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nous écrions, Cela eft beau! & notre admiration fe mefure aux difficultés que l'artiste a dû vaincre, & à la force de génie qu'il a fallu pour les fur

monter.

De là vient que, dans un poème, des vers où l'énergie, la précision, l'élégance, le coloris & l'harmonie fe réuniffent fans effort, font une beauté de plus, & une beauté d'autant plus frappante, qu'on fent mieux l'extrême difficulté de captiver ainfi la langue & de la plier à fon gré.

De là vient auffi que, fi l'art veut s'aider de moyens naturels, pour faire fon illufion & pour produire fes effets, il retranche de ses beautés, de fon mérite, & de fa gloire. Qu'un décorateur emploie réellement de l'eau pour imiter une cascade, l'art n'eft plus rien : je vois la nature en petit, & chétivement préfentée mais qu'avec un pinceau ou les plis d'une gaze, on me représente la chûte des eaux de Tivoli ou les cataractes du Nil; la distance prodigieufe du

moyen à l'effet m'étonne & me transporte de plaifir.

Il en eft de même de l'Eloquence. Il ya de l'adreffe, fans doute, à présenter à fes juges les enfans d'un homme accufé, pour lequel on demande grâce, ou à dévoiler à leurs yeux les charmes d'une belle femme qu'ils alloient condamner & qu'on veut faire abfoudre : mais cet art est celui d'un adroit corrupteur, ou d'un folliciteur habile; ce n'eft point l'art d'un orateur. Les dernières paroles de Céfar, répétées au peuple romain, font un trait d'Eloquence de la plus rare beauté; fa robe enfanglantée, déployée fur la tribune, n'est rien qu'un heureux artifice. A ne comparer que les effets, un charlatan l'emportera fur l'orateur le plus éloquent: mais le premier emploie des moyens matériels, & c'eft par les fens qu'il nous frappe : le fecond n'emploie que la puiffance du fentiment & de la raifon, c'eft l'ame & l'efprit qu'il entraîne: & fi on ne dit jamais du char·latan, qu'il fait de belles choses, quoi

qu'il opère de grands effets, c'est que fes moyens trop faciles n'annoncent, du côté de l'art & du génie, aucun des caractères qui diftinguent le beau ; tandis que les moyens de l'orateur, réduits au charme de la parole, annoncent la force & le pouvoir d'une ame qui maîtrise toutes les ames par l'afcendant de la pensée, afcendant merveilleux, & l'un des phé nomènes les plus frappans de la nature.

Le pathétique , ou l'expreffion de la fouffrance, n'est pas une belle chofe dans fon modèle. La douleur d'Hécube, les frayeurs de Mérope, les tourmens de Philoctète, le malheur d'Edipe ou d'Orefte, n'ont rien de beau dans la réalité : & c'eft peut-être ce qu'il y a de plus beau dans l'imitation: beauté d'effet prodige de l'art, de fe pénétrer avec tant de force des fentimens d'un malheureux, qu'en l'expofant aux yeux de l'imagination, on produife le même effet que s'il étoit préfent lui-même, & que, par la force de l'illufion, on émeuve les cœurs, on arrache les larmes, on rempliffe tous

les efprits de compaffion ou de terreur.

Ainfi, foit dans la nature, foit dans les arts, foit dans les effets qui résultent de l'ailiance & de l'accord de l'art avec la nature, rien n'eft beau que ce qui annonce, dans un degré qui nous étonne, la force, la richeffe, ou l'intelligence, de l'une ou l'autre de ces deux causes ou de toutes deux à la fois.

On peut dire qu'il y a du vague dans les caractères que nous donnons au beau. Mais il y a auffi du vague dans l'opinion qu'on y attache l'idée en eft fouvent factice, & le fentiment relatif à l'habitude & au préjugé. Par exemple, la même couleur qui eft riche & belle aux yeux d'une claffe d'hommes, n'eft pas telle aux yeux d'une autre claffe › par la feule raifon que la teinture en eft commune & de vil prix. Pourquoi ne diton pas du lever du foleil, ou de fon coucher, qu'il eft beau quand le ciel eft pur & ferein? Et pourquoi le dit-on, lorfque fur l'horifon il fe rencontre des nuages fur lesquels il femble répandre

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la

pourpre & Por? C'est que l'or & la pourpre font dans nos mains des chofes précieuses; qu'à leur richesse, nous avons attaché le fentiment du beau par excellence; & qu'en les voyant briller d'un éclat merveilleux fur les nuages que le foleil colore, nous les comparons à ce que l'induftrie, le luxe, & la magnificence offrent de plus riche à nos yeux. A des idées invariables, il faut des caractères fixes; mais à des idées changeantes, il faut des caractères fufceptibles, comme elles, des variations de la mode & des caprices de l'imagination.

Au refte, mon opinion fur le beau se trouve appuyée, en quelque forte, de l'autorité de Cicéron. « La nature, ditil, a fait les chofes de manière que, dans tout ce qui porte avec foi une très-grande utilité, on reconnoît auffi un grand caractère de dignité ou de beauté : « ut ea quæ maximam utilitatem in fe continerent, eadem haberent plurimum vel dignitatis vel fæpe etiam venuftatis. Et cet accord, il le remarque dans l'ordre de

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