'analyfe de cette pièce, relativement

aux progrès de l'action, fuffit

pour indiquer les degrés qu'on doit pratiquer d'acte en acte & de fcène en fcène. Si

l'action fe repofe deux fcènes de fuite dans le même point, elle fe refroidit. Il faut qu'elle chemine comme l'aiguille d'une pendule. Le dialogue marque les fecondes, les scènes marquent les minutes, les ades répondent aux heures. C'est pour n'avoir pas obfervé ce progrès fenfible & continu, que l'on s'eft fi fouvent trouvé à froid. On efpère remplir les vides par des détails ingénieux : mais l'intérêt languit ; & l'on peut dire de l'intérêt, ce qu'un poète célèbre à dit de l'ame, que c'est un feu qu'il faut nourrir, & qui s'éteint s'il ne s'augmente.

L'ufage établi de donner cinq actes à la Tragédie, n'eft ni affez fondé pour faire loi, ni affez dénué de raison pour être banni du théâtre. Quand le fujet peut les fournir, cinq actes donnent à l'action une étendue avantageufe: de grands événemens y trouvent place; de grands intérêts & de grands caractères s'y développent en liberté; les fituations s'amènent, les incidens s'annoncent, les fentimens n'ont rien de brufque & de heurté ; le

mouvement des paffions a tout le temps de s'accélérer, & l'intérêt de croître jusqu'au dernier degré de pathétique & de chaleur. On a éprouvé que l'ame des fpectateurs peut fuffire à l'attention, à l'illusion, à l'émotion que produit un spectacle de cette durée ; & fi l'action de la Comédie femble très-bien s'accommoder de la division en trois actes, l'action de la Tragédie femble préférer la divifion en cinq aces, à caufe de fa majefté, & des grands refforts qu'elle veut pouvoir faire agir.

Mais le fujet peut être naturellement tel que, ne donnant lieu qu'à deux ou trois fituations affez fortes, il ne foit fufceptible auffi que de deux degrés, & de deux repos de l'action. Alors faut-il abandonner ce fujet, s'il eft pathétique, intéreffant, & fécond en beautés? ou faut-il le charger d'incidens & de fcènes épisodiques? Ni l'un ni l'autre. Il faut donner à l'action fa jufte étendue, fuivre la loi de la nature, préférable à celle de l'art ; & le Public, qui fe plaindroit qu'on s'est éloigné de l'ufage, feroit le tyran du gé

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