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baffement dévoués ; ils fe paffionnent pour lui d'un fanatifme de commande, & d'un enthoufiafme froidement outré 5 ils couvrent de ce zèle toutes leurs haines pour les autres talens ; ils femblent les traîner aux pieds de leur idole ; & en feignant d'élever un grand Homme, de qui leur culte eft méprifé, ils croient mettre au deffous d'eux tout ce qui eft au deffous de lui. Ils fe permettent pour lui, à fon infçu & à fa honte, des manèges dont il n'a pas befoin, & dont il rougiroit; ils croient devoir étouffer des rivaux qu'il n'a pas à craindre; ils lui attribuent la baffeffe de leurs penfées & de leurs fentimens ; font pour luis ens vieux, fourbes, méchans, & lâches ; le rendent lui-même fufpect d'être l'inftigateur & le complice de leurs pratiques odieufes ; & le déshonorent, s'il eft pof fible, en affectant de le fervir.

A l'égard des Lettres, l'Amateur s'ap pelle plus communément Connoisseur; & malheur au fiècle où cette engeance abonde. Ce font les fléaux des talens &

du goût; ils veulent avoir tout prévu, tout dirigé, tout inspiré, tout vu, revu, & corrigé. Ennemis irréconciliables de qui néglige leur avis, & tyrans de qui les confulte, leurs décifions font des lois, qu'ils font un crime à l'écrivain de n'avoir pas religieufement obfervées. Tous les fuccès font dus à leurs conseils, & tous les revers. font la peine de n'avoir pas voulu les croire. Mais en les écoutant, on n'en eft pas plus sûr de fe les rendre favorables; & ce qu'ils ont approuvé la veille avec le plus d'enthoufiasme, ils le condamnent le lendemain, fi le Public ne le goûte pas. Le Public a raifon, ils ont pensé de même, ils ont prédit que cela déplairoit, on n'a pas voulu les entendre. Les plus adroits, lorfqu'ils font confultés, gardent fur les endroits critiques un filence mystérieux, ou prononcent comme les oracles, en fe ménageant, par l'ambiguité de leurs réponses, les deux envers d'une opinion qu'ils laiffent flotter jusqu'à l'événement, afin de ne jamais fe compromettre.

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En fait de Mufique, de Peinture, &c. l'Amateur ne s'érige qu'en juge du talent, & ce n'est là qu'un demi-mal ; mais, en fait de Littérature, il croit rivaliser avec le talent même, & en eft jaloux en fecret. Il n'est pas poffible de se croire peintre, musicien, ftatuaire, fi on ne l'eft pas mais pourquoi l'Amateur ne feroit-il pas bel-efprit autant & plus que l'écrivain? S'il ne produit rien, ce n'est pas le talent, c'eft la volonté qui lui manque ; il auroit fait au moins ce qu'il a infpiré, s'il eût voulu s'en donner la peine.

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De là ce fentiment d'envie contre les talens qui s'élèvent, & cette haîne des vivans, qui lui fait exalter les morts. «Qui plus que moi, vous dira-t-il, eft paffionné pour les Lettres ? Voyez avec quelle chaleur je me transporte d'admiration pour ces hommes de génie, qui, malheureusement, ne font plus» ! Ils ne font plus mais s'ils étoient encore, ils auroient à fes yeux le tort de s'élever fans lui, de briller devant lui, de l'offusquer,

de lui faire fentir une fupériorité humiliante autant de crimes pour la vanité.

Ainfi, les prétendus amis des Lettres ne font rien moins, le plus fouvent, que les amis de ceux qui les cultivent. Les vrais amis des talens font ceux qui les jugent par fentiment & fans prétendre les juger; qui ne demandent qu'à jouir, qu'à être amufés, éclairés, ou agréablement émus; qui, fans connoître l'homme s'en tiennent à l'ouvrage, en profitent s'il eft utile, s'en amusent s'il est amufant, & n'ont point la cruelle & ridicule vanité d'être jaloux du bien qu'il leur fait, ou envieux du plaifir qu'il leur cause.

Pliftarque, fils de Léonidas, apprenant qu'un homme connu pour être envieux & méchant, disoit du bien de lui, répondit: Il me croit donc mort?

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Le feul moyen pour les gens de Lettres de capituler avec l'amour-propre de l'Amateur à prétentions, feroit donc de s'enfevelir, je veux dire, de vivre obscurs & retirés; en forte que, dans le monde, il ne rencontrât que leurs livres,

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& qu'il n'eût jamais avec leur personne ni débats d'opinions, ni affaut de raison, de goût, & de lumières, ni aucune ef pèce de rivalité à foutenir : alors fa vanité n'ayant rien à déméler avec eux face à face, il leur pardonneroit peut-être une existence idéale qui ne lui feroit plus d'ombrage. Mais s'il les trouve dans le monde; s'il les y voit eftimés, applaudis ; s'ils lui enlèvent l'attention; fi leur efprit a quelquefois le malheur d'éclipser le fien; s'ils ont fur-tout un caractère qui ne se plie pas affez aux complaifances, aux déférences, aux adulations qu'il exige; ils font perdus dans fon opinion; ils peu❤ vent compter fur fa haîne ; il les dénonce comme des hommes d'une présomption, d'un orgueil, d'une arrogance infupportable, comme des hommes qu'on ne peut trop rabaiffer & humilier. Il les a foupçonnés de croire valoir mieux que lui: c'eft affez: il affirmera qu'ils n'eftiment rien tant qu'eux-mêmes; que, du côté des rangs & des conditions, ils n'admettent à leur égard nulle espèce d'iné.

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