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en aller, moi pour mourir, & vous pour vivre, n'eft-ce que du faux bel-efprit?

Il en eft de l'antithefe comme de toutes les figures de Rhétorique : lorsque la circonflance les amène & que le fentiment les place, elles donnent au style plus de grâce & plus de beauté. Il faut prendre garde feulement que l'esprit ne fe faffe pas une habitude de certains tours de penfée & d'expreffion, qui, trop fréquens, cefferoient d'être naturels. C'eft ainfi que l'antithefe, trop familière à Pline le jeune & à Fléchier, paroît, dans leur éloquence, une figure étudiée, quoique peut-être elle leur foit venue fans étude & fans réflexion.

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APOSTROPHE. Rien de plus commun dans les livres que l'on nous donne pour claffiques, que le manque d'exactitude dans les définitions & de jufteffe dans les exemples. Longin, en citant de Démosthène un mouvement oratoire vraiment fublime, a dit: Par cette forme de ferment, que j'appellerai

ici apostrophe, il défie, &c. Longin ne penfoit pas alors à définir rigoureusement l'apostrophe: le fublime étoit fon objet. Il ne falloit donc pas, fur la foi de Longin, donner pour apoftrophe ce qui n'en eft pas une. Et qui ne fait pas que cette figure, ou ce mouvement oratoire, confifte à détourner tout à coup la parole, & à l'adreffer, non plus à l'auditoire ou à l'interlocuteur, mais aux absens, aux morts, aux êtres invifibles ou inanimés, & le plus fouvent à quelqu'un, ou à quelques-uns des affistans ? Or dans le ferment de Démosthène il n'y a rien de détourné : il s'adreffe aux athéniens.

« Non, non, leur dit-il, en vous chargeant du péril (de la guerre contre Philippe) pour la liberté universelle & pour le falut commun, vous n'avez point failli. Non! j'en jure par ceux de vos ancêtres qui bravèrent les hasards de Marathon & par par ceux qui foutinrent le

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choc à la bataille de Platée, &

par ceux qui fur mer livrèrent les combats de Sa

lamine & d'Artemife, & par un grand nombre d'autres qui repofent dans les tombeaux publics ».

Si dans ce moment Démosthène eût employé l'apostrophe, il auroit dit: Je vous en attefle, ou j'en jure par vous, illuftres morts, &c. Mais ce tour, plus artificiel & plus commun, auroit été moins beau. Et en effet, ce n'eft pas dans le fort d'une argumentation auffi ferrée que l'eft celle de Démosthène dans cet endroit de fon apologie, ce n'est point là que l'orateur doit lâcher prise & fe deffaifir de fes juges, pour s'adreffer aux abfens ou aux morts.

Dans ces momens, c'est la partie adverfe qu'on attaque, c'eft un témoin préfent que l'on atteste, c'est un accufateur qu'on preffe, ou un protecteur qu'on implore, c'est quelquefois les juges mêmes qu'on met en scène & qu'on prend à témoin. Ainfi, dans la harangue que. je viens de citer, foit que Demofthène provoque fon adverfaire & lui demande: « Pour qui voulez-vous, Efchine, qu'on

vous répute? pour l'ennemi de la république, ou pour le mien»? Soit qu'il interroge ses juges & qu'il leur demande à eux-mêmes : « Qui empêcha que l'Hellefpont ne tombât fous une domination étrangère ? Vous, Meffieurs. Or, quand je dis vous ; je dis la république. Mais qui confacroit au falut de la république fes difcours, fes confeils, fes actions? qui fe dévouoit totalement pour elle? Moi». Le mouvement oratoire est vif, preffant, irrésistible.

Quelquefois l'apostrophe eft double ; & les deux mouvemens, fe fuccédant avec rapidité, donnent à l'Eloquence le plus haut degré de chaleur. Tel est, contrẻ Ariftogiton, cet endroit du même orateur, rappelé par Longin : « Il ne fe trouvera perfonne entre vous, Athéniens, qui ait du reffentiment & de l'indignation de voir un impudent, un infâme violer infolemment les chofes les plus faintes! Un fcélérat, dis-je, qui . O le plus méchant de tous les hommes!

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rien n'aura pu arrêter ton audace effrenée »>! &c.

J'ai cité ailleurs la plus belle des apoftrophes de Cicéron: Quid enim, Tubero, tuus ille districtus in acie pharfalicâ gladius agebat (a)? Mais cette figure fe reproduit à chaque inftant dans fes harangues. Je ne fais pas pourquoi nous le citons en détail: il faut le lire tout entier, & le relire après l'avoir lu. Tantôt on le verra prendre à la gorge fon adverfaire, le terraffer, le couvrir d'opprobre,& après l'avoir foulé aux pieds & traîné dans la fange, l'abandonner avec mépris à l'indignation publique ; c'eft ainfi qu'il traite Pifon: tantôt s'adreffer à fes juges, comme dans la défenfe de Milon, & invoquer leur témoignage: Sed quid ego argumentor? quid plura difputo? Te, Q. Petilli, appello, optimum & fortiffimum civem; te, M. Cato, teftor; quos mihi divina

(a) « Toi-même, Tuberon, que faifoit ton épée dans le champ de Pharfale »?

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