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L'homme fans talent fe fait des règles de toutes les exceptions, pour excuser ses mal-adreffes ; l'homme habile fait quel

que fois tirer parti des fautes de l'homme mal-adroit.

Du refte, ce n'eft point telle forme de vers, ni leur égalité apparente qui les rend favorables à un chant mefuré : ce font les nombres qui les compofent; c'est l'arrangement fymétrique de ces nombres dans les différentes parties de la période ; c'est la facilité qu'ils donnent à la Mufique d'être fidèle en même temps à la mefure & à la profodie, & de varier le rhythme fans altérer le mouvement; c'est l'attention à placer les repos, à mesurer les espaces, à ménager les fufpenfions ou les cadences au gré de l'oreille; & plus encore au gré du fentiment, qui eft le juge de l'expreffion.

Prenez la plus harmonieufe des odes de Malherbe ou de Rouffeau, vous n'y trouverez pas quatre vers de fuite favorablement difpofés pour un phrase de chant c'eft bien le même nombre de

:

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fyllabes; mais nulle correfpondance, nulle fymétrie, nulle rondeur nulle affimimilation entre les membres de la période, nulle aptitude enfin à recevoir un chant périodique & mélodieux : le mouvement donné par le premier vers eft contrarié par le second; la coupe de l'air, indiquée par ces deux vers, ne peut plus aller aux deux autres ; ici la phrase est trop concife, & là elle est trop prolongée: d'où il arrive que le muficien eft obligé de faire fur ces vers un chant qui n'a point d'unité de motif & de caractère ; ou de mettre le chant dans la fymphonie, & d'y ajuster ça & là les paroles; ou de n'avoir aucun égard à la profodie & au sens.

On fait le même reproche aux vers de Quinault, les plus harmonieux peutêtre qui foient dans notre langue, & fur lefquels il eft rare de pouvoir composer un air ce qui prouve bien que l'harmonie poétique n'eft pas l'harmonie muficale. Quinault a fait le mieux poffible pour l'efpèce de chant auquel fes vers étoient destinés: mais le chant périodi

que, dont il s'agit ici, n'étoit pas connu de fon temps; il ne l'étoit pas même en Italie on fait que le fameux Corelii n'en avoit pas l'idée ; & Lulli, fon contemporain, l'ignoroit comme lui.

L'invention de l'air, ou de la période muficale, eft regardée par les italiens comme la plus précieufe découverte qu'on ait faite en Mufique: la gloire en est due à Vinci. Les italiens en ont abufé, comme on abuse de tous les plaifirs: ils ont fans doute trop négligé la propriété, la vérité, qui fait le charme de l'expreffion, fur-tout dans ces airs de bravoure où l'on a brifé les paroles, dénaturé le fentiment, facrifié la vraisemblance & l'intérêt même, au plaifir d'entendre une voix brillante badiner fur une roulade ou fur un paffage léger, Mais il y a longtemps qu'on a dit que l'abus des bonnes chofes ne prouve pas qu'elles foient mauvaifes. Il faut prendre des italiens ce qu'un goût pur & fain, ce qu'un fentiment jufte & délicat approuve ; leur laiffer le luxe & l'abus, fe garantir de

l'excès, & tâcher de faire comme ils ont fait fouvent, c'est-à-dire, le mieux poffible.

L'art d'arrondir & de fymétrifer la période musicale, a été jufqu'ici peu connu des françois, fi ce n'eft dans leurs vaudevilles, où la phrase d'un chant donné a prefcrit le rhythme des vers. Mais par les effais que j'en ai faits moi-même au gré d'un musicien habile, j'ofe affurer que notre langue s'accommode facilement à cette formule de chant. On commence à le reconnoître; on commence même à fentir que le charme de l'air, phrafé à l'italienne, manque à la fcène de l'Opéra françois, pour l'animer & l'embellir; & lorfqu'on faura l'y employer avec intelligence & avec avantage, ainfi que le duo & le récitatif obligé, il en résultera, pour l'Opéra françois, fur l'Opéra italien, une fupériorité que je ne crains pas de prédire. (Ceci est écrit il y a long-temps.)

Mais on aura toujours à regretter que les chef-d'œuvres de Quinault foient pri vés de cet ornement; & celui qui réuf

firoit à les en rendre fufceptibles, en confervant à ces poèmes leurs inimitables beautés, feroit plus qu'on ne fauroit croire pour les progrès de la Mufique en France, & pour la gloire d'un théâtre où Quinault doit toujours régner.

Quelque mérite que l'on fuppofe à Lulli, la facilité, la nobleffe, le naturel de fon récitatif peuvent être imités ; & dans tout le refle il n'eft pas difficile d'être fupérieur à lui. Mais rien peutêtre ne remplacera jamais les poèmes de Théfée, de Roland, & d'Armide; & toute nouveauté qui les bannira du théâtre, nous laiffera de longs regrets.

Le moyen le plus infaillible de nous rendre tout à coup paffionnés pour une Mufique nouvelle, ce feroit donc de l'adapter à ces poèmes enchanteurs ; & ce n'est pas fans y avoir réfléchi, que je crois cela très-poffible.

Deux chef-d'œuvres de M. Piccini ont vérifié mon preffentiment; & ce qu'on ne trouvoit pas encore affez prouvé par ces opéra de Roland & d'Atys, il l'a

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