toute la vengeance que vous voulez pren dre d'elle! Croyez-vous, l'Appelante, que défavouer fa fille, foit une fi petite faute qu'elle ne doive pas mettre en colère une femme qu'on en accuse fauffement? Que fi vous jugez cette faute auffi grande que tout le monde l'eftime, comment, lorsqu'on vous interrogea, n'aviezvous point les plaintes dans la bouche, le feu dans les yeux, le dépit dans le cœur, la colère fur le vifage? Vos penfées devoient-elles avoir d'autre objet que la grandeur de fon imposture? Vos paroles devoient-elles être autre chofe que des menaces contre elle; & vos actions que des mouvemens violens de cette juste indignation qui accompagne toujours l'innocence injustement accufée»?

Je ne crois pas que dans ce qui nous refte de l'ancienne Eloquence, il y ait rien de plus preffant ; & c'est là que l'on voit par quels tours, par quels mouvemens, par quelles gradations de force & de chaleur une petite caufe peut s'élever au ton de la haute Eloquence.

Dès que Patru a lié l'intérêt d'un gradué avec celui de toutes les provinces réunies à la monarchie; que c'est un point de droit public qu'il eft question de décider ; & que d'un bénéfice de quarante écus, il a fait la caufe du concordat, celle des lettres & des sciences, celle des libertés de l'Eglife, celle des peuples & des rois ; qu'il faffe paroître l'Université aux pieds du Grand Confeil, implorant l'appui du monarque en faveur de fes droits ufurpés par la Cour de Rome; qu'à propos de cette ufurpation, il compare la mauvaise foi de la Daterie à celle des carthaginois; qu'il compare le fophifme des papes à l'égard de la Brefce, à celui d'Annibal à l'égard de Sagunte; qu'il ajoute enfin que Rome la moderne n'a pour toutes armes, dans cette cause, qu'un mauvais artifice, que la vieille Rome, Rome la fage, la vertueufe, a fi hautement condamné : cela eft d'autant plus excusable, que c'est devant le grand Confeil, & comme en présence du roi, qu'il plaide & qu'il dépend

du Souverain, dans cette caufe, de fe relâcher de fes droits, ou de les conferver dans leur intégrité.

Une autre espèce de caufes où l'Eloquence pathétique peut avoir lieu, c'est lorfque le droit incertain laiffe, pour ainfi dire, en équilibre la balance de la Juftice, & qu'il s'agit de l'incliner du côté qui naturellement mérite le plus de faveur. C'eft ce que les jurifconfultes appellent caufes d'amis, caufes fréquentes, s'il faut les en croire : ce qui ne feroit pas l'éloge de nos lois.

Il femble, quand la loi se tait, que le juge devroit fe taire & recourir au légiflateur. Il femble au moins que c'eft à la raifon tranquille, & non pas à la passion, de parler pour la loi, qui n'est jamais paffionnée. Mais l'équité naturelle a auffi bien pour guide le fentiment que la raifon; & dans les cas où la raifon seule ne peut décider du bon droit, on en appelle au fentiment circonftance qui donne lieu à l'Eloquence pathétique. C'eft ainfi dans la caufe des pères Mathurins,

que,

Patru, ayant rendu au moins douteuse la claufe de l'acte qui faifoit leur titre, & réduit les juges à ne favoir que penfer de la volonté du donateur, mit à leurs pieds les malheureux captifs, à la rédemption defquels étoit deftinée la modique fomme qu'on leur difputoit fur une équivoque de mots, & fit regarder le jugement qu'on alloit rendre comme devant jeter le défefpoir, ou porter la confolation, l'espérance, & la joie dans les cachots de Tunis & d'Alger: moyen forcé, mais légitime, dans un moment où il étoit permis d'émouvoir la compassion.

On voit par-là que, s'il eft fouvent ridicule, fouvent même indécent, d'employer au barreau l'Eloquence des paffions, il eft quelquefois jufte & bon d'y avoir recours; qu'il eft du moins permis d'animer la raifon, & de "donner à la vérité cette chaleur pénétrante, fans laquelle on n'obtient qu'une atten tion trop légère. Nous l'avons dit, les juges font des hommes: l'indifférencé perfonnelle que l'équité demande, les

rend elle-même diftraits, diffipés, fujets à l'ennui ; & lorfque, pour les attacher, l'avocat ne fait qu'employer les mouvemens naturels à fa caufe, pourvu qu'il se rende à lui-même le témoignage bien fincère que c'est la vérité qu'il veut perfuader, il peut la rendre intéreffante fans pour cela s'expofer au reproche d'employer la féduction. « Si l'on ôte les paffions, dit Plutarque en parlant de l'Eloquence, on trouvera que la raison, en plufieurs chofes, demeurera trop láche & trop molle, fans action, ni plus ni moins qu'un vaiffeau branlant en mer quand le vent lui défaut».

Une des caufes de la corruption de l'Eloquence du barreau, c'est que l'audience eft publique, & qu'il y a deux fortes de juges, le Tribunal & les auditeurs. «Je veux forcer, vous dit l'avocat, le tribunal à être jufte, & mettre de mon côté, dans la balance, l'opinion du Public: or c'eft plutôt par fentiment que par raifon que le Public fe détermine; il eft donc de mon intérêt de l'émouvoir