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l'innocence & de la foibleffe, fi longtemps opprimées aux tribunaux militaires & barbares des grand vaffaux.

L'ufage de faire parler pour foi un homme plus inftruit, plus habile que foi, a dû s'introduire par-tout où la raifon & la juftice ont pu fe faire entendre. Mais cette inftitution avoit un vice radical, d'où font dérivés tous les vices de l'Eloquence du barreau. L'avocat, en plaidant une cause qui n'est pas la sienne, joue un rôle qui n'est pas le fien: voilà pourquoi, fi l'on en croit Ariftophane, Cicéron, Pétrone, Quintilien, la déclamation a été dans tous les temps le caractère dominant de l'Eloquence du barreau. Voyez DÉCLAMATION.

Si les plaideurs étoient leurs avocats eux-mêmes, ils expoferoient les faits avec fimplicité; ils diroient leurs raisons fans emphase; & s'ils employoient les mouvemens d'une Eloquence paffionnée, ces mouvemens feroient placés, & feroient au moins pardonnables.

Mais un avocat, revêtu du perfonnage

du plaideur, a befoin d'un talent très-rare, pour le remplir avec bienféance, avec force, avec dignité; & lorfque ce talent lui manque, il met à la place de la vraie éloquence, une déclamation factice, tantôt ridicule par l'abus de l'efprit & par l'enflure des paroles, tantôt révoltante par fon impudence, tantôt criminelle par fes artifices ou par fes odieux excès.

Quand c'eft par vanité que l'orateur, dans une caufe qui ne demande que de la raifon, de la clarté, de la méthode, cherche à répandre les fleurs d'une Rhétorique étudiée, il n'eft que vain & ridicule; & s'il eft jeune, on pardonne à son âge. Mais lorsqu'oubliant fon caractère, il prend le rôle de bouffon, &, par des railleries indécentes, cherche à faire rire fes juges; il fe dégrade & s'avilit.

Lorfque dans une caufe qui de fa nature ne peut exciter aucun des mouvemens de l'Eloquence véhémente, il fe bat les flancs pour paroître ému & émouvoir, qu'il emploie de grands mots pour exprimer de petites chofes, & qu'il

pour

prodigue les figures les plus hardies & les plus fortes pour un fujet fimple & commun (ce que Montaigne appelle faire de grands fouliers pour de petits pieds); il n'eft qu'un charlatan & un mauvais déclamateur. Mais lorsqu'il fe met à la place d'un plaideur outré de colère, & qu'il vomit pour lui tout ce que la vengeance, la haîne envenimée peut avoir de noirceur & de malignité; qu'il déshonore un homme, une famille entière, fous le prétexte, fouvent léger, que fa cause l'y autorife; il eft l'efclave des paffions d'autrui, le plus lâche des complaifans, & le plus vil des mercenaires. Cette licence, trop long-temps effrénée, a été la honte de l'ancien barreau, quelquefois l'opprobre du barreau moderne; & quoiqu'en genéral l'honnêteté foit l'ame de l'Ordre des avocats, ils n'ont peut-être pas été affez févères à réprimer un abus fi criant.

« Cet Ordre auffi ancien que la magiftrature, auffi noble que la vertu, auffi néceffaire que la juftice (c'eft M.

d'Agueffeau qui parle), où l'homme, unique auteur de fon élévation, tient les autres hommes dans la dépendance de fes lumières, & les force de rendre hommage à la feule fupériorité de fon génie, heureux de ne devoir ni les dignités aux richeffes, ni la gloire aux dignités», ne doit rien fouffrir qui profane un caractère fi facré.

Qu'un avocat foit pénétré de la fainteté de fes fonctions, il commencera par ne fe charger que de la caufe qu'il croira jufte alors, écartant l'artifice, il armera la vérité de tous les traits de force & de lumière qui peuvent frapper les efprits; il dédaignera les ornemens puérils & ambitieux ; il parlera avec le férieux de la décence & de la bonne foi; & s'il fe permet l'ironie, ce ne fera que d'un ton févère & pour attacher le mépris à ce qui le doit infpirer: fon refpect pour les lois fe communiquera aux juges, & leur rappellera, s'ils peuvent l'oublier, la dignité de leurs fonctions: ce même respect fe répandra dans l'affem

blée des auditeurs: il les avertira, comme a fait de nos jours l'un de nos avocats les plus célèbres, que le barreau n'est pas un théâtre, ni l'orateur un comédien ; & qu'une caufe où il s'agit de décider ce qui eft juste, eft profanée par des applaudiffemens réservés à ce qui n'eft qu'ingénieux.

Avouons cependant, ce que M. d'Agueffeau n'a pas craint d'avouer, que les juges font des hommes, & que la vérité n'eft pas affez sûre d'elle-même avec eux, pour dédaigner les ornemens de l'art. « Sa première vertu, dit-il en parlant de l'avocat, eft de connoître les défauts des autres (& c'est de ses juges qu'il parle); fa fageffe confifte à découvrir leurs paffions, & fa force à favoir profiter de leur foibleffe. Les ames les plus rebelles, les efprits les plus opiniâtres, fur lesquels la raison n'avoit point de prife, & qui réfistoient à l'évidence même, fe laiffent entraîner par l'attrait de la perfuafion; la paffion triomphe de ceux

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