Obrazy na stronie
PDF
ePub

que la raison n'avoit pu dompter ; leur voix fe mêle à celle des génies fupérieurs; les uns fuivent volontairement la lumière que l'orateur leur préfente; les autres font enlevés par un charme fecret dont ils éprouvent la force, fans en connoître la caufe; tous les efprits convaincus, tous les coeurs perfuadés payent également à l'orateur ce tribut d'amour & d'admiration, qui n'est dû qu'à celui que la connoiffance de l'homme élève au plus haut degré d'Eloquence ».

Voilà les excufes dont s'autorise l'Eloquence artificieuse & paffionnée.

Malheur au peuple chez lequel cette Eloquence a de fréquentes occafions de fe fignaler cela prouve qu'il eft gouverné, non par les lois, mais par les hommes; cela prouve que les affections perfonnelles, plus que la raison publique, décident des réfolutions & des jugemens du tribunal qui gouverne ou qui juge; cela prouve que la multitude ellemême a befoin d'être pouffée par le vent

[ocr errors]

des paffions; & par-tout où ce vent dọmine, les naufrages feront fréquens pour P'innocence & pour l'équité.

Mais enfin, lorfque la conftitution d'un Etat, ou fa condition eft telle, que le juge a droit de prononcer d'après fon affection perfonnelle, que l'Eloquence a le malheur de s'adreffer à une volonté arbitraire, ou que, par la nature de l'objet, le juge eft réellement libre; l'Eloquence alors ne demandant à l'homme que ce qui dépend de fon choix, elle a droit de mettre en ufage tout ce qui peut Pintéreffer: Socrate, cité devant l'Aréopage, s'interdit tous les artifices de l'Eloquence pathétique : l'Aréopage n'étoit que juge; c'eût été vouloir le corrompre, que de lui parler le langage des paffions. Encore la févérité de Socrate fut-elle déplacée, puifqu'elle fit commettre aux juges le crime irrémiffible de fa condamnation. Voyez PATHÉTIQUE. Mais Démofthène, pour entraîner la volonté d'un peuple libre, pouvoit employer le reproche, la menace, la plainte, intéreffer

l'orgueil, jeter la honte & l'épouvante dans l'ame des athéniens: de même Cicéron, soit qu'il parlât au peuple, ou au Sénat, ou à Céfar lui-même, pouvoit exciter à fon gré la colère & l'indignation, la compaffion & la clémence. Ainsi, la tyrannie & la liberté ouvrent également un champ libre à l'Eloquence pathétique. De même enfin nos orateurs chrétiens, ayant à perfuader aux hommes, non feulement la vérité, mais auffi la bonté, peuvent, pour attendrir, pour élever les ames, employer les grands mouvemens d'une Eloquence véhémente & fublime.

<«< Il arrive fouvent, dit Plutarque, que les paffions fecondent la raison & fervent à roidir les vertus, comme l'ire modérée fert la vaillance, la haîne des méchans fert la juftice, l'indignation à l'encontre de ceux qui font indignement heureux : car leur cœur élevé de folle arrogance & infolence, à caufe de leur profpérité, a besoin d'être réprimé ; & il n'y a perfonne qui voulût, encore qu'il

qu'il le pût faire, féparer l'indulgence de la vraie amitié; ou l'humanité, de la miféricorde; ni le participer aux joies & aux douceurs, de la vraie bienveillance & dilection». Ainfi, felon Plutarque, l'Eloquence, qu'il fait confifter à provoquer la paffion où elle est, à la mêler où elle n'est pas, à mettre la fenfibilité en jeu à la place de l'entendement, & la volonté à la place de la raifon & du jugement, peut trouver dans l'école d'un Philofophe, ou dans les affemblées d'un peuple libre, à s'exercer utilement.

Mais au barreau il n'en eft pas ainfi. Le juge ne porte point à l'audience une ame libre il n'y eft que l'organe des lois; & les lois ne connoiffent ni l'amour,

:

ni

la haîne, ni la crainte, ni la pitié. Si le juge a reçu de la nature un cœur fenfible, un naturel paffionné, c'eft un ennemi de l'équité, qui le fuit à l'audience, & qu'il feroit à fouhaiter qu'il pût laiffer à la porte du fanctuaire des lois.

Dans l'Areopage, nous dit Ariftote, on défendoit aux orateurs de rien dire Tome I.

V

de pathétique & qui pût émouvoir les juges: un orateur qui eût parlé à l'ame, intéreffé les paffions, en eût été chaffé comme un vil corrupteur. Cependant l'exemple de Phriné fait bien voir qu'on n'étoit pas toujours auffi févère ; & Soerate, dans fon apologie, n'eût pas eu befoin de dire à fes juges qu'il n'emploieroit aucun moyen de les toucher, fi ces moyens lui avoient été rigoureusement interdits.

Lorfqu'on voit paroître au barreau cette enchantereffe publique, cette Eloquence pipereffe, comme l'appelle Montaigne, on croit revoir Phriné dévoilée par Hypéride aux yeux de fes juges. Que leur demandez-vous? d'être juftes?

de prononcer comme la loi ? Vous n'avez pas besoin d'intéreffer leurs passions: le cœur que vous voulez toucher doit être immobile & muet. Il en est donc de l'Eloquence pathétique comme des follicitations: & fi l'orateur ne veut pas fe dégrader lui-même, & offenfer les juges, en employant, pour les gagner, les manè

« PoprzedniaDalej »