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par de fortes impressions ». Ainsi, c'est par un juge ivre & paffionné que vous voulez entraîner l'autre. Voilà réellement le grand danger de l'audience: mais fi elle a cet inconvénient, elle a auffi fon avantage; & ce roi de Macédoine, Antigone, l'avoit bien fenti, lorfque fon frère lui ayant demandé de juger fon procès à huis clos, il lui répondit: «Non, jugeons au milieu de la place, fi nous voulons ne faire tort à personne». C'étoit avouer à la fois que le respect du Public étoit un frein pour le juge, & que le juge en avoit befoin.

Pline le jeune, dans une de ses lettres à Corneille-Tacite, examine cette queftion, fi dans l'Eloquence du barreau la briéveté eft préférable à l'abondance ; & il se déclare pour celle-ci. «Il arrive, dit-il, affez fouvent que l'abondance des paroles ajoute une nouvelle force & comme un nouveau poids aux idées qu'elles forment. Nos penfées entrent dans l'efprit des autres, comme le fer entre dans un corps folide: un feul coup ne fuffit

pas,

il faut redoubler ». Cela juftifie en effet l'abondance mesurée, mais non pas la profufion & l'intariffable loquacité qui femble être aujourd'hui l'attribut de l'Eloquence du barreau. On tire au volume, non pas pour la raison qu'en donne Pline, qu'il en eft d'un bon livre comme de toute autre chofe, & que plus il eft grand, meilleur il eft; mais parce que les plaideurs, dit-on, mefurent le prix du plaidoyer à fon étendue & à fa durée. Miférable motif pour noyer, dans un déluge de paroles, une cause dont la bonté, pour être visible & palpable, n'auroit besoin le plus fouvent que d'être expofée en peu de

mots.

Une autre caufe que Pline allègue, & qui revient à la réponse que l'avocat Dumont fit à M. de Harlay, c'est que parmi les juges, les uns font frappés des bonnes raisons, les autres des mauvaises, & que tous les moyens trouvant leur place, il n'en faut négliger aucun. Mais cette méthode eft-elle sûre ? eft-elle honnête & permise? L'un & l'autre est au moins douteux.

Quand de mauvais moyens trouveroient quelquefois leur place, il y a peutêtre moins d'avantage que de risque à les employer. Ils font faciles à détruire ; & donnant prise à la réplique, ils laiffent un grand avantage à un adverfaire éloquent. De plus, les mauvaises raisons ont l'inconvénient de noyer les bonnes & de les affoiblir en s'y mêlant. Un moyen foible ou équivoque, donné pour décifif & pour victorieux, fi le juge en fent la foibleffe, lui rend fufpect ou le bon fens, ou la bonne foi du fophifte, l'indifpofe contre celui qui l'a cru affez fimple pour s'y laiffer tromper, fait perdre à fes bonnes raifons leur autorité naturelle, & fait mal préfumer d'une caufe où l'on fe voit réduit à de pareils fecours. Auffi, pour une fois qu'un adverfaire négligent ou mal-adroit aura laiffé paffer un moyen faux fans le détruire, ou qu'un juge ébloui s'y fera laiffé prendre; il doit arriver mille fois que la fauffeté du moyen foit reconnue, & qu'il nuife à la caufe pour laquelle il est employé.

Dans les dialogues de Cicéron fur POrateur, Antoine ne balance pas à décider que, parmi les moyens que préfente une caufe, il faut choifir avec foin les meilleurs & les plus forts, négliger les plus foibles, & ne jamais employer les mauvais. Voyez l'article PREUVE.

Mais quand la méthode contraire feroit auffi prudente qu'elle l'eft peu, la croiroit-on bien légitime? «La vérité, qui eft naturellement généreufe, dit Le Maître, infpire des fentimens trop nobles fe fervir d'autres moyens que ceux qui font honnêtes » : or le menfonge ne l'eft pas ; & un fophifme, connu pour tel par celui qui l'emploie, eft un menfonge artificieux, c'est-à-dire, une double fraude.

pour

Qu'importe, dira-t-on, fi ma cause eft bonne, par quels moyens je la fais réussir? Tout est juste pour la justice. Le menfonge même eft permis en faveur de la vérité. Eft-ce la faute de l'avocat s'il a pour juges des hommes que la droite raifon, que la vérité fimple ne peut perfuader,

fuader, & dont l'efprit faux n'eft frappé que des fauffes lueurs d'un fophifme? Mon devoir eft de gagner ma caufe, dès que moi-même je la crois bonne ; & pouvu que j'arrive au but, il eft indifférent que j'aye pris le droit chemin, ou le détour ».

C'est là fans doute ce qu'on peut aliéguer de plus favorable aux artifices de P'Eloquence. Mais dans cette fuppofition même que de faux moyens font néceffaires pour perfuader des efprits faux, & qu'il en eft de tels parmi les juges, il y aura toujours de la mauvaise foi à donner de la valeur à ce qui n'en a point; & le fophifme n'en est pas moins la fausse monnoie de l'Eloquence. C'eft au juge de favoir difcerner le vrai, c'est à l'avocat de le dire: il eft un fauffaire, s'il le déguise; un fourbe, s'il donne au menfonge les couleurs de la vérité.

De la doctrine de Plutarque, qui permet d'employer l'Eloquence des paffions, & de celle de Pline, qui consent qu'on emploie tous les moyens bons ou Tome I.

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