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et le plus digne d'être suivi mais d'un côté je vois que ce Dieu, qui se doit tout à lui-même, n'a pu créer les hommes que pour lui rendre un culte public d'amour et d'obéissance : d'un autre côté, je ne trouve ce culte public d'amour que chez le peuple juif. Les païens ont craint leurs faux dieux; ils ont voulu les apaiser, ils leur ont donné de la graisse, du sang, des victimes, de l'encens, des temples, d'autres dons grossiers; mais ils ne leur ont jamais donné leurs cœurs, ils n'ont jamais eu la pensée de les aimer, encore moins celle de les préférer à eux-mêmes, et de ne s'aimer que pour l'amour d'eux aussi ne regardoient-ils aucun dieu comme créateur. Jupiter même, quoique fort supérieur en puissance à toutes les autres divinités, n'étoit point regardé comme ayant tiré aucun être du néant; il avoit seulement, selon eux, trouvé une matière plus ancienne que lui et éternelle, qu'il avoit façonnée en débrouillant le chaos.

Pour tous les philosophes, ils ont regardé la raison, la justice, la vertu, la vérité en ellesmêmes : ils ont cru que les dieux donnoient la santé, les richesses, la gloire; mais ils ont pretendu trouver dans leur propre fonds la vertu et la sagesse qui les distinguoit du reste des hommes. Ils n'ont jamais développé ni le bienfait de la création, ni la puissance du Créateur, ni l'amour de préférence sur nous-mêmes qui lui est dû. Ainsi, en parcourant toutes les nations de la terre dans les anciens temps, je ne vois que le peuple juif qui adore le vrai Dieu, et qui connoisse le culte d'a

mour.

Mais cet amour est plutôt figuré que pratiqué réellement chez ce peuple: il y est plutôt promis pour l'avenir que répandu actuellement dans les cœurs. J'aperçois dans cette nation un certain nombre de justes qui sont pleins de ce culte d'amour; mais le plus grand nombre n'est occupé que des cérémonies, des sacrifices d'animaux, et d'un culte extérieur, pour obtenir de Dieu la paix, la santé, la liberté, la rosée du ciel et la graisse de la terre. Tous attendent un Messie qui leur est promis, et qui est figuré dans tous leurs mystères; mais les uns, en petit nombre, l'attendent comme celui qui doit purifier les mœurs, renouveler le fond de l'homme, guérir les plaies du péché, répandre la connoissance et l'amour de Dieu, et renouveler la face de la terre; les autres, qui font la multitude, n'attendent qu'un Messie grossier, conquérant, heureux et invincible, qui flattera leur orgueil, dont le règne s'étendra sur toutes les nations, et qui comblera les Juifs de prospérités temporelles.

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Les uns et les autres conviennent que leur religion n'est encore qu'une figure de ce qu'elle doit être sous le règne de ce Messie: tous reconnoissent que, suivant les Écritures qu'ils nomment divines, ce Messie doit attirer au culte du vrai Dieu toutes les nations idolâtres. Indépendamment de toutes les subtilités de leurs rabbins sur l'interprétation de ce texte, il est évident, et par ce texte même, et par l'explication qu'ils lui donnent tous, que le Messie doit établir partout le vrai culte d'amour, et abolir l'idolâtrie. Je n'ai garde d'entrer dans toutes les subtilités mystérieuses de ces rabbins; il me suffit de voir en gros deux choses qui sont, pour ainsi dire, palpables: l'une est que tous les temps marqués par les Juifs pour l'avénement du Messie sont passés; qu'ils ne veulent plus que l'on compte les temps; qu'ils ne savent plus à quoi s'en tenir, comme des gens qui ont perdu leur route; que dans une si longue dispersion toutes leurs tribus sont confondues; qu'ils n'ont plus même de marques auxquelles ils pussent reconnoître leur Messie, s'il venoit maintenant; qu'ils portent depuis plus de seize cents ans toutes les marques de la malédiction prédite dans leurs livres, et qui doit demeurer sur eux jusqu'à la fin, pour avoir méconnu l'envoyé de Dieu.

L'autre chose que je remarque est que JésusCHRIST porte le signe du vrai Messie: il a attiré à lui les gentils selon les promesses. De tant de peuples barbares et idolâtres, il n'en a fait qu'un seul peuple, qui a brisé les idoles, qui adore le vrai Dieu créateur, qui lui rend le vrai culte d'amour, et qui est uni dans ce culte depuis un bout du monde jusqu'à l'autre. L'Europe entière est pleine de chrétiens: il n'y a guère de royaumes en Asie, jusqu'au-delà des Indes, où l'on n'en trouve de répandus. Ils ont pénétré bien loin au-delà de tous les pays qui composoient tout le monde connu du temps des anciens Juifs, des Grecs et des Romains: ils sont dans tous les pays de l'Afrique dont l'entrée est libre; tous les vastes pays de l'Amérique, qui est le NouveauMonde, sont gouvernés par eux. Ainsi, depuis le lieu où le soleil se lève jusqu'à celui où il se couche, dans les deux hémisphères, on offre à Dieu pour victime sans tache JÉSUS destiné à effacer les péchés de la terre. Tous s'unissent à lui, pour ne faire avec lui qu'une seule victime d'amour; et tous ceux qui pèchent frappent leur poitrine pour obtenir par lui la miséricorde dont ils ont besoin.

Laissons là toutes les disputes sur le détail,

CHAPITRE VI.

De la religion chrétienne.

Ce qui me paroît le caractère du vrai culte n'est pas de craindre Dieu, comme on craint un

puisque le gros nous suffit pour décider de tout. | vérité; en un mot, cet amour qui est lui seul la Ce qui est manifeste sans discussion, c'est qu'il loi et les prophètes. n'y a sur la terre que ces deux peuples, savoir, le juif et le chrétien, qui me montrent ce culted'amour que je cherche partout pour l'embrasser : il faut que je me fixe à le pratiquer chez l'un de ces deux peuples. Or, entre ces deux peuples, je ne puis faire aucune sérieuse comparaison. Quoique l'un et l'autre aient les imperfections in-homme puissant et terrible qui accable quiconque séparables de l'humanité, le peuple chrétien a des traits de perfection qui sont infiniment au-dessus de tout ce qu'il y a de meilleur dans le peuple juif. Le peuple juif m'avertit lui-même par sa loi, par ses cérémonies, par ses promesses, par toutes les circonstances de son état, qu'il n'a la vraie religion qu'en figure; qu'il n'est lui-même que comme ces moules de plâtre qu'on fait pour une figure de marbre ou de bronze que l'on prépare. Je trouve dans le peuple chrétien, composé de tous les peuples du monde connu, le peuple héritier des promesses, le peuple enté sur l'ancienne tige de la race d'Abraham: c'est le peuple adopté, qui ne fait qu'un même corps et une succession non interrompue depuis le patriarche jusqu'à nous. Par-là je trouve ce que je cherche, c'est-à-dire ce culte d'amour qui doit être aussi ancien que le monde, et pour lequel le monde lui-même a été fait. Je le vois distinctement marqué dans tous les âges: il naît dans le paradis terrestre; il n'est point éteint par le péché d'Adam; une partie de sa postérité le continue; il se renouvelle après le déluge; Abraham le transporte; Moïse le rend plus éclatant par ses cérémonies; les saints de l'ancienne alliance le pratiquent, et en prédisent la perfection: elle est réservée au Messie. Jésus vient nous familiariser avec Dieu, et nous enseigner le désiutéressement du vrai culte; il vient nous apprendre, non à vivre dans les délices et dans la gloire mondaine, non à égorger des animaux et à brûler de l'encens à Dieu pour en tirer une félicité terrestre. comme les Juifs se l'imaginent, mais à nous renoncer nous-mêmes pour ne nous aimer plus qu'en lui, pour lui, et de son amour. Malgré l'infir-raison doit-on croire que le Dieu qui ne nous a mité des hommes, on en voit un grand nombre que cette religion si pure possède et anime: cet amour du vrai Dieu produit en cux toutes les vertus opposées à l'amour-propre.

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ose lui résister. Les païens offroient de l'encens et des victimes à certaines divinités malfaisantes et terribles, pour les apaiser. Ce n'est point là l'idée que je dois avoir du Dieu créateur: il est infiniment juste et tout puissant : il mérite sans doute d'être craint; mais il n'est à craindre que pour ceux qui refusent de l'aimer, et de se familiariser avec lui. La meilleure crainte qu'on doive avoir à son égard est celle de lui déplaire et de ne faire pas sa volonté. Pour la crainte de ses châtiments, elle est utile aux hommes égarés de la bonne voie, parce qu'elle fait le contre-poids de leurs passions, et qu'elle sert à réprimer les vices; mais enfin cette crainte n'est bonne qu'autant qu'elle lève les obstacles, et qu'en les levant elle répare à l'amour. Il n'y a point d'homme sur la terre qui voulût être craint par ses enfants, sans en être aimé : la crainte seule des punitions n'est point ce qui peut entraîner un cœur libre et généreux. Quand on ne pratique les vertus que par cette seule crainte, sans avoir aucun amour du vrai bien, on ne les pratique que pour éviter la souffrance; et, par conséquent, si on pouvoit éviter la punition en se dispensant de pratiquer les vertus, on ne les pratiqueroit point. Non seulement il n'y a point de père qui veuille être honoré ainsi, ni d'ami qui veuille donner le nom d'amis à ceux qui ne tiendroient à lui que par de tels liens; mais encore il n'y a point de maître qui voulût ni récompenser des domestiques, ni s'affectionner pour eux, ni les choisir pour son service, s'il les voyoit attachés à lui par la seule crainte, sans aucun sentiment de bonne volonté à plus forte

faits capables d'intelligence et d'amour que pour être connu et aimé de nous ne se contente pas d'une crainte servile, et veut que l'amour, qui vient de lui comme de sa source, retourne à lui comme à sa fin.

Je comprends même qu'il ne suffit pas d'aimer ce Dieu comme nous aimons toutes les choses qui nous sont commodes et utiles; il ne s'agit pas de le mettre à notre usage, et de le rapporter à nous; il faut au contraire nous rapporter entièrement à

lui seul, ne voulant notre propre bien que par le seul motif de sa gloire, et de la conformité à sa volonté et à son ordre.

LETTRE II.

SUR LE CULTE DE DIEU, L'IMMORTALITÉ de L'AME, ET LE LIBRE ARBITRE.

L'écrit que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer, monsieur, comprend trois questions.

4° L'être infiniment parfait peut-il exiger quelque culte des êtres qui lui sont infiniment inférieurs et disproportionnés ?

qu'il fait, et il ne lui est permis de rien relâcher de ses droits. Telle est sa grandeur, qu'il ne peut agir que pour lui seul. Il se nomme lui-même le Dieu jaloux. La jalousie, qui est déplacée et ridicule dans l'homme, est la justice suprême en Dieu. Il dit, comme il le doit: Je ne donnerai point ma gloire à un autre2. Il se doit tout, il se rend tout. Tout vient de lui, il faut que tout retourne à lui; autrement l'ordre seroit violé. L'auteur de l'écrit reconnoît que l'être infiniment parfait a tiré du néant les hommes, il doit reconnoître que cet être les a créés pour lui. S'il agissoit sans aucune fin, il agiroit d'une façon aveugle, insensée, où sa sagesse n'auroit aucune part. S'il agissoit pour une fin moins haute que lui, il rabaisseroit son action au-dessous de

2o Peut-on démontrer que l'ame de l'homme celle de tout homme vertueux qui agit pour l'être est immortelle ?

5° L'être infiniment parfait peut-il avoir donné à l'homme le libre arbitre, qui est la liberté de renverser l'ordre ?

CHAPITRE PREMIER.

suprême. Ce seroit le comble de l'absurdité. Concluons donc, sans craindre de nous tromper, que Dieu fait tout pour lui-même.

II. Cet être suprême, que nous nommons Dieu, ne peut avoir créé les êtres intelligents pour lui, qu'en voulant que ces êtres emploient leur intelligence à le connoître et à l'admirer, et leur vo

L'être infiniment parfait exige un culte de toutes les créa- lonté à l'aimer et à lui obéir. L'ordre ou la justice

tures intelligentes.

La vérité de l'existence de l'être infiniment parfait est un principe si lumineux et si fécond, qu'il n'y a qu'à le consulter sans prévention, et qu'à le suivre de bonne foi, pour trouver ce qu'on cherche de cet être nécessaire. Voici les vérités qu'il me semble qu'on en doit tirer.

I. Nous ne pouvons pas douter que cet être si parfait ne s'aime, puisque étant juste, il doit un amour infini à son infinie perfection. J'en conclus que si cet être faisoit quelque ouvrage hors de lui, sans le faire pour l'amour de lui-même, il agiroit moins parfaitement que les êtres imparfaits qui agissent pour l'amour de lui. L'on voit des hommes, qui sont ces êtres imparfaits, se proposer l'être parfait pour fin de leurs ouvrages. Si donc l'être parfait se refusoit injustement ce rapport de ses actions à lui-même, qui se trouve dans les actions des êtres imparfaits, il agiroit moins parfaitement que les hommes pieux. C'est ce qui est visiblement impossible. Il faut donc conclure, avec l'Écriture, que Dieu a fait toutes choses pour l'amour de lui-même. D'un côté, il est infiniment parfait en soi; de l'autre, il est infiniment juste, puisque la justice entre dans la perfection infinie. Il se doit donc à lui-même tout ce

'Prov., xvi, 4.

demande que notre intelligence soit réglée, et que notre amour soit juste. Il faut donc que Dieu, ordre et justice suprême, veuille que nous estimions sa perfection infinie plus que notre finie perfection, et que nous aimions cette bonté infinie plus que la bonté finie qu'il met en nous. Voilà le véritable et pur amour de la justice. Nous ne sommes que des biens bornés, participés et dépendants; au lieu que le premier être est le bien unique, source de tous les autres, le bien sans bornes, le bien indépendant. Notre amour pour ce bien doit être aussi en nous un amour unique, source de tout autre amour, un amour sans bornes, un amour indépendant de tout autre amour. Au contraire, l'amour de nous-mêmes doit être un amour dérivé de cet amour primitif, un amour ruisseau de cette source, un amour dépendant, un amour borné, et proportionné à la petite parcelle de bien qui nous est échue en partage. Dieu est le tout, et nous ne sommes qu'un rien revêtu par emprunt d'une très petite parcelle de l'être. Nous sommes, non à nous, mais à celui qui nous a faits, et qui nous a donné tout jusqu'au moi : ce moi qui nous est si cher, et qui est d'ordinaire notre unique Dieu, n'est, pour ainsi dire, qu'un petit morceau qui veut

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être le tout. Il rapporte tout à soi, et en ce point | la sorte, tous les doutes sont dissipés, toutes les

il imite Dieu, et s'érige en fausse divinité. Il faut renverser l'idole; il faut rabaisser le moi, pour le réduire à sa petite place. Il ne doit occuper qu'un petit coin de l'univers, à proportion du peu de perfection et d'être qu'il possède.

Il viendra, en son rang pour être estimé et aimé selon son vrai mérite. Voilà l'amour de la justice, voilà l'ordre. Il faut que Dieu soit mis en la place que le moi n'avoit point de honte d'usurper. Voilà ce que Dieu se doit à lui-même, voilà ce qu'il est juste qu'il exige de sa créature capable de connoitre et d'aimer. Il faut qu'en la créant il se pro pose, pour fin de son ouvrage, de se faire connoître comme vérité infinie, et de se faire aimer comme bonté universelle; en sorte qu'on connoisse en lui toute participation de sa vérité, et qu'on aime en lui toute participation de sa bonté sans bornes. Dès qu'on aura posé ce fondement, tout l'édifice s'élèvera comme de lui-même. Dès que vous supposerez que Dieu seul doit avoir d'abord tout notre amour, et qu'ensuite cet amour ne se répand sur le moi que comme sur les autres biens bornés, à proportion de ses bornes, la religion se trouvera toute développée dans notre cœur. Il n'y a qu'à laisser l'homme à son propre cœur, s'il est vrai qu'il ne s'aime que de l'amour de Dieu, et que l'amour-propre n'est plus écouté.

III. En ce cas il ne reste plus aucune question sur le culte divin. Il n'y a point d'autre culte que l'amour, dit saint Augustin': nec colitur nisi amando. C'est le règne de Dieu au-dedans de nous; c'est l'adoration en esprit et en vérité; c'est l'unique fin pour laquelle Dieu nous a faits. Il ne nous a donné de l'amour qu'afin que nous l'aimions. Il faut rétablir l'ordre, en renversant le désordre qui a prévalu. Il faut mettre Dieu, qui est le tout, en la place que le moi occupoit, comme s'il eût été le tout, le centre et la source universelle. I faut réduire ce moi dans son petit coin, une foible parcelle du bien emprunté. En même temps il faut rendre à Dieu la place du tout, et avoir honte de l'avoir laissé si long-temps comme un être particulier, avec lequel on veut faire des conditions presque d'égal à égal, pour s'unir à lui, ou pour ne s'y unir pas; pour y chercher son avantage, ou pour se tourner de quelque autre côté. En un mot, il faut mettre Dieu en la place suprême que le moi usurpoit sans pudeur, et laisser au moi cette petite place où l'on avoit rabaissé et retréci Dien. Faites que les hommes pensent de

" Ep. CXL, ad Honorat., cap. xviii, n. 45.

comme

révoltes du cœur humain sont apaisées, tous les prétextes d'impiété et d'irreligion s'évanouissent. Je ne raisonne point, je ne demande rien à l'homme, je l'abandonne à son amour; qu'il aime de tout son cœur ce qui est infiniment aimable, et qu'il fasse ce qu'il lui plaira; ce qui lui plaira ne pourra être que la plus pure religion. Voilà le culte parfait : nec colitur nisi amando. Il ne fera qu'aimer et obéir. La nation des justes, dit l'Écriture', n'est qu'obéissance el amour.

IV. Cet amour, dira-t-on, est un culte intérieur. Mais le culte extérieur, où le trouvera-t-on? Pourquoi supposer que Dieu le demande ? Mais ne voiton pas que le culte extérieur suit nécessairement le culte intérieur de l'amour? Donnez-moi une société d'hommes qui se regardent comme n'étant tous ensemble sur la terre qu'une seule famille, dont le père est au ciel; donnez-moi des hommes qui ne vivent que du seul amour de ce père céleste, qui n'aiment ni le prochain ni eux-mêmes que pour l'amour de lui, et qui ne soient qu'un cœur et une ame : dans cette divine société, n'estil pas vrai que la bouche parlera sans cesse de l'abondance du cœur? Ils admireront le Très-Haut, ils aimeront le Très-Bon; ils chanteront ses louanges, ils le béniront pour tous ses bienfaits. Ils ne se borneront pas à l'aimer, ils l'annonceront à tous les peuples de l'univers; ils voudront redresser leurs frères, dès qu'ils les verront tentés, par l'orgueil ou par les passions grossières, d'abandonner le bien-aimé. Ils gémiront de voir le moindre refroidissement de l'amour. Ils passeront au-delà des mers, jusqu'au bout de la terre, pour faire connoître et aimer le Père commun aux peuples égarés qui ont oublié sa grandeur. Qu'appelez-vous un culte extérieur, si celui-là n'en est pas un ? Dieu seroit alors toutes choses en tous2; il seroit le roi, le père, l'ami universel; il seroit la loi vivante des cœurs. On ne parleroit que de lui et pour lui; il seroit consulté, cru et obéi. Hélas! si un roi mortel ou un vil père de famille s'attire par sa sagesse l'estime et la confiance de tous ses enfants, on ne voit à toute heure que les honneurs qui lui sont rendus ; il ne faut point demander où est son culte, ni si on lui en doit un. Tout ce qu'on fait pour l'honorer, pour lui obéir, et pour reconnoître ses graces, est un culte continuel qui saute aux yeux. Que seroit-ce donc si les hommes étoient possédés de l'amour de Dicu? Leur société seroit

■ Eccli., m, 4. "I Cor., XV, 28.

un culte continuel, comme celui qu'on nous dépeint des bienheureux dans le ciel.

V. Il faudroit, dira-t-on, prouver qu'outre l'amour, et les vertus qui en sont inséparables, l'homme doit à Dieu des cérémonies réglées et publiques; mais ces cérémonies ne sont point l'essentiel de la religion, qui consiste dans l'amour et dans les vertus. Ces cérémonies sont instituées, non comme étant l'effet essentiel de la religion, mais seulement pour être les signes qui servent à la montrer, à la nourrir en soi-même, et à la communiquer aux autres. Ces cérémonies sont à l'égard de Dieu ce que les marques de respect sont pour un père, que ses enfans saluent, embrassent et servent avec empressement; ou pour un roi qu'on harangue, qu'on met sur un trône, qu'on environne d'une certaine pompe, pour frapper l'imagination des peuples, et devant qui on se prosterne. N'est-il pas évident que les hommes attachés aux sens, et dont la raison est foible, ont encore plus de besoin d'un spectacle pour imprimer en eux le respect d'une majesté invisible et contraire à toutes leurs passions, que pour leur faire respecter une majesté visible qui éblouit leurs foibles yeux, et qui flatte leurs passions grossières? On sent la nécessité du spectacle d'une cour pour un roi, et on ne veut pas reconnoître la nécessité infiniment plus grande d'une pompe pour le culte divin. C'est ne connoître pas le besoin des hommes, et s'arrêter à l'accessoire après avoir admis le principal.

VI. Aussi voyons-nous que tous les peuples qui ont adoré quelque divinité ont fixé leur culte à quelques démonstrations extérieures, qu'on nomme des cérémonies. Dès que l'intérieur y est, il faut que l'extérieur l'exprime, et le communique dans toute la société. Le genre humain jusqu'à Moïse faisoit des offrandes et des sacrifices. Moïse en a institué dans l'église judaïque. La chrétienne en a reçu de Jésus-Christ. Qu'on tue des animaux, qu'on brûle de l'encens, ou qu'on offre les fruits de la terre, qu'importe, pourvu que les hommes aient des signes par lesquels ils marquent leur amour pour Dieu ? Tous les biens de la nature sont ses dons. On lui rend ce qu'on en a reçu, pour confesser qu'on le tient de lui. Par ces signes on se rappelle la majesté de Dieu et ses bienfaits; on s'excite mutuellement à le prier, à le louer, à espérer en lui; on cherche une certaine uniformité de signes, qui représente l'union des cœurs, et qui empêche le désordre dans le culte commun. Quand Dieu n'a point réglé ces cérémonies par des lois écrites, les hommes ont suivi la tradition dès

l'origine du genre humain. Quand Dieu a réglé ces cérémonies par des lois écrites, les hommes out dû les observer inviolablement. Les protestants mêmes, qui ont tant critiqué nos cérémonies, n'ont pu s'empêcher d'en retenir beaucoup; tant il est vrai que les hommes en ont besoin. Il faut des cérémonies, non qui amusent, et où l'on prenne le change, mais qui aident à nous recueillir, et à rappeler le souvenir des graces de Dieu. Voilà le vrai culte de Dieu. Quiconque le concevroit autrement le connoîtroit fort mal.

VII. On n'a qu'à comparer maintenant ces deux divers plans. Dans l'un, chacun reconnoissant le vrai Dieu, l'honoreroit intérieurement à sa mode, sans en donner aucun signe au reste des hommes: dans l'autre, on a un culte commun " par lequel chacun se recueille, nourrit son amour, édifie ses frères, annonce Dieu aux hommes qui l'ignorent ou qui l'oublient. Que ce spectacle est aimable et touchant! N'est-il pas clair que le second plan est mille fois plus digne de l'être infiniment parfait, et plus accommodé au besoin des hommes que le premier? Quiconque sera bien résolu à préférer Dieu à soi, et à porter le joug du Seigneur, n'hésitera jamais entre ces deux plans.

VIII. On objecte que Dieu est infiniment au-dessus de l'homme, qu'il n'y a aucune proportion entre eux, que Dieu n'a pas besoin de notre culte; qu'enfin ce culte d'une volonté bornée est indigne de l'être infini en perfection. Il est vrai que Dieu n'a aucun besoin de notre culte, sans lequel il est heureux, parfait, et se suffisant à lui-même : mais il peut vouloir ce culte, lequel, quoique imparfait, n'est pas indigne de lui; et ce ne peut être que pour ce culte qu'il nous a créés. Quand il s'agit de savoir ce qui convient ou ce qui ne convient pas à l'être infini, il ne faut pas le vouloir pénétrer par notre foible et courte raison. Le fini ne sauroit comprendre l'infini. C'est de l'infini même qu'il faut apprendre ce qu'il peut vouloir, ou ne vouloir pas. Or le fait évident décide: d'un côté nous ne pouvons pas douter que l'être infini ne nous ait créés; de l'autre, nous voyons clairement qu'il ne peut point avoir eu, en nous créant, une fin plus noble et plus haute que celle de se faire connoître et aimer par nous. Il est inutile de dire que cette connoissance et cet amour borné sont une fin disproportionnée à la perfection infinie de Dieu. Quelque imparfaite que soit cette fin, elle est néanmoins sans doute la plus parfaite que Dieu ait pu se proposer en nous créant. Pour lever toute la difficulté, il faut distinguer ce que la créature peut faire, d'avec la complaisance que Dieu en tire.

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