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la prison du luxe, de la molleffe, & de l'ennui; l'autre eft l'afile de la méditation vagabonde, de la haute contemplation, & du fublime enthousiasme. En voyant les eaux captives baigner fervilement les marbres de Versailles, & les eaux bondiffantes de Vauclufe fe précipiter à travers les rochers, on dit également, Cela eft beau! Mais on le dit des efforts de l'art, & on le fent des jeux de la nature auffi l'art qui l'affujettit, fait-il l'impoffible pour nous cacher les entraves qu'il lui donne; & dans la nature livrée à elle-même, le peintre & le poète fe gardent bien d'imiter les accidens où l'on peut foupçonner quelques traces de fervitude.

L'excellence de l'art, dans le moral comme dans le phyfique, eft de furpaffer la nature, de mettre plus d'intelligence dans l'ordonnance de ses tableaux, plus de richeffe dans les détails, plus de grandeur dans le deffein, plus d'énergie dans l'expreffion, plus de force dans les effets, enfin plus de beauté dans

la

la fiction qu'il n'y en eût jamais dans la réalité. Le plus beau phénomène de la nature, c'eft le combat des paffions, parce qu'il développe les grands refforts de l'ame, & qu'elle-même ne reconnoît toutes les forces que dans ces violens orages qui s'élèvent au fond du cœur. Auffi la Poéfie en a-t-elle tiré fes peintures les plus fublimes on voit même que, pour ajouter à la beauté phyfique, elle a tout animé, tout paffionné dans fes tableaux; & c'est à quoi le merveilleux a grandement contribué.

Voyez combien les accidens les plus terribles de la nature, les tempêtes, les volcans, la foudre, font plus formidables encore dans les fictions des poètes. Voyez la terreur que porte aux enfers un coup du trident de Neptune; l'effroi qu'inspire aux vents, déchaînés par Eole, la menace du Dieu des mers; de trouble que Typhée, en foulevant l'Etna, vient de répardre chez les morts; & l'effroi qu'inf pie la foudre dans la main redoutable de Jupiter tonnant du haut des cieux.. Tome I.

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Quand le génie, au lieu d'agrandir la nature, l'enrichit de nouveaux détails; ces traits choifis & variés, ces couleurs fi brillantes & fi bien afforties, ces tableaux frappans & divers font voir, en un moment & comme en un feul point, tant d'activité, d'abondance, de force, & de fécondité dans la cause qui les produit, que la magnificence de ce grand fpectacle nous jette dans l'étonnement: mais l'admiration fe partage inégalement entre le peintre & le modèle, felon que l'impreffion du beau fe réfléchit plus ou moins fur l'artiste ou fur fon objet, & que le travail nous semble plus ou moins au deffus ou au deffous de la matière.

En imitant la belle nature, fouvent l'art ne peut l'égaler; mais de la beauté du modèle & du mérite encore prodigieux d'en avoir approché, réfulte en nous le fentiment du beau. Ainfi, lorfque le pinceau de Claude Lorrain ou de Vernet a dérobé au foleil fa lumière, qu'il a peint le vague de l'air, ou la flui

dité de l'eau ; lorfque, dans un tableau de Van-Huyfum, nous croyons voir, fur le duvet des fleurs, rouler des perles de rofée, que l'ambre du raisin, l'incarnat de la rofe y brille prefque en sa fraîcheur; nous jouiffons avec délices, & de la beauté de l'objet, & du prestige de l'imitation.

La vérité de l'expreffion, quand elle est vive & qu'on fuppofe une grande difficulté à l'avoir faifie, fait dire encore de l'imitation qu'elle eft belle, quoique le modèle ne foit pas beau. Mais fi l'objet nous femble, ou trop facile à peindre, ou indigne d'être imité, le mépris, le dégoût s'en mêlent; le fuccès même du talent prodigué ne nous touche point: & tandis que le pinceau minutieux de Girard Dow nous fait compter les poils du lièvre, fans nous caufer aucune émotion; le crayon de Raphaël, en indiquant d'un trait une belle attitude, un grand caractère de tête, nous jette dans le raviffement.

Il en eft de la Poéfie comme de la

Peinture: quel effet fe promet un pénible écrivain, qui pâlit à copier fidèlement une nature auffi froide que lui ? Mais que le modèle foit digne des efforts de l'art, & que ces efforts foient heureux; les deux beautés fe réuniffent & l'admiration eft au comble. L'ouvrage même peut être beau, fans que l'objet le foit, fi l'intention eft grande & le but important: c'est ce qui élève la Comédie au rang des plus beaux poèmes, & ce qui mérite à l'Apologue ce fentiment d'admiration que le beau feul obtient de nous.

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Que Molière veuille arracher le mafque à l'hypocrifie ; qu'il veuille lancer fur le théâtre un cenfeur âpre & vigoureux des vices crians de fon fiècle ; que la Fontaine, fous l'appât d'une Poéfie attrayante, veuille faire goûter aux hommes la fageffe & la vérité ; & que P'un & l'autre ayent choif dans la nature les plus ingénieux moyens de produire ces grands effets; tout occupés du prodige de l'art & du mérite de l'artifte, nous

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