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tions infinies ce tout n'est pourtant pas infiniment parfait, quoiqu'il contienne un infini de perfections; car un seul être qui sans parties existeroit infiniment seroit infiniment plus parfait; d'où je conclus que ce composé infini est une chimère indigne d'un examen sérieux.

Pour me convaincre encore mieux de ce qui me paroît déja clair, je prends l'assemblage de tous les corps qui me paroissent m'environner, et que j'appelle l'univers : je suppose cet univers infini. S'il est infini en être, il doit par conséquent l'être en perfection. Cependant je ne saurois dire qu'une masse infinie, en quelque ordre et arrangement qu'on la mette, puisse jamais être d'une infinie perfection; car cette masse, quoique infinie, qui compose tant de globes, de terres et de cieux, ne se connoît point elle-même je ne puis m'empêcher de croire que ce qui se connoît soi-même, et qui pense, est d'une perfection supérieure.

Je ne veux point examiner ici si la matière pense, et je supposerai même, tant qu'on le voudra, que la matière peut penser mais enfin la masse infinie de l'univers ne pense pas, et il n'y a que les corps organisés des animaux auxquels on peut vouloir attribuer la pensée. Qu'on le prétende donc tant qu'on voudra, cela ne peut pas m'empêcher de reconnoître manifestement que cette portion de l'être qu'on appellera esprit ou matière, comme on voudra, que cette portion, dis-je, de l'être qui pense et qui se connoît, a plus de perfection que la masse infinie et inanimée du reste de l'univers. Voilà donc quelque chose qu'il faut mettre au-dessus de l'infini.

Mais passons maintenant à cette portion de l'être pensant qui est supérieure au reste de l'univers. Supposons, pour pousser à bout la difficulté, un nombre infini d'êtres pensants; toutes nos difficultés reviennent toujours un de ces êtres n'est point l'autre on peut en concevoir un de moins sans détruire tout le reste; et par-là on détruit l'infini. Etrange infini, que le retranchement d'une seule unité rend fini! Ces êtres pensants sont tous très imparfaits; ils ignorent, ils doutent, ils se contredisent; ils pourroient avoir plus de perfection qu'ils n'en ont; et réellement ils croissent en perfection lorsqu'ils sortent de quelque ignorance, ou qu'ils se tirent de quelque erreur, ou qu'ils deviennent plus sincères, et mieux intentionnés pour se conformer à la raison. Quel est donc cet infini en perfections, qui est plein d'imperfections manifestes? Quel est cet infini si fini par tous les côtés, qui croît et qui décroît sensiblement?

Je vois donc bien qu'il me faut un autre infini pour remplir cette haute idée qui est en moi. Rien ne peut m'arrêter qu'un infini simple et indivisible, immuable et sans aucune modification, en un mot, un infini qui soit un, et qui soit toujours le même. Ce qui n'est pas réellement et parfaitement immuable n'est pas un; car il est tantôt une chose, tantôt une autre: ainsi ce n'est pas un même être, mais plusieurs êtres successifs. Ce qui n'est pas souverainement un n'existe point souverainement tout ce qui est divisible n'est point le vrai et réel être; ce n'est qu'une composition et un rapport de divers êtres, et non pas un être réel qu'on puisse désigner.

Ce n'est pas encore la réalité qu'on cherche et qu'on veut trouver seule : on n'arrive à la réalité de l'être que quand on parvient à la véritable unité de quelque être; ce qui existe souverainement doit être un, et être même la souveraine unité. Il en est de l'unité comme de la bonté et de l'être; ces trois choses n'en font qu'une ce qui existe moins est moins bon et moins un; ce qui existe davantage est davantage bon et un ; ce qui existe souverainement est souverainement bon et un. Donc un composé n'est point souverainement, et il faut chercher dans la parfaite simplicité l'être souverain.

Je vous avois done perdu de vue pour un peu de temps, ô mon trésor! ô Unité infinie qui surpassez toutes les multitudes! je vous avois perdu, et c'étoit pis que me perdre moi-même ! Mais je vous retrouve avez plus d'évidence que jamais. Un nuage avoit couvert mes foibles yeux pour un moment; mais vos rayons, ô Vérité éternelle, ont percé ce nuage! Non, rien ne peut remplir mon idée que vous, ô Unité qui êtes tout, et devant qui tous les nombres accumulés ne seront jamais rien ! Je vous revois, et vous me remplissez. Tous les faux infinis mis en votre place me laissoient vide. Je chanterai éternellement au fond de mon cœur Qui est semblable à vous?

CHAPITRE IV.

Nouvelle preuve de l'existence de Dieu, tirée de la nature des idées.

Il y a déja quelque temps que je raisonne sur mes idées, sans avoir bien démêlé ce que c'est qu'idée : c'est sans doute ce qui m'est le plus intime, et c'est peut-être ce que je connois le moins. En un sens, mes idées sont moi-même; car elles sont ma raison. Quand une proposition est contraire à mes idées, je trouve qu'elle est contraire

croie être seul, comme si je n'étois qu'avec moi

time que mon propre fond. Ce je ne sais quoi si admirable, si familier et si inconnu, ne peut être que Dieu. C'est donc la vérité universelle et indivisible qui me montre comme par morceaux, pour s'accommoder à ma portée, toutes les vérités que j'ai besoin d'apercevoir.

à tout moi-même, et qu'il n'y a rien en moi qui n'y résiste. Ainsi mes idées et le fond de moi-même; enfin qui me soit plus présent et plus inmême ou de mon esprit ne me paroissent qu'une même chose. D'un autre côté, mon esprit est changeant, incertain, ignorant, sujet à l'erreur, précipité dans ses jugements, accoutumé à croire ce qu'il n'entend point clairement, et à juger sans avoir assez bien consulté ses idées, qui sont certaines et immuables par elles-mêmes. Mes idées ne sont donc point moi, et je ne suis point mes idées. Que croirai-je donc qu'elles puissent être? Elles ne sont point les êtres particuliers qui me paroissent autour de moi : car que suis-je, si ces êtres sont réels hors de moi? et je ne puis douter que les idées que je porte au-dedans de moi ne soient très réelles. De plus, tous ces êtres sont singuliers, contingents, changeants et passagers mes idées sont universelles, nécessaires, éternelles et immuables.

Quand même je ne serois plus pour penser aux essences des choses, leur vérité ne cesseroit point d'être : il seroit toujours vrai que le néant ne pense point, qu'une même chose ne peut tout ensemble être et n'être pas; qu'il est plus parfait d'être par soi que d'être par autrui. Ces objets généraux sont immuables, et toujours exposés à quiconque a des yeux ils peuvent bien manquer de spectateurs; mais qu'ils soient vus ou qu'ils ne le soient pas, ils sont toujours également visibles. Ces vérités, toujours présentes à tout œil ouvert pour les voir, ne sont donc point cette vile multitude d'êtres singuliers et changeants, qui n'ont pas toujours été, et qui ne commencent à être que pour n'être plus dans quelques moments. Où êtes-vous donc, ô mes idées, qui êtes si près et si loin de moi, qui n'êtes ni moi ni ce qui m'environne; puisque ce qui m'environne et ce que j'appelle moi-même est si imparfait ?

Quoi done! mes idées seront-elles Dieu? Elles sont supérieures à mon esprit, puisqu'elles le redressent et le corrigent. Elles ont le caractère de la divinité, car elles sont universelles et immuables comme Dieu. Elles subsistent très réellement, selon un principe que nous avons déja posé: rien n'existe tant que ce qui est universel et immuable. Si ce qui est changeant, passager et emprunté, existe véritablement, à plus forte raison ce qui ne peut changer et qui est nécessaire. Il faut donc trouver dans la nature quelque chose d'existant et de réel qui soit mes idées, quelque chose qui soit au-dedans de moi et qui ne soit point moi, qui me soit supérieur, qui soit en moi lors même que je n'y pense pas; avec qui je

C'est dans l'infini que je vois le fini: en donnant à l'infini diverses bornes, je fais, pour ainsi dire, du Créateur diverses natures créées et bornées. Le même Dieu qui me fait être me fait penser; car la pensée est mon être. Le même Dieu qui me fait penser n'est pas seulement la cause qui produit ma pensée; il en est encore l'objet immédiat; il est tout ensemble infiniment intelligent et infiniment intelligible. Comme intelligence universelle, il tire du néant toute actuelle intellection; comme infiniment intelligible, il est l'objet immédiat de toute intellection actuelle. Ainsi tout se rapporte à lui: l'intelligence et l'intelligibilité sont comme l'être; rien n'est que par lui; par conséquent rien n'est intelligent ni intelligible que par lui seul. Mais l'intelligence et l'intelligibilité sont de même que l'être; c'est-à-dire qu'elles sont réelles dans les créatures, parce que les créatures existent réellement.

Tout ce qui est vérité universelle et abstraite est une idée. Tout ce qui est idée est Dieu même, comme je l'ai déja reconnu.

Il reste à expliquer plusieurs choses: 4° comment est-ce que, Dieu étant parfait, nos idées sont néanmoins imparfaites; 2° comment est-ce que nos idées, si elles sont Dieu, qui est simple, indivisible et infini, peuvent être distinctes les unes des autres, et fixées par certaines bornes; 5° comment est-ce que nous pouvons connoître des natures bornées dans un être qui ne peut avoir aucune borne; 4o comment est-ce que nous pouvons connoître les individus qui n'ont rien que de singulier et de différent des idées universelles, et qui, étant très réels, ont aussi immédiatement en eux-mêmes une vérité et une intelligibilité très propre et très réelle.

Il faut d'abord présupposer que l'être qui est par lui-même, et qui fait exister tout le reste, renferme en soi la plénitude et la totalité de l'être. On peut dire qu'il est souverainement, et qu'il est le plus être de tous les êtres. Quand je dis le plus être, je ne dis pas qu'il est un plus grand nombre d'êtres; car s'il étoit multiplié, il seroit imparfait. A choses égales, un vaut toujours mieux que plusieurs. Qui dit plusieurs ne sauroit faire un être

parfait. Ce sont plusieurs êtres imparfaits, qui ne peuvent jamais faire une unité réelle et parfaite. Qui dit une multitude réelle de parties dit nécessairement l'imperfection de chaque partie; car chaque partie prise séparément est moins parfaite que le tout. De plus, il faut ou qu'elle soit inutile au tout, et par conséquent un défaut en lui, out qu'elle achève sa perfection: ce qui marque que cette perfection est bornée, puisque sans cette union le tout seroit fini et imparfait, et qu'en ajoutant quelque chose de fini à un tout qui étoit fini lui-même, on ne peut jamais faire que quelque chose de fini et d'imparfait.

comme on peut, et que l'homme, fini et grossier, bégaie toujours quand il parle de l'être infini et infiniment simple. Celui qui existe souverainement et infiniment peut, par son existence infinie, faire exister ce qui n'existe pas. Il manqueroit quelque chose à l'être infiniment parfait, s'il ne pouvoit rien produire hors de lui. Rien ne marque tant l'être par soi, que de pouvoir tirer du néant, et faire passer à l'existence actuelle. Cette fécondité toute puissante, plus elle nous est incompréhensible, plus elle est le dernier trait et le plus fort caractère de l'être infini.

Cet être qui est infiniment voit, en montant jusqu'à l'infini, tous les divers degrés auxquels il peut communiquer l'être. Chaque degré de communication possible constitue une essence possible, qui répond à ce degré d'être qui est en Dieu indivisible avec tous les autres. Ces degrés infinis, qui sont indivisibles en lui, peuvent se diviser à l'infini dans les créatures, pour faire une infinie variété d'espèces. Chaque espèce sera bornée dans un degré d'être correspondant à ces degrés infinis et indivisibles que Dieu connoît en lui.

D'ailleurs, qui dit parties réellement distinguées les unes des autres dit des choses qui peuvent réellement subsister sans faire un tout ensemble, et dont l'union n'est qu'accidentelle; par conséquent le tout peut diminuer, et même souffrir une entière dissolution, ce qui ne peut jamais convenir à un être infiniment parfait. Je le conçois nécessairement immuable, et dont la perfection ne peut décroître. Je le conçois véritablement un, véritablement simple, sans composition, sans division, sans nombre, sans succession, et indivisible. C'est la parfaite unité qui est équi-même, et qu'il voit éternellement de la même mavalente à l'infinie multitude, ou pour mieux dire qui la surpasse infiniment; puisque nulle multitude, ainsi que je viens de le remarquer, ne peut jamais être conçue infiniment parfaite.

Cependant j'ai l'idée d'un être infiniment parfait : cette idée exclut toute composition et toute divisibilité; elle renferme donc essentiellement une parfaite unité. Par conséquent le premier être doit être conçu comme étant tout, non comme plures, mais comme plus omnibus. S'il est infiniment plus que toutes choses, n'étant néanmoins qu'une seule chose, il faut qu'il ait en vertu et en degré de perfection ce qu'il ne peut avoir en multiplication et en étendue. En un mot, il faut que l'unité ait elle seule, sans se multiplier, des degrés infinis de perfection qui surpassent infiniment toute multitude, si grande et si parfaite qu'on puisse la concevoir.

C'est donc, s'il est permis de parler ainsi, par les degrés de perfections intensives, et non par la multitude des parties et des perfections, qu'il faut élever le premier être jusqu'à l'infini. Cela posé, je dis que Dieu voit une infinité de degrés de perfection en lui, qui sont la règle et le modèle d'une infinité de natures possibles, qu'il est libre de tirer du néant. Ces degrés n'ont rien de réellement distingué entre eux; mais nous les appelons degrés, parce qu'il faut bien parler

Ces degrés que Dieu voit distinctement en lui

nière, parce qu'ils sont immuables, sont les modèles fixes de tout ce qu'il peut faire hors de lui. Voilà la source des vrais universaux, des genres, des différences et des espèces; et voilà en même temps les modèles immuables des ouvrages de Dieu, qui sont les idées que nous consultons pour être raisonnables. Quand Dieu nous montre en lui ces divers degrés, avec leurs propriétés et les rapports qu'ils ont entre eux éternellement, c'est Dieu même, infinie vérité, qui se montre immé diatement à nous avec les bornes ou degrés auxquels il peut communiquer son être.

La perception de ces degrés de l'être de Dieu est ce que nous appelons la consultation de nos idées. Cela étant, il est aisé de voir comment nos idées sont imparfaites. Dieu ne nous montre pas tous les degrés infinis d'être qui sont en lui; il nous borne à ceux que nous avons besoin de concevoir dans cette vie. Ainsi, nous ne voyons l'infini que d'une manière finie, par rapport aux degrés ou bornes auxquelles il peut se communiquer en la création de ses ouvrages.

Ainsi, nous n'avons qu'un petit nombre d'idées, et chacune d'elles est restreinte à un certain degré d'être. Il est vrai que nous voyons ce degré d'être, qui fait un genre ou une espèce, d'une manière abstraite de tout individu changeant, et avec une universalité sans bornes : mais enfin ce

genre universel n'est pas le genre suprême; ce n'est qu'un degré fini d'être, qui peut être communiqué à l'infini aux individus que Dieu voudroit produire dans ce degré. Ainsi, nos idées sont un mélange perpétuel de l'être infini de Dieu qui est notre objet, et des bornes qu'il donne toujours essentiellement à chacune des créatures, quoique sa fécondité puisse produire des créatures à l'infini,

Il est aisé de voir par-là que nos idées, quoique imparfaites dans le sens que j'ai expliqué, ne laissent pas d'être Dieu même. C'est la raison infinie de Dieu et sa vérité immuable qui se présente à nous à divers degrés, selon notre mesure bornée.

Il faut encore remarquer que parmi les degrés infinis d'être qui constituent toutes les essences de créatures possibles, Dieu ne nous montre que celles qu'il lui plaît, suivant les usages qu'il veut que nous en fassions. Par exemple, je ne trouve en moi l'idée que de deux sortes de substances, les unes pensantes, les autres étendues. Pour la nature pensante, je vois bien qu'elle existe; car je suis actuellement mais je ne sais point encore si elle existe hors de moi. Pour la nature étendue que j'appelle corps, je sais bien que j'en ai l'idée; mais je doute encore s'il y a des corps réels dans la nature. Il faut donc convenir que Dieu, en me donnant des idées, ne m'a montré, pour ainsi dire, qu'une parcelle de lui-même. Ce n'est pas qu'il soit divisible dans sa substance; mais c'est que comme elle est communicable hors de lui avec une espèce de divisibilité par degrés, une puissance bornée, telle que mon esprit, se soulage à la considérer suivant cette division de degrés.

On peut aussi accuser nos idées d'imperfection sur ce qu'il nous arrive de nous tromper souvent. Mais nos erreurs ne viennent point de nos idées; car nos idées sont vraies et immuables en les suivant nous ne connoîtrions pas toute vérité, mais nous ne croirions jamais rien que de véritable. Nous en avons de claires; nous en avons de confuses. A l'égard des confuses, il faut demeurer dans la suspension du doute: à l'égard des claires, il faut, ou renoncer à toute raison, ou décider comme elle sans crainte de se tromper.

flattant de croire que nous en avons tranché le nœud. Au défaut de la vérité, son ombre nous flatte et nous amuse. Après avoir jugé témérairement sur des idées obscures qui nous avertissent de ne juger point, nous nous jetons à contretemps dans l'autre extrémité. Nous hésitons sans savoir pourquoi; nous devenons ombrageux et irrésolus. La force nous manque pour suivre toute notre raison jusqu'au bout. Nous voyons clairement ce qu'elle renferme, et nous n'osons le conclure avec elle; nous nous en défions comme si nous étions en droit de la redresser, et que nous portassions au-dedans de nous un principe plus raisonnable que la raison même. Ainsi nous ne sommes pas trompés; mais nous nous trompons toujours nous-mêmes, ou en décidant sur des idées obscures, ou en ne consultant pas assez des idées claires, ou enfin en rejetant par incertitude ce que nos idées claires nous ont découvert.

Je crois avoir éclairci, par toutes ces remarques, les quatre premières difficultés que j'avois proposées. Il reste donc que toutes nos connoissances universelles, que nous appelons consultation d'idées, ont Dieu même pour objet immédiat; mais Dieu considéré avec certaine précision par rapport aux divers degrés selon lesquels il peut communiquer son être; de même que nous les divisons quelquefois par certaines précisions de l'esprit, pour distinguer ses attributs les uns des autres, sans nier néanmoins sa souveraine simplicité.

Si quelqu'un me demande comment est-ce que Dieu se rend présent à l'ame, quelle espèce, quelle image, quelle lumière nous le découvrent, je réponds qu'il n'a besoin ni d'espèce, ni d'image, ni de lumière. La souveraine vérité est souverainement intelligible: l'être par lui-même est par luimême intelligible : l'être infini est présent à tout. Le moyen par lequel on supposeroit que Dieu se rendroit présent à mon esprit ne seroit point un être par lui-même ; il ne pourroit exister que par création n'étant point par lui-même, il ne seroit point intelligible par lui-même, et ne le seroit que par son créateur. Ainsi, bien loin qu'il pût servir à Dieu de milieu, d'image, d'espèce ou de lumière, tout au contraire il faudroit que Dieu lui en servît. Ainsi je ne puis concevoir que Dieu seul intimement présent par son infinie vérité, et souverainement intelligible par lui-même, qui se montre immédiatement à moi.

D'où viennent donc nos erreurs? De la précipitation de nos jugements. La suspension du doute nous est un supplice: nous ne voulons nous assujettir long-temps ni à la peine d'examiner ce qui est obscur, ni à l'inquiétude attachée au doute. Nous croyons nous rendre supérieurs aux diffi-brouillée : c'est de savoir comment je connois les cultés, en les décidant bien ou mal, et en nous

Mais il reste une difficulté qui mérite d'être dé

individus. Les idées universelles, nécessaires et

immuables ne peuvent me les représenter; car elles ne leur ressemblent en rien, puisqu'ils sont contingents, changeants et particuliers. D'ailleurs, puisqu'ils ont un être réel et propre qui leur est communiqué, ils ont donc une vérité et une intelligibilité qui n'est point celle de Dieu; autrement nous concevrions Dieu quand nous croyons concevoir la créature.

A cela je réponds que l'intelligibilité n'est autre chose que la vérité, et que la vérité n'est autre chose que l'être. Quand nous considérons une chose universelle, nécessaire et immuable, c'est l'être suprême que nous considérons immédiatement, puisqu'il n'y a que lui seul à qui toutes ces choses conviennent. Quand je considère quelque chose de singulier, qui n'est ni vrai, ni intelligible, ni existant par soi, mais qui a une véritable et propre intelligibilité par communication, ce n'est plus l'être suprême que je conçois; car il n'est ni singulier, ni produit, ni sujet au changement c'est donc un être changeant et créé que j'aperçois en lui-même. Dieu, qui me crée, et qui le crée aussi, lui donne une véritable et propre intelligibilité, en même temps qu'il me donne de mon côté une véritable et propre intelligence. I ne nous en faut pas davantage, et je ne puis rien concevoir au-delà. Si on me demande encore comment est-ce qu'un être particulier peut être présent à mon esprit, et qui est-ce qui détermine mon esprit à l'apercevoir plutôt qu'un autre être, je réponds qu'il est vrai qu'après avoir conçu mon intelligence actuelle et l'intelligibilité actuelle de cet individu, je me trouve encore indifférent à l'apercevoir plutôt qu'un autre mais ce qui lève cette indifférence, c'est Dieu, qui modifie ma pensée comme il lui plaît.

Pour expliquer ce que je conçois là-dessus, je me servirai d'une comparaison tirée de la nature corporelle. Ce n'est pas que je veuille affirmer qu'il y a des corps; car il n'y a encore rien d'évident qui me tire du doute sur cette matière: mais c'est que la comparaison que je vais faire ne roule que sur les apparences des corps, et sur les idées que j'ai de leur possibilité, sans décider de leur existence actuelle. Je suppose donc un corps capable par ses dimensions de correspondre à une superficie capable de recevoir ce corps. Ces deux choses posées, il ne s'ensuit point encore que ce corps soit actuellement dans ce lieu; car il peut être aussitôt ailleurs, et rien de ce que nous avons vu ne le détermine à cette situation. Que faut-il donc pour l'y déterminer? Il faut que Dieu, qui crée de nouveau son ouvrage en chaque moment,

comme nous l'avons déja remarqué, détermine ce corps, dans le moment où il le crée, à correspondre plutôt à cette superficie qu'à une autre. Dieu, en donnant l'être dans chaque instant, donne aussi la manière et les circonstances de l'être. Par exemple, il crée le corps A voisin du corps B, plutôt que du corps C, parce que le corps qu'il crée est par lui-même indifférent à ces divers rapports. Ainsi la même action de Dieu qui crée le corps fait sa position actuelle. Le même qui le crée le modifie, et le rend contigu au corps qu'il lui plaît.

Tout de même, quand Dieu tire du néant une puissance intelligente, et que d'ailleurs il a formé des natures intelligibles, il ne s'ensuit pas qu'une de ces créatures intelligibles doive être plutôt qu'une autre l'objet de cette intelligence. La puissance ne peut être déterminée par les objets, puisque je les suppose tous également intelligibles : par où le sera-t-elle donc? par elle-même? nullement; car étant en chaque moment créée, elle se trouve en chaque moment dans l'actuelle modification où Dieu la met par cette création toujours actuelle. C'est donc le choix de Dieu qui la modifie comme il lui plaît. Il la détermine à un objet particulier de sa pensée, comme il détermine un corps à correspondre par sa dimension à une certaine superficie plutôt qu'à une autre. Si un corps étoit immense, il seroit partout, n'auroit aucune borne, et par conséquent ne seroit resserré dans aucune superficie. De même, si mon intelligence étoit infinie, elle atteindroit toute vérité intelligible, et ne seroit bornée à aucune en particulier. Ainsi le corps infini n'auroit aucun lieu, et l'esprit infini n'auroit aucun objet particulier de sa pensée. Mais comme je connois l'un et l'autre borné, il faut que Dieu crée à chaque moment l'un et l'autre dans des bornes précises la borne de l'étendue, c'est le lieu; la borne de la pensée, c'est l'objet particulier. Ainsi je conçois que c'est Dieu qui me rend les objets présents.

J'avoue qu'il reste encore une difficulté, qui est de savoir ce que c'est qu'un individu. Tout le reste, comme nous l'avons vu, consiste en des vérités, universelles et immuables que j'appelle idées, qui sont Dieu même. Mais elles ne sont point l'être singulier; et dans cet être singulier j'observe deux choses: la première est son existence actuelle, qui est contingente et variable; la seconde est sa correspondance à un certain degré d'être qui est en Dieu, et dont cet individu est lui-même une communication. Cette correspon

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