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par exemple, elle appuie fur la première du mot cruel, dans l'accent du reproche tendre; & fur la dernière, dans l'accent de l'effroi : cruel, que t'ai-je fait? cruel! que dites-vous ?

Cette facilité nous eft donnée presque par-tout où l'une des voyelles n'est pas muette ou abfolument brève, comme l'est la première des mots defir, douleur, mourir, retour, dont la dernière feule peut être accentuée. Mais alors même rien n'empêche de les tenir toutes les deux à l'unisson, & de placer l'accent, ou en deçà fur le mot qui précède, ou au delà fur le mot fuivant, comme dans ces exemples Impatiens defirs. Mes honteufes douleurs. Je le pèrds fans retour. Mourir sàns me venger !

Ce qu'on appelle l'accent des provinces confifte, en partie, dans la quantité profodique : le normand prolonge la fyllabe que le gafcon abrège. Il confiste encore plus dans les inflexions attachées, non pas aux fyllabes des mots, mais aux mouvemens du langage par exemple,

dans l'accent du gafcon, du picard, du normand, l'inflexion de la surprise, de la plainte, de la prière, de l'ironie, n'eft pas la même. Un gafcon vous demande, comment vous portez-vous ? d'un ton gai, vif, & animé, qui fe relève fur la fin de la phrase ; le normand dit la même chofe d'un fon de voix languiffant, qui s'élève fur la penultième, & retombe sur la dernière, à peu près du même ton que le gafcon fe plaindroit.

Ce que nous difons de la langue françoise, doit s'entendre de toutes les langues vivantes : leur profodie eft dans la durée relative des fyllabes; leur accent eft dans les inflexions de la parole, dans le fort & le foible de la voix, fes modulations, fes appuis, felon l'idée, le fentiment, ou la paffion qu'elle exprime, le mouvement de l'ame quelle imite; mais d'accent profodique adhérant aux fons, immobile & invariable, aucune langue n'en peut avoir, fans renoncer à toutes les nuances de l'expreffion, qui doit pouvoir fans ceffe varier, & se plier dans tous les fens.

L'art de bien parler, de bien réciter, foit pour l'acteur, foit pour l'orateur, confiste fingulièrement à accentuer plus ou moins la parole, felon le genre d'élocution, & à l'accentuer toujours avec jufteffe & fobriété.

C'est l'accent qui donne du caractère à l'expreffion; de l'efprit, de la vérité, de la variété à la lecture; de la vie & de l'ame à la déclamation: mais il faut pren dre garde de n'y pas mettre une fauffe fineffe, une fauffe chaleur, ou une emphase déplacée rien n'eft plus ridicule que l'affectation qui fait un contre-fens.

C'est au Barreau, dans la Chaire, au Théâtre que ces défauts fe font le plus fentir. Les juges font trop accoutumés, ou trop préoccupés de leurs fonctions, pour s'aperçevoir du ridicule que Racine a joué dans la comédie des Plaideurs. Mais on entend à l'audience des car auffi aigus que celui de l'Intimé.

Une exagération non moins choquante de l'accent oratoire, fubfifte dans la Chaire. Il y a quelque temps que de l'en

droit

droit le plus bruyant de Paris, on entendoit, dans une églife voifine, les cris, les hurlemens d'un homme. On demanda fi on l'exorcifoit? Non, répondit quelqu'un, c'est lui qui exorcife, & qui, pour chaffer le démon de l'ame de nos philofophes, demande le fer & le feu.

Dans la récitation comique, le naturel s'eft affez confervé; mais le tragique, malgré l'exemple de Baron, de la Lecouvreur, de cette Clairon qui nous les rappeloit, n'a pu fe corriger encore affez de ses tons emphatiques ; & s'il prend l'accent naturel, il s'abaiffe au plus trivial. Voyez DÉCLAMATION.

C'est une observation que j'ai entendu faire par un comédien qui avoit de l'efprit & de la culture, & qui lifoit fingulièrement bien, que dans le langage animé, fur-tout dans le langage ou poétique ou oratoire, il y a toujours des mots frappans, où la force du fens réfide ; & que c'eft fur ces mots que doit appuyer l'expreffion. En effet, rien ne l'affoiblit tant que de la prodiguer; & de même que, Tome I. *C

pas

dans un morceau d'éloquence ou de poéfie, un homme intelligent ne cherche à faire tout valoir; de même, dans un vers ou dans une période, il n'affectera pas de faire tout fentir. Suppofons, par exemple, que l'on récite ces beaux vers de Corneille :

Je les peins, dans le meurtre à l'envi triomphans,
Rome entière noyée au sàng de fes enfans,
Les uns afsàffinés dans les places publiques,
Les autres dans le sèin de leurs dieux domeftiques;
Le méchant par le prix au crime encouragé,
Le mari par fa fèmme en fon lit égorgé
Le fils tout dégouttant du mèurtre de fon père,
Et, fa tête à la main, demandant fon falaire.

On voit que, malgré la plénitude & l'énergie continuelle de ces beaux vers, l'expreffion portera naturellement fur les mots qui font les grands traits de l'image, & s'appuiera fur la fyllabe de ces mots qui peut le mieux foutenir la voix.

C'est une des raisons pour lesquelles il eft vrai de dire, en général, que perfonne ne lit mieux un ouvrage que fon auteur. Il arrive pourtant quelquefois

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