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lence confifte à la choisir, & à compofer d'après elle, auffi bien qu'elle, & mieux qu'elle-même : ainfi opèrent la Poéfie, la Peinture, & la Sculpture. Tel autre exprime la vérité même, & n'imite rien; mais aux moyens qu'il emploie, il donne toute la puiffance dont ces moyens font fufceptibles: ainfi, l'Eloquence déploie tous les refforts du fentiment, toutes les forces de la raison. Tel autre imite ou par reffemblance ou feulement par analogie : ainfi, la Mufique a deux organes, l'un naturel, l'autre factice, la voix humaine, & les inftrumens qui peuvent feconder la voix, y suppléer, porter à l'ame, par l'entremise de l'oreille, d'agréables émotions.

On voit combien il feroit difficile de réduire, à un même principe, des Arts dont les moyens, les procédés, l'objet different fi effentiellement.

Quand il feroit vrai, comme un muficien célèbre l'a prétendu, que le principe univerfel de l'harmonie & de la mélodie fût dans la nature; il s'enfuivroit

que

que la nature feroit le guide, mais non pas le modèle de la mufique. Tous les fons & tous les accords font dans la nature, fans doute ; mais l'art eft de les réunir & d'en compofer un ensemble qui plaise à l'oreille & qui porte à l'ame d'agréables émotions or qu'on nous dise à quoi ce compofé reffemble. Eft-ce dans le chant des oifeaux, dans les accens de la voix humaine, que la Mufique a pris le fyftême des modulations & des accords?

Cet art eft peut-être le plus profond fecret que l'homme ait dérobé à la nature. Le peintre n'a qu'à ouvrir les yeux; dira-t-on de même que le muficien n'a qu'à prêter l'oreille pour trouver des modèles ? La Mufique, il eft vrai, imite affez fouvent ; & la vérité embellie eft un nouveau charme pour elle: mais qui la réduiroit à l'imitation, à l'expreffion de la nature, lui retrancheroit les plus frappans de fes prodiges, & à l'oreille les plus fenfibles & les plus chers de fes plaifirs. La Mufique reffemble donc, d'un côté, Tome I.

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à la Poéfie, laquelle embellit la nature en l'imitant; & de l'autre, à l'Architecture, qui ne confulte que le plaifir du fens qu'elle doit affecter.

En étudiant les arts, il faut fe bien remplir de cette idée, qu'indépendamment des plaifirs réfléchis que nous caufent la reffemblance & le preftige de l'imitation, chacun des fens a fes plaifirs purement physiques, comme le goût & l'odorat: l'oreille fur-tout a les fiens ; elle y eft même d'autant plus fenfible, qu'ils font plus rares dans la nature. Pour mille fenfations agréables qui nous viennent par le fens de la vue, il ne nous en vient peut-être pas une par le fens de l'ouïe. On diroit que cet organe étant fpécialement deftiné à nous tranfmettre la parole, & la penfée avec elle, la nature, par cela feul, ait cru l'avoir affez favorifé. Tout, dans l'univers, femble fait pour les yeux, & presque rien pour les oreilles. Auffi de tous les arts, celui qui a le plus d'avantage à rivaliser avec la nature, c'ell l'art des accords & du chant.

L'Architecture eft encore moins que la Mufique affervie à l'imitation. Quelle idée, que de lui donner pour modèle la première cabane dont l'homme fauvage imagina de fe faire un abri ! Quand cette cabane, cette ébauche de l'art, en contiendroit les élémens, elle n'a pas été donnée par la nature: elle eft, comme P'église de S. Pierre de Rome, un compofé artificiel : ce fut le coup d'effai de l'induftrie; & il eft étrange de vouloir que l'effai foit le modèle du chef-d'œuvre. Comment tirer de cette cabane l'idée des proportions, des profils, des formes les plus régulières ?

Le prodige de l'art n'a pas été d'employer des colonnes & des chevrons : c'est la plus fimple & la plus groffière des inventions de la néceffité. Le prodige a été de déterminer les rapports des hauteurs & des bases, l'ensemble harmo- . nieux, l'équilibre des maffes, la précision & l'élégance des profils, des faillies, & des contours. Eft-ce la raison, l'analogie, la nature enfin, qui a donné la compo

fition de l'ordre corinthien, le plus magnifique de tous, le plus agréable, & le plus infenfé? Les colonnes rappellent des tiges d'arbres, qui fupportoient de longues poutres, & des folives en travers, figurées par l'entablement ; je le veux bien : mais où l'inventeur de l'ordre corinthien a-t-il

yu, foit dans la nature, foit dans les premières inventions de la nécéffité, un vase entouré d'une plante, placé au bout d'une tige d'arbre, & foutenant un lourd fardeau ? Callimaque l'a vu ce vase ; mais il l'a vu par terre, & ne fupportant rien. L'emploi qu'il en a fait répugne au bon fens & à la vraisemblance ; & cependant cette abfurdité est, au gré des yeux, le plus riche, le plus bel ornement de l'Architecture. Les rouleaux, ou volutes, de l'ordre ionique ne font pas moins ridiculement employés ; & c'eft encore une . beauté. L'art même, depuis deux mille ans, cherche en vain à renchérir sur ces compofitions; rien n'en peut approcher: les proportions de l'Architecture grecque refient encore inaltérables; & fans avoir de

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