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leurs leçons. C'eft à table que Chufs (fage empereur chinois) reçut leurs couronnes immortelles. Buvons comme lui, & leur main couronnera notre front ». Si telle eft la philofophie à la Chine, les fages y font affez heureux.

ANALOGIE DU STYL E. Sans compter l'accord de la parole & de la penfée, qui eft la première règle de l'art de parler & d'écrire, nous avons encore dans le ftyle plufieurs rapports à obferver, lefquels peuvent être compris fous le terme d'analogie.

Par l'analogie du ftyle en lui-même, on entend l'unité de ton & de couleur. Le langage a différens tons, celui du bas peuple, celui du peuple cultivé, celui du monde & de la cour, qu'on appelle familier noble, celui de la haute Eloquence, celui de la Poéfie héroïque; & dans tout cela une infinité de gradations & de nuances qui varient encore felon les âges, les conditions, & les mœurs.

Par l'unité de ton & de couleur

ne doit pas entendre la monotonie: le style peut être homogène fans uniformité. C'eft dans la variété des mouvemens & des images que confifte la variété du ftyle. Les tons différens dont je parle, font à la langue ce que les divers modes font à la Mufique chaque mode a fon fyftême de fons analogues entre eux; chaque ftyle a de même un cercle de mots, de tours, & de figures qui lui conviennent, & dont plufieurs ne conviennent qu'à lui. C'eft dans ce cercle que la plume de l'écrivain doit s'exercer : & plus elle y conferve de liberté, de vivacité, & d'aifance, plus, dans ces limites étroites, le ftyle a de variété.

Le ton le plus aisé à prendre & à soutenir, après celui du bas peuple, c'est le ton de la haute Eloquence & de la haute Poéfie: parce qu'il eft donné par les bons écrivains, & qu'il ne dépend prefque plus des caprices de l'ufage. Un homme au fond de fa province peut, en étudiant Racine, Fénelon, & Voltaire, fe former au flyle héroïque.

Le ton le plus difficile à faifir & à obferver avec jufteffe, eft celui du familier noble: parce qu'il est le plus fujet de tous aux variations de la mode; que les couleurs en font auffi délicates que changeantes ; & que, pour les apercevoir, il faut un fentiment très- fin & habituellement exercé. C'eft fur quoi les gens du monde font le plus éclairés & le moins indulgens: toute la fagacité de leur efprit femble appliquée à remarquer les expreffions qui s'éloignent de leur ufage, ou plutôt, fans étude & fans intention, ils en font frappés comme par instinct; & les bienféances de ftyle ont en eux des juges auffi févères que les bienséances de mœurs. Voilà pourquoi un ouvrage dans le genre familier noble ne peut guere être bien écrit, dans notre langue, qu'à Paris, & par un homme qui vive habituellement dans cette fociété choifie qu'on appelle le Monde.

C'est encore moins par la diverfité des tons, que par l'incertitude & la variation continuelle de leurs limites, qu'il eft dif

ficile d'observer, en écrivant, une parfaite analogie de ftyle. Parler la langue fimple de l'honnête bourgeois, fans tomber jamais dans celui du bas peuple ; parler le langage noble & familier de la cour & du monde, fans s'élever jufqu'au ton de la Poéfie & de l'Eloquence, fans s'abaiffer jufqu'au ton bourgeois donner à chacun la couleur & la nuance qui lui eft propre, & conferver fans monotonie cette analogie conftante, dans le degré de nobleffe ou de fimplicité qui lui convient voilà l'extrême difficulté.

A mesure qu'une langue fe polit, & que le goût s'épure, les divers ftyles fe divifent & leur cercle fe rétrécit. Le goût leur faifant le partage des termes & des tours propres à chacun d'eux, une partie de la langue eft réfervée à chacune des claffes dont nous avons parlé, une partie aux arts & aux fciences, une partie au Barreau, une partie à la Chaire & aux ouvrages myftiques; la profe même eft obligée de céder aux vers une

foule d'expreffions hardies & fortes, qui l'auroient animée, ennoblie, élevée, fi l'ufage les y eût admifes.

Bien des gens regrettent la langue d'Amyot & de Montaigne, comme plus riche & plus féconde: c'eft qu'elle admettoit tous les tons; mais elle les confondoit tous. Le goût, qui les a démêlés, a rendu l'art d'écrire plus difficile, mais plus favant, plus habile à tout exprimer. Il étoit impoffible que, fans diftribuer fes tons, fes couleurs, fes nuances, cette langue pût fe donner un Molière & un Boffuet, un Racine & un La Fontaine.

On a prétendu que la diverfité des tons, dans une langue, tenoit à la diftinction des rangs. Mais la nature a fes diftinctions, ainfi que l'ufage & la mode. L'égalité civile n'exclut pas la nobleffe des idées & des images. Cratinus & Sophocle, Plaute & Pacuvius étoient républicains, & n'avoient pas le même ton. En comparant Lucrèce avec Térence, les Satires d'Horace avec fes Odes, ou avec l'Enéïde, on fent que leur langue avoit,

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