Euripide, &, mieux que lui, Racine indique, par allufion, l'objet du délire de Phèdre: c'est un trait de génie. Dieux, que ne fuis-je affife à l'ombre des forêts! Quand pourrai-je, à travers une noble pouffière, Suivre de l'œil un char courant dans la carrière ? C'est par allufion qu'Ulyffe, dans le 13°. livre des Métamorphofes, reproche à Ajax d'avoir eu dans fa famille un banni pour le crime de fratricide. ... Mihi Laërtes pater eft; Arcetius, illi, Jupiter, huic ; neque in his quifquam damnatus & exul. L'allufion eft propre fur-tout à la comédie & à la fatire. L'une des plus comiques eft celle que fait le Mifanthrope à la querelle qu'il vient d'avoir avec Oronte. On n'a point à louer les vers de meffieurs tels. Mais de tous les poètes, la Fontaine eft celui qui fait le plus d'allufions. Je ne parle pas de cette allufion générale, des animaux à nous, qui eft de l'effence de l'apologue; je parle de mille traits répandus dans fes Fables, qui touchent plus expreffément à quelque particula rité de langage, de caractère, d'usage, de condition, de moeurs locales, d'opinion, d'érudition, &c. Ratapolis étoit bloquée.... Thémis n'avoit point travaillé, De mémoire de finge, à fait plus embrouillé.... Don Pourceau raifonnoit en fubtil perfonnage... Certain renard gafcon, d'autres difent normand.... Quand il eut ruminé tout le cas dans fa tête.......... Le loup en fait fa cour, daube au coucher du roi, Son camarade absent.... Le renard dit, branlant la tête, Tels orphelins, Seigneur, ne me font point pitié... Faites-en les feux dès ce foir; Et cependant viens recevoir Le baifer de paix fraternelle.... Chacun fut de l'avis de monfieur le doyen.... Un lièvre, apercevant l'ombre de fes oreilles, Craignit que quelque inquifiteur N'allât interpréter à cornes leur longueur.... Eft un morceau de roi ; car vous vivez en dieux... Que l'on ne doit jamais avoir de confiance. En ceux qui font mangeurs de gens....! Ces traits, dis-je, & une infinité d'autres, auffi fins & auffi rapides, réveillent en paffant une multitude d'idées qui rendent le plaifir de cette lecture inépuisable; & c'eft, dans les Fables de la Fontaine, un genre d'agrément, dont Efope & Phèdre n'avoient pas foupçonné que l'apologue fût fufceptible. AMATEUR. Ce feroit une claffe d'hommes précieuse aux Arts & aux Lettres, que celle qui, par un goût naturel, plus ou moins éclairé, mais fincère & juste, jouiroit de leurs productions, s'inrérefferoit à leur gloire, &, felon fes divers moyens, encourageroit leurs travaux. C'est réellement ainsi qu'un petit nombre d'ames fenfibles aiment les Lettres & les Arts, fans que la vanité s'en mêle. Heureux l'écrivain qui peut avoir de pareils amateurs pour confeil & pour juges! Non feulement ils l'éclairent fur les fautes qui lui échappent; mais, comme il les a fans ceffe préfens devant les yeux en écrivant, il en devient plus difficile difficile & plus févère envers lui-même ; & le preffentiment de leur goût règle & détermine le fien. Despréaux avoit pour amis le prince de Conti, le marquis de Trefies, Boffuet, Bourdaloue, Arnauld, l'abbé de Châteauneuf, le préfident de Lamoignon, d'Agueffeau, depuis chancelier : ils étoient pour lui, ce qu'étoient pour Térence Lélius & Scipion. Auffi Térence & Defpréaux fontils les écrivains les moins négligés de leurs fiècles. Le goût de Defpréaux formé à cette école, put former celui de Racine ; & en lui apprenant à écrire pour le petit nombre, il lui apprit à écrire pour la postérité. Mais la foule des Amateurs eft compofée d'une espèce d'hommes qui n'ayant par eux-mêmes ni qualités ni talens qui les diftinguent, & voulant être distingués, s'attachent aux Arts & aux Lettres, comme le gui au chêne, ou le lierre à l'ormeau. Cette espèce parafite n'apporte dans ce commerce que de la vanité, de fauffes luTome I. K mières, des prétentions ridicules, & des manoeuvres fouvent déshonorantes, toujours défolantes pour les Lettres & pour les Arts. Juges fuperficiels & tranchans, leur manie est de protéger ; & comme les grands talens font communément accompagnés d'une certaine élévation d'ame, qui répugne aux protections vulgaires, qui les repouffe, ou du moins les néglige, ces faux Amateurs ne trouvent que dans l'extrême médiocrité, la complaifance, l'adulation, la baffeffe qui leur convient : ils protègent donc ce qui se préfente, n'ayant pas à choifir ; & de là les brigues, les cabales, pour élever leurs efclaves au-deffus des hommes libres, qu'ils détestent, parce qu'ils en font méprifés. Ils ne peuvent leur ôter la gloire; mais ils n'ont que trop fouvent affez de crédit pour leur dérober tous les autres prix du talent. C'est encore pis lorfqu'ils s'attachent à un homme de génie, pour se donner une existence & un reflet de confidération: ils se constituent ses valets les plus |