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Le retour subit de l'opinion en faveur de M. de Cambrai fit sentir à ses ennemis la nécessité d'une nouvelle réponse. Cette réponse fut encore de Bossuet. Fénelon ne fit pas attendre la sienne ; et celle-ci produisit un si prodigieux effet sur l'abbé Bossuet, qu'il est impossible de l'exprimer autrement qu'en citant ses propres paroles: C'est une bête féroce, › disait-il de Fénelon, qu'il faut poursuivre › pour l'honneur de l'épiscopat et de la vérité, jusqu'à ce qu'on l'ait terrassée, et mise hors › d'état de ne plus faire aucun mal. Saint Au› gustin n'a-t-il pas poursuivi Julien jusqu'à la › mort? Il faut délivrer l'Eglise du plus grand › ennemi qu'elle ait jamais eu. Je crois qu'en ‣ conscience les évêques, ni les rois, ne peu› vent laisser M. de Cambrai en repos. »

Langage d'inquisiteur. Avec de telles passions on calomnie au dix-septième siècle, mais on aurait brûlé au quinzième. On s'étonne toujours que le grand Bossuet ait pu autoriser, même de son silence, un pareil langage, dans des lettres qui lui étaient adressées, et par un homme qui portait son nom.

Mais quelles étaient donc les doctrines qui allumaient des haines si furieuses? On s'étonnera peut-être de ne les trouver nulle part dans l'esquisse rapide de ces débats. En effet, aucun des passages que nous avons cités ne les rappelle; et s'il était besoin de justifier notre silence, nous dirions qu'en rapportant avec détail cette mémorable discussion, notre but était de peindre le caractère des deux antagonistes, et non le sujet de leur querelle. Mais à cette heure l'explication devient indispensable, et elle ne peut qu'ajouter à la gloire de Fénelon, même lorsque l'amour de la vérité nous oblige à prendre parti contre lui.

Les principes développés dans le livre de Fénelon peuvent se réduire à ces deux points:

1.

Il est dans cette vie un état de perfection › dans lequel le desir de la récompense et la › crainte des peines n'ont plus lieu. »

2.

› condamnées à la peine éternelle, elles feraient » à Dieu le sacrifice absolu de leur salut. » Cette doctrine, qui touche au sublime par le détachement des choses terrestres, et l'abnégation complète devant Dieu, fait naître deux questions bien distinctes, que nous formulerons ainsi :

1o Peut-on considérer le détachement complet des choses terrestres, et le sacrifice de tous nos intérêts à la volonté de Dieu, comme l'expression véritable de la sainteté ?

2° Cet abandon complet n'offre-t-il rien de dangereux pour les mœurs, pour le monde, pour la société?

La première question est résolue par le fait. Oui, le détachement sans réserve des choses terrestres, la soumission à la volonté de Dieu dégagée de la crainte et de l'espérance, voilà bien les divers degrés de la vie ascétique et contemplative, le point de perfection vers lequel les saints gravissaient dans les premiers siècles, avec plus ou moins d'ardeur et d'amour.

Sous ce rapport, Fénelon ne se trompe pas. Sa doctrine exprime un fait dont la preuve se trouve à chaque page de la Vie des Saints.

Aussi les examinateurs nommés par le pape disaient-ils qu'on ne pouvait condamner le livre sans condamner saint François de Sales et saint Thomas, dont Fénelon n'avait fait que reproduire l'esprit, la doctrine et les expressions sans condamner aussi la doctrine céleste de tous les saints canonisés par le Saint-Siége 2.

Mais la seconde question ne lui est pas aussi favorable, et les résultats de la doctrine peuvent faire douter de sa moralité. En effet, les deux paragraphes qui la résument formulent un état de perfection idéale qui tend à établir l'indifférence complète des bonnes mœurs, puis l'indifférence complète du bien et du mal, puis enfin l'indifférence complète de la vie terrestre, de la vie de l'humanité, de la prospérité du genre humain, qui est la base de toute la doctrine évangélique.

Ainsi la doctrine du quiétisme, considérée, non sous le rapport théologique, mais d'une manière philosophique, est une doctrine rétrograde en ce sens qu'elle veut réaliser aujour

Il est des ames tellement embrasées de l'a-d'hui des faits déja accomplis, des faits qui ont >mour de Dieu, et tellement résignées à la › volonté de Dieu, que si, dans un état de tentation, elles venaient à croire que Dieu les a

Voyez les lettres de l'abbé de Chanterac, Corr., tom. vIII. 2 Corr., tom. x, pag. 331.

pag. 391.

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dû servir à l'établissement du christianisme, à une | tivement, non plus le jugement, mais la conépoque où les peuples ne pouvaient se spiritua- damnation de Fénelon, pour le bien de l'Église, liser que par de grands exemples de détache- la tranquillité des fidèles et la gloire de Sa Sainment et de contemplations célestes! telé.

Bien plus, la doctrine du quiétisme est une doctrine dangereuse en ce qu'elle décomplète l'homme, en ce qu'elle le prive des facultés que Dieu lui a données, pour le livrer à des contemplations qui l'isolent, à des détachements qui l'arrachent à sa famille, à son pays, à ses devoirs humains, et à la loi de la nature, qui est la volonté de Dieu.

La vie de détachement, la vie des saints, portée à ce point d'exaltation, comme la considérait Fénelon, était donc à la fois rétrograde, dangereuse et coupable: coupable envers la société et envers Dieu, dont elle scindait les ouvrages et condamnait la pensée. Nous ne la jugeons pas ici d'après les formes théologiques : notre point de vue est entièrement moral, aussi est-il entièrement nouveau. Quant à la partie théologique, elle est trop bien développée dans Bossuet et dans Fénelon pour qu'il soit fort utile d'y revenir.

Cet exposé rapide explique bien des choses, et entre autres choses l'embarras de Rome, qui, après quinze mois de discussion, était encore partagée sur la doctrine, et ne voulait ni approuver ni condamner Fénelon. C'est faute d'avoir bien compris la portée de ce qu'on lui demandait, qu'on s'est étonné de ses incertitudes et de sa longanimité. En effet, il ne s'agissait de rien moins pour elle que de blâmer, dans Fénelon, ce qu'elle approuvait dans la plupart des saints de l'Église, cette doctrine céleste, ce chemin assuré à la perfection, de tous les saints canonisés par la cour de Rome! Plus le scandale était grand, plus son jugement devenait difficile: aussi l'audace et la ténacité de Bossuet étaientelles plus embarrassantes pour les juges que

toutes les erreurs de Fénelon.

Le partage des théologiens de Rome, au milieu de tant de manoeuvres, d'intrigues, de séductions, de sollicitations, et après tous les efforts et tous les écrits de Bossuet, était presque une injure pour ce grand génie, et le déterminèrent à provoquer des mesures d'autorité. Louis XIV fut mis en jeu, et madame de Maintenon en obtint une lettre où il demandait posi

Corr. tom. X, pag. 353.

Cette lettre fut suivie d'un mémoire encore signé par le roi, mais rédigé par Bossuet, l'on s'étonnait des ménagements de la cour de Rome, et où on la menaçait des plus fâcheuses extrémités, si la condamnation n'était pas prononcée.

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Ce fut le dernier acte de cette grande affaire. L'intrigue et la calomnie n'avaient pas suffi: pour que rien ne manquât à la gloire du condamné, on y ajouta les instances, puis les sollicitations, puis les menaces d'un roi. Enfin le bref parut. Le pape y déclarait qu'après avoir pris les avis des cardinaux et docteurs en théologie, il condamnait et réprouvait, de › son propre mouvement, le livre des Maximes, d'autant que, par la lecture et l'usage de ce livre, les fidèles pourraient être insensible›ment conduits dans des erreurs déja condam› nées par l'Église catholique; et aussi comme › contenant des propositions qui dans le sens » des paroles, ainsi qu'il se présente d'abord, > et selon la suite et la liaison des sentiments, » sont téméraires, scandaleuses, malsonnantes, > offensives des oreilles pieuses, pernicieuses » dans la pratique, et erronées respective›ment. Le bref rapportait ensuite vingt-trois propositions extraites du livre des Maximes des Saints, et que le pape déclarait soumises respectivement aux qualifications énoncées. Il est remarquable que le pape et les cardinaux s'étaient refusés à comprendre, dans les qualifications données aux vingt-trois propositions, celle

d'hérésie.

C'était le 25 mars, jour de l'Annonciation : Fénelon allait monter en chaire, quand son neveu, parti de Paris en poste, lui apprit le jugement de Rome, avant que les dépêches de l'abbé de Chanterac lui fussent parvenues. Dans cette affreuse position, il ne se démentit point; au lieu de prononcer le discours qu'il avait préparé pour la fête de la Vierge, il change aussitôt son plan, se recueille quelques minutes, et adresse à son auditoire une allocution touchante sur l'obéissance que nous devons tous à nos supérieurs. La sérénité de son ame se montre à la fois sur son visage et dans ses paroles, et son intention de se soumettre sans réserve au juge

des larmes à tous les assistants.

C'est ainsi qu'il reçut sa condamnation, avec une soumission entière, sans autre faste que son obéissance.

ment suprême d'un tribunal supérieur arracha | à la Bastille, et ce ne fut qu'en 1702 que la liberté lui fut rendue. Elle se retira d'abord dans sa famille, puis à Blois, où elle resta dans l'oubli le plus complet jusqu'à sa mort; femme sin gulière, qui recevait les affronts, les emprisonnements, le décri, l'abandon des hommes comme des faveurs du ciel; qui resta pure au milieu des calomnies, grande au milieu des persécutions, libre au milieu des chaînes, et qui, dans les transports de son amour pour son Dieu, changeait en cantiques d'actions de grace toutes les infamies dont ses ennemis s'efforçaient de la couvrir !

Un seigneur parlant au duc de Bourgogne, et lui disant : « Monseigneur, la doctrine de › M. de Cambrai vient d'être condamnée, le duc de Bourgogne lui répondit : « celle qu'il m'a › enseignée ne le sera jamais'. »

On peut lire dans le recueil des œuvres que nous publions, à la suite des pièces à l'appui des Maximes des saints, le bref du pape qui les condamne, et le mandement où Fénelon adhère sans restriction à cette condamnation, et défend à tous les fidèles de son diocèse de lire et de garder son livre. Nous nous consolerons, dit›il, mes très chers frères, de ce qui nous humi› lie, pourvu que le ministère de la parole, que › nous avons reçu du Seigneur pour votre sanc› tification, n'en soit pas affoibli, et que non› obstant l'humiliation du pasteur, le troupeau › croisse en grace devant Dieu. ›

L'heureuse impression que produisit sur tous les cardinaux le mandement de l'archevêque de Cambrai, et la lettre soumise qu'il y avait jointe pour le pape, les porta à voter unanimement que sa sainteté serait invitée à faire une réponse honorable à ce prélat.

Le pape saisit avec empressement cette occasion de donner à Fénelon un témoignage honorable de sa bienveillance. Le bref fut préparé aussitôt; il était plein de sentiments d'estime et des expressions les plus flatteuses. Mais l'abbé Bossuet, fidèle à sa haine, envia cette faible consolation à Fénelon. Il fit intervenir le nom du roi pour paralyser la cour de Rome; enfin il tenta de faire dépouiller Fénelon de l'archevêché de Cambrai, d'arracher le pasteur à son troupeau pour cause d'indignité, accusant Bossuet de faiblesse, si par l'intervention du roi il n'obtenait du pape la déposition de Fénelon. Les lettres de l'abbé Bossuet offrent des traces honteuses de toutes ces intrigues, qui trop souvent trouvèrent un appui dans l'évêque de Meaux. Celle-ci, nous devons l'avouer, n'eut

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Ainsi finit, pour ne se réveiller jamais, cette grande affaire d'un livre qui ne trouva plus de défenseur parce que l'auteur l'avait sincèrement abandonné.

La promptitude et la simplicité de cette soumission surprirent le roi, à qui l'on avait représenté Fénelon comme un homme entêté de ses opinions. Il voyait, au contraire, que si la fermeté de M. de Cambrai avait été inébranlable devant ses ennemis, sa soumission avait été parfaite et sans réserve devant le chef de l'Église, seul juge en de telles matières. On commençait à se rappeler ses vertus; le duc de Bourgogne ne les avait jamais oubliées, et sa tendre reconnaissance pour les soins de son précepteur n'échappait aux regards de personne. Au milieu de cette disposition toute favorable des esprits, on crut un moment que Fénelon allait être rendu à la cour, à son élève, à son ancienne faveur. Il n'en fut rien: Fénelon resta dans son diocèse, il continua de s'y livrer à tous les exercices de son saint ministère. Le riche, le pauvre, avaient un égal accès dans le palais épiscopal. Tous ve naient lui demander des conseils et de l'appui, et tous sortaient consolés et éclairés. Bien plus, il allait chercher dans les greniers, dans les prisons, dans les chaumières, ceux qui ne pouvaient venir à lui, et souvent on le vit aborder de simples soldats de la garnison de Cambrai, à dessein de leur insinuer en passant quelques saintes pensées.

Au premier signe, au premier desir des personnes, dit un témoin oculaire, l'abbé Galet, il accouroit dans les prisons. Là, au milieu de la puanteur, dans l'obscurité des sombres cachots, il passoit des heures à consoler les misérables captifs; et souvent, touché de leurs souffrances, il les consoloit par d'abondantes au

mônes, par la parole de vie, et surtout par sa tendre pitié!

« Une fois entre autres, continue l'abbé Galet, qu'il revenoit des prisons, il se donna la peine de passer dans ma chambre pour me raconter avec effusion de cœur ce qui s'y étoit passé. Je viens, me dit-il, d'un cachot où j'ai vu des criminels qui, bien loin de craindre les supplices les plus affreux, les regardent, au contraire, comme une punition encore trop douce de leurs fautes: contents de mourir, ils ne desiroient que ma bénédiction et un mot d'exhortation. Ils ont même refusé un petit bien que j'ai voulu leur faire. Nous n'avons besoin de rien, m'ont-ils dit, que de la grace de bien mourir. Oh! que j'ai été édifié des dispositions de ces pauvres gens! mon Dieu, que leur disposition confond ma lâcheté !'»

Persuadé que la fonction la plus utile du pasteur est de répandre la vérité, il se fit entendre dans toute l'étendue de son diocèse. Ses visites pastorales retraçaient, au naturel, les premières courses apostoliques. Même zèle de la gloire de Dieu, même désintéressement pour soi-même, même ardeur pour le salut des ames. Prêcher, confesser, catéchiser, confirmer, réformer, consoler, étaient ses plus chères délices. Dès le grand matin il se rendait à l'église, de l'église au lit des malades et aux prisons, puis il faisait le catéchisme aux petits enfants, et le cercle entier de ses journées n'était qu'un cercle de bienfaits.

La promenade et l'étude venaient ensuite le délasser. Dans ses promenades, il passait le temps à s'entretenir utilement avec ses amis, ou à chercher l'occasion de faire du bien. Quand il rencontrait sur son chemin quelques paysans, il s'asseyait sur l'herbe avec eux, les interrogeait en bon père sur l'état de leur famille, leur donnait des avis pour régler leur petit ménage et pour mener une vie chrétienne. Souvent aussi il entrait chez eux pour leur parler de Dieu et les consoler dans leurs misères: si ces pauvres gens lui présentaient quelques rafraichissements, suivant la mode du pays, il ne dédaignait point d'en goûter, et ne leur montrait aucune délicatesse qui aurait pu les affliger. Il rencontra un jour, dans les champs, un pauvre villageois presque au désespoir. Il alla à lui, et voulut savoir la cause de son affliction. Ah!

1 Principales vertus de Fénelon, par l'abbé Galet, p. 177.

mon bon seigneur, s'écria le paysan, je suis le plus malheureux des hommes, ma pauvre vache est perdue; je l'avais conduite dans cette prairie, et maintenant je ne la retrouve plus. C'était tout mon bien, je suis ruiné : que vais-je devenir?-Ne vous désespérez pas, dit l'archevêque ; elle ne peut être bien loin, et je veux la chercher avec vous. Vous verrez que Dieu la rendra à nos prières. En effet, s'étant fait donner le signalement de cet animal, il suivit ses traces à travers champs; et après une course de plusieurs heures, il eut le bonheur de la rencontrer, et, l'ayant chassée devant lui, il la ramena lui-même à la pauvre famille qui la pleurait.

Au milieu de ses travaux apostoliques, il trouvait encore du temps pour écrire à son élève, pour le maintenir dans les principes de justice et de bonté qu'il lui avait inspirés. Pour les lui retracer avec plus de force, il rassembla les matériaux épars de Télémaque, et en composa un ouvrage complet, et digne de servir à la fois de modèle et de leçon à un souverain.

L'infidélité d'un domestique, qui en tira une copie, livra le Télémaque au public, à peu près à l'époque où le livre des Maximes des Saints était condamné par le pape (1699). Les exemplaires furent saisis, les imprimeurs maltraités, et on usa, au nom de Louis XIV, des mesures les plus sévères pour anéantir un livre qui devait accroître la gloire du grand siècle littéraire. Quelques exemplaires échappèrent par hasard; le livre fut réimprimé en Hollande; et les ennemis de Fénelon ayant vu, dans le tableau d'un bon roi, la satire du règne de Louis XIV, et Louis XIV lui-même croyant y découvrir une censure amère de son ambition, la disgrace de l'auteur fut irrévocablement prononcée.

La prévention de Louis XIV contre ce livre était si connue, on craignait tellement d'offenser son oreille en prononçant seulement le nom de Télémaque, qu'après la mort de l'auteur, ce livre étant répandu dans toute l'Europe et traduit dans toutes les langues, M. de Boze, qui succéda à Fénelon à l'Académie française, n'osa parler du Télémaque dans son discours et que M. Dacier, dans sa réponse à M. de Boze, crut devoir garder le même silence. C'était au mois de mars 1715; Louis XIV ne devait survivre que cinq mois à cette singulière flatterie.

Tout est modèle aux hommes de génie, ils

› dans les maisons et les hôpitaux où l'on avoit dispersé les soldats; et tout cela sans oubli, > sans petitesse, et toujours prévenant, avec les > mains ouvertes une libéralité bien entendue, › une magnificence qui n'insultoit point, et qui › se versoit sur les officiers et sur les soldats, qui embrassoit une vaste hospitalité, et qui, pour la table, les meubles et les équipages, › demeuroit dans les justes bornes de sa place; également officieux et modeste, secret dans les assistances qui pouvoient se cacher, et qui étoient sans nombre; leste et délié sur les autres jusqu'à devenir l'obligé de ceux à qui il » les donnoit, et à le persuader; jamais empressé, jamais de compliment, mais d'une po> litesse qui, en embrassant tout, étoit toujours › mesurée et proportionnée, en sorte qu'il sembloit à chacun qu'elle n'étoit que pour lui,

reproduisent ce qu'ils voient, ce qu'ils entendent, ce qu'ils sentent : ils font de la chose présente une chose passée; les actions qui les frappent ou qui les émeuvent deviennent, sous des noms anciens, des actions antiques. Euxmêmes ils se reproduisent, ils se peignent sans le savoir, comme ils reproduisent, comme ils peignent leur siècle. Que Télémaque donc soit le reflet des impressions de Fénelon sous un grand règne, rien de plus vrai; qu'il soit une satire, une personnalité contre Louis XIV, rien de plus faux. L'action du poëme, les caractères qu'on y admire sont dans la nature, mais ils ne sont pas une copie de tel ou tel personnage, une allusion à tel ou tel événement....... Accuser Fénelon d'avoir fait la critique de son siècle sous le voile d'une brillante allégorie, c'est rapetisser son génie, c'est le réduire aux minces dimensions ́d'un pamphlétaire, ou d'un peintre de portraits.» avec cette précision dans laquelle il excelloit Les hommes comme Fénelon ne tracent pas des › singulièrement aussi étoit-il adoré de tous. portraits, ils gravent des types! › L'admiration et le dévouement pour lui étoient » dans le cœur de tous les habitants des Pays› Bas, quels qu'ils fussent, et de toutes les do›minations qui les partageoient, dont il étoit l'amour et la vénération. ›

Ce fut deux ans après la publication de Télémaque que la fortune de Louis XIV commença à fléchir. La guerre de succession fut le terme de ses prospérités, et lui fit expier d'une manière» bien dure l'orgueil de ses premiers triomphes. Le diocèse de Cambrai fut souvent le théâtre de cette guerre. Les alliés portèrent leurs forces du côté de la Flandre, et elles furent dirigées par leurs plus habiles généraux. Nous leur opposâmes les Vendôme, les Boufflers, les Berwick, les Villars, les Vauban, et le duc de Bourgogne y fit ses premières armes. Tout intéressait Fé nelon dans cette guerre : il s'agissait du sort de son pays et de la gloire de son élève. On peut juger de ce que sa belle ame eut à souffrir au milieu de nos désastres, lorsque le sang coulait par torrent autour de lui, lorsque les cris des étrangers lui apprirent que la France expirante avait trouvé des vainqueurs !

C'est alors qu'il montra ce beau caractère et ces vertus sublimes qui honorent sa mémoire autant que les productions de son génie. Son palais devint l'asile des officiers et des soldats blessés: Tous étoient logés, défrayés, servis › comme s'il n'y en avoit eu qu'un seul, et lui › ordinairement présent aux consultations des médecins et des chirurgiens. Il faisoit d'ailleurs auprès des malades et des blessés les > fonctions du pasteur le plus charitable, et › souvent il alloit exercer le même ministère

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Et qu'on ne croie pas que ce passage soit emprunté à un de ces éloges académiques où la vérité ne doit jamais se montrer qu'à travers l'exagération! Il est tracé par un écrivain qui louait rarement, qui avait peu d'estime pour les hommes, et qui n'aimait pas Fénelon. C'est un acte de simple justice, arraché au cœur le plus sec, à l'esprit le plus mordant de la cour de Louis XIV, au duc de Saint-Simon.

Le nom et la personne de Fénelon n'étaient pas seulement bénis par les Français. Télémaque avait fait une si grande impression dans l'étranger, que son auteur devint l'objet du culte et de l'admiration de toute l'armée ennemie. Au milieu des fureurs de la guerre, on épargna ses domaines, ses magasins et son palais. Les généraux ennemis mirent des gardes dans tous les bourgs et dans tous les villages où Fénelon possédait quelque chose ; et les possessions de l'archevêque devinrent en quelque sorte un lieu d'asile et de refuge pour tous les habitans des environs.

Le duc de Marlborough alla plus loin. Sonarmée se trouvait à la vue des remparts de Cambrai, et elle séparait l'armée française de la petite ville de Cateau-Cambrésis, principal domaine

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