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donner l'intelligence à quelque degré, sans nous donner en même temps quelque portion de vérité intelligible pour objet de notre pensée.

Je sais bien qu'après ce raisonnement il reste toujours à savoir si nous pouvons penser sans être, et si une même chose peut tout ensemble être et n'être pas mais au moins il est manifeste que, si ces deux choses sont incompatibles, un premier être, par sa toute-puissance, n'a pu, quand même il l'auroit voulu, nous créer intelligents dans une entière privation de la vérité.

finiment parfait peut quelquefois suspendre pour un peu de temps ma raison et ma liberté, en me donnant des perceptions confuses qui s'effacent et se perdent les unes dans les autres, comme je l'éprouve dans mes songes. Ces erreurs passagères, si on peut les nommer ainsi, sont bientôt corrigées par les pensées fixes et réfléchies de la veille. Je ne sais même si on peut dire que je fasse aucun véritable jugement, ni par conséquent que je tombe réellement dans l'erreur pendant que je dors. J'avoue qu'à mon réveil il me semble que pendant mes songes j'ai jugé, j'ai raisonné, j'ai craint, j'ai espéré, j'ai aimé, j'ai hai, en conséquence de mes jugements: mais peut-être que mes

D'ailleurs, si cet être supérieur est créateur et tout puissant, il faut qu'il soit infiniment parfait. Il ne peut être par lui-même, et pouvoir tirer quelque chose du néant, sans avoir en soi la plé-jugements, non plus que les actes de ma volonté, nitude de l'être; puisque l'être, la vérité, la bonté, la perfection, ne peut être qu'une même chose. S'il est infiniment parfait, il est infiniment vrai; s'il est infiniment vrai, il est infiniment opposé à l'erreur et au mensonge. Cependant, s'il avoit fait ma raison fausse, et incapable de connoître la vérité, il l'auroit faite essentiellement mauvaise; et par conséquent il seroit mauvais lui-même : il aimeroit l'erreur, il en seroit la cause volontaire; et en me créant il n'auroit eu d'autre fin que l'illusion et la tromperie: il faut donc ou qu'il soit incapable de me créer de la sorte, ou qu'il n'existe point.

:

Je vois bien, par mes songes, que je puis avoir été créé pour être quelquefois dans une illusion passagère. Cette illusion est plutôt une suspension de ma raison qu'une véritable erreur. Pendant cette illusion je n'ai rien de libre un moment après il me vient des pensées nettes, précises et suivies, qui sont supérieures à celles du songe, et qui les font évanouir. Ainsi cet état est bien appelé du nom d'illusion passagère, et d'impuissance de raisonner de suite. Mais si l'état de la veille me trompoit de même, ce seroit une chose bien différente ma raison seroit essentiellement fausse, parce que toutes mes idées, qui sont le fond de ma raison même, et qui sont immuables en moi, seroient le contre-pied de la véritable raison: ce seroit une erreur de nature et essentielle, de laquelle rien ne pourroit me tirer; il faudroit faire de moi un autre moi-même, et anéantir toutes mes idées, pour me faire concevoir la moindre vérité; ou, pour mieux dire, cette nouvelle créature qui commenceroit à voir quelque vérité ne seroit rien moins que moimême elle seroit plutôt une nouvelle créature produite en ma place après mon anéantissement.

Je comprends bien qu'un être créateur et in

n'ont point été véritables pendant que je dormois. Il peut se faire que des images empreintes dans mon cerveau pendant la journée se sont réveillées la nuit par le cours fortuit des esprits. Ces images de mes pensées et de mes volontés de la veille étant ainsi excitées, ont fait une nouvelle trace qui a été accompagnée de perceptions confuses et de sensations passagères, sans aucune réflexion ni jugement formel. A mon réveil je puis apercevoir ces nouvelles traces des images faites pendant la veille, et croire que j'y ai joint dans mon songe les jugements qu'elles représentent, quoique je ne les aie pas joints réellement pendant mon sommeil. Le souvenir n'est apparemment que la perception des traces déja faites: ainsi quand j'aperçois à mon réveil les traces renouvelées en dormant, je rappelle les jugements du jour, dont les images du songe de la nuit sont composées; et par conséquent je puis bien croire me souvenir que j'ai jugé en dormant, quoique je n'aie fait aucun jugement réel.

De plus, quand même j'aurois jugé et me serois réellement trompé pendant mes songes, je ne serois point surpris qu'un être infiniment parfait et véritable m'eût mis dans cette nécessité de me tromper pendant que je dors. Ces erreurs n'influent dans aucune action libre et raisonnable de ma vie; elles ne me font faire rien de méritoire ni de déméritoire; elles ne sont ni un abus de la raison, ni une opposition fixe à la vérité; elles sont bientôt redressées par les jugements que je fais quand je veille, et qui sont suivis d'une volonté libre.

Je comprends que le premier être peut vouloir tirer la vérité de l'erreur, comme tirer le bien du mal, en permettant que par la suspension des esprits je fasse en dormant des songes trompeurs. Par cette expérience il me montre de grandes vé

et le doute me paroît aussi sujet à l'erreur que mes anciennes opinions. Si un être tout puissant, infiniment bon et véritable, m'a fait pour connoître la vérité par la raison droite qu'il m'a donnée, je suis inexcusable de m'aveugler moi-même par un doute capricieux, et mon doute universel est un monstre. Si au contraire ma raison est fausse, je ne laisse pas d'être excusable en la suivant; car que puis-je faire de mieux que de me servir fidèlement de tout ce qui est en moi, pour tâcher d'aller droit à la vérité? M'est-il permis de me défier, sans aucun fondement ni intérieur ni extérieur, de tout ce qui me paroît également dans tous les temps raison, certitude, évidence? Il faut donc

rités : car qu'y a-t-il de plus propre à me montrer la foiblesse de ma raison et le néant de mon esprit, que d'éprouver cet égarement périodique et inévitable de mes pensées? C'est un délire réglé, qui tient près d'un tiers de ma vie, et qui m'avertit, pour les deux autres tiers, que je dois me défier de moi, et rabaisser mon orgueil. Il m'apprend que ma raison même n'est pas à moi en propre, qu'elle m'est prêtée et retirée tour-à-tour, sans que je puisse ni la retenir quand elle m'échappe, ni la rappeler quand elle est absente, ni résister à l'illusion que son absence cause en moi, ni même avoir par mon industrie aucune part à son retour. Voilà un temps d'erreur bien employé, s'il me mène tout droit à me connoître, et à me faire re-mieux suivre cette évidence qui m'entraîne nécesmonter à une sagesse sans laquelle la mienne n'est que folie. Mais quelle comparaison peut-on faire de cette illusion si passagère et si utile, avec un état d'erreur d'où rien ne me pourroit tirer, et où ma raison la plus évidente seroit par elle-même un fonds inépuisable de séduction et de mensonge? Une nature et une essence toute d'erreur, qui seroit un néant de raison; une nature toute fausse et toute mauvaise, ou, pour mieux dire, qui ne seroit point une nature positive, mais un absolu néant en toute manière, ne peut jamais être l'ouvrage d'un créateur tout bon, tout véritable et tout puissant.

Voilà ce que ma raison me représente sur ellemême, et voilà ce que je trouve, ce me semble, clairement toutes les fois que je la consulte. Le doute universel et absolu dans lequel je m'étois retranché n'est-il pas plus sûr? Nullement; car on se trompé autant à douter lorsqu'il faudroit croire, que l'on se trompe à croire lorsqu'il faudroit encore douter. Douter, c'est juger qu'il ne faat rien croire. Supposé qu'il faille croire quelque chose, et que j'hésite mal à propos, je me trompe en doutant de tout, et je suis en demeure à l'égard de la vérité qui se présente à moi. Que ferai-je ? La dernière espérance m'est arrachée; il ne me reste pas même la triste consolation d'éviter l'erreur en me retranchant dans le doute. Où suis-je? que suis-je ? où est-ce que je vais? où m'arrêterai-je? Mais comment puis-je m'arrêter? Si je renonce à ma raison, et si elle m'est suspecte en ce qu'elle me présente de plus clair, je suis réduit à cette extrémité, de douter si une même chose peut tout ensemble être et n'être pas. Je ne puis me prendre à rien pour m'arrêter dans une pente si effroyable; il faut que je tombe jusqu'au fond de cet abime. Encore si je pouvois y demeurer! mais cet abîme où je suis tombé me repousse,

sairement, qui ne peut m'être suspecte d'aucun côté, qui est conforme à tout ce que je puis concevoir de l'être tout puissant qui peut m'avoir fait, enfin contre laquelle je ne saurois trouver aucun fondement de doute solide, que de me livrer au doute vague, qui peut être lui-même une erreur et une hésitation de mon foible esprit, qui demeure incertain, faute de savoir saisir la vérité par une vue ferme et constante.

:

Me voilà donc enfin résolu à croire que je pense, puisque je doute; et que je suis, puisque je pense: car le néant ne sauroit penser, et une même chose ne peut tout ensemble être et n'être pas. Ces vérités que je commence à connoître, et dont la découverte a tant coûté à mon esprit, sont en bien petit nombre. Si j'en demeure là, je ne connois dans toute la nature que moi seul, et cette solitude me remplit d'horreur. De plus, si je me connois, je ne me connois guère. Il est vrai que je suis quelque chose qui se connoît soi-même, et dont la nature est de connoître mais d'où est-ce que je viens? est-ce du néant que je suis sorti? ou bien ai-je toujours été? qui est-ce qui a pu commencer en moi la pensée? ce qu'il me semble voir autour de moi est-il quelque chose? O vérité! vous commencez à luire à mes yeux. Je vois poindre un foible rayon de lumière naissante sur l'horizon, au milieu d'une profonde et affreuse nuit achevez de percer mes ténèbres; débrouillez peu à peu le chaos où je suis enfoncé. Il me semble que mon cœur est droit devant vous; je ne crains que l'erreur ; je crains autant de résister à l'évidence, et de ne pas croire ce qui mérite d'être cru, que de croire trop légèrement ce qui est incertain. O vérité, venez à moi, montrez-vous toute pure! que je vous voie, et je serai rassasié en vous voyant !

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CHAPITRE II.

Preuves métaphysiques de l'existence de Dieu.

NOTIONS PRÉLIMINAIRES.

Tous mes soins pour douter ne me peuvent done plus empêcher de croire certainement plusieurs vérités. La première est que je pense quand je doute. La seconde, que je suis un être pensant, c'est-à-dire dont la nature est de penser; car je ne connois encore que cela de moi. La troisième, d'où les deux autres premières dépendent, est qu'une même chose ne peut tout ensemble exister et n'exister pas; car si je pouvois tout ensemble être et n'être pas, je pourrois aussi penser et n'être pas. La quatrième, que ma raison ne consiste que dans mes idées claires, et qu'ainsi je puis affirmer d'une chose tout ce qui est clairement renfermé dans l'idée de cette chose-là; autrement je ne pourrois conclure que je suis, puisque je pense. Ce raisonnement n'a aucune force, qu'à cause que l'existence est clairement renfermée dans l'idée de la pensée. Penser est une action et une manière d'être : donc il est évident, par cet exemple, qu'on peut assurer d'une chose tout ce qui est clairement renfermé dans son idée : hésiter encore làdessus, ce n'est plus exactitude et force d'esprit pour douter de ce qui est douteux, c'est légèreté et irrésolution; c'est inconstance d'un esprit flottant, qui ne sait rien saisir par un jugement ferme, qui n'embrasse ni ne suit rien, à qui la vérité connue échappe, et qui se laisse ébranler contre ses plus parfaites convictions, par toutes sortes de pensées vagues.

Ce fondement immobile étant posé, je me réjouis de connoître quelques vérités, c'est là mon véritable bien mais je suis bien pauvre; mon esprit se trouve rétréci dans quatre vérités; je n'oserois passer au-delà sans crainte de tomber dans l'erreur. Ce que je connois n'est presque rien; ce que j'ignore est infini: mais peut-être que je tirerai insensiblement du peu que je connois déja, quelque partie de cet infini qui m'est jusqu'ici in

connu.

Je connois ce que j'appelle moi, qui pense, et à qui je donne le nom d'esprit. Hors de moi je ne connois encore rien; je ne sais s'il y a d'autres esprits que le mien, ni s'il y a des corps. Il est vrai que je crois apercevoir un corps, c'est-à-dire une étendue qui m'est propre, que je remue comme il me plaît, et dont les mouvements me causent de la douleur ou du plaisir. Il est vrai aussi que je

crois voir d'autres corps à peu près semblables au
mien, dont les uns se meuvent et les autres sont
immobiles autour de moi. Mais je me tiens ferme
à ma règle inviolable, qui est de douter sans relâ-
che de tout ce qui peut être tant soit peu douteux.
Non seulement tous ces corps qu'il me semble
apercevoir, tant le mien que les autres, mais en-
core tous les esprits qui me paroissent en société
avec moi, qui me communiquent leurs pensées,
et qui sont attentifs aux miennes : tous ces êtres,
dis-je, peuvent n'avoir rien de réel, et n'être
qu'une pure illusion qui se passe tout entière au-
dedans de moiseul : peut-être suis-je moi seul toute
la nature. N'ai-je pas l'expérience que quand je
dors je crois voir, entendre, toucher, flairer, goù-
ter ce qui n'est point et qui ne sera jamais? Tout
ce qui me frappe pendant mon songe, je le porte
au-dedans de moi, et au-dehors il n'y a rien de
vrai. Ni les corps que je m'imagine sentir, ni les
esprits que je me représente en société de pen-
sée avec le mien, ne sont ni esprits ni corps; ils
ne sont, pour ainsi dire, que mon erreur. Qui me
répondra, encore une fois, que ma vie entière ne
soit point un songe, et un charme que rien ne
peut rompre? Il faut donc par nécessité suspendre
encore mon jugement sur tous ces êtres qui me
sont suspects de fausseté.

Étant ainsi comme repoussé par tout ce que je m'imagine connoître au-dehors de moi, je rentre au-dedans, et je suis encore étonné dans cette solitude au fond de moi-même. Je me cherche, je m'étudie je vois bien que je suis; mais je ne sais ni comment je suis, ni si j'ai commencé à être, ni par où j'ai pu exister. O prodige! je ne suis sûr que de moi-même; et ce moi où je me renferme m'étonne, me surpasse, me confond, et m'échappe dès que je prétends le tenir. Me suis-je fait moi-même? Non; car pour faire il faut être; le néant ne fait rien: donc pour me faire il auroit fallu que j'eusse été avant que d'être ; ce qui est une manifeste contradiction. Ai-je toujours été? suis-je par moi-même ? Il me semble que je n'ai pas toujours été ; je ne connois mon être que par la pensée, et je suis un être pensant. Si j'avois toujours été, j'aurois toujours pensé ; si j'avois toujours pensé, ne me souviendrois-je point de mes pensées ? Ce que j'appelle mémoire, c'est ce qui fait connoître ce que l'on a pensé autrefois. Mes pensées se replient sur elles-mêmes; en sorte qu'en pensant je m'aperçois que je pense, et ma pensée se connoît elle-même : il m'en reste une connoissance après même qu'elle

est passée, qui fait que je la retrouve quand il me plaît: et c'est ce que j'appelle souvenir. Il y a donc bien de l'apparence que si j'avois toujours pensé, je m'en souviendrois.

Il peut néanmoins se faire que quelque cause inconnue et étrangère, quelque être puissant et supérieur au mien, auroit agi sur le mien pour lui ôter la perception de ses pensées anciennes, et auroit produit en moi ce que j'appelle oubli. J'éprouve en effet que quelques unes de mes pensées m'échappent, en sorte que je ne les retrouve plus. Il y en a même quelques unes qui se perdent tellement, qu'à cet égard-là je ne pense point d'avoir jamais pensé.

Mais quel seroit cet être étranger et supérieur au mien, qui auroit empêché ma pensée de se replier ainsi sur elle-même, et de s'apercevoir, comme elle le fait naturellement ? Dans cette incertitude je suspends mon jugement, suivant ma règle, et je me tourne d'un autre côté par un chemin plus court. Suis-je par moi-même, ou suis-je par autrui? Si je suis par moi-même, il s'ensuit que j'ai toujours été; car je porte, pour ainsi dire, au-dedans de moi essentiellement la cause de mon existence : ce qui me fait exister aujourd'hui a dû me faire exister éternellement, et d'une manière immuable. Si au contraire je suis par autrui, d'une manière variable et empruntée, cet antrui, quel qu'il soit, m'a fait passer du néant à l'être. Qui dit un passage du néant à l'être, dit une succession dans laquelle on commence à être, et où le néant précède l'existence. Tout consiste donc à examiner si je suis par moi-même,

ou non.

Pour faire cet examen, je ne puis manquer en m'attachant à une de mes principales règles, qui est comme la clef universelle de toute vérité, qui est de consulter mes idées, et de n'affirmer que ce qu'elles renferment clairement.

Pour démêler ceci, j'ai besoin de rassembler certaines choses qui me paroissent claires. L'être, la vérité et la bonté ne sont qu'une même chose; en voici la preuve. La bonté et la vérité ne peuvent convenir au néant, car le néant ne peut jamais être ni vrai ni bon à aucun degré donc la vérité et la bonté ne peuvent convenir qu'à l'être. Pareillement l'être ne peut convenir qu'à ce qui est vrai, car ce qui est entièrement faux n'est rien; et ce qui est faux en partie n'existe aussi qu'en partie. Il en est de même de la bonté : ce qui n'est qu'un peu bon n'a qu'un peu d'être; ce qui est meilleur est davantage; ce qui n'a aucune bonté n'a aucun être. Le mal n'est rien de réel,

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il n'est que l'absence du bien; comme une ombre n'est qu'une absence de la lumière.

Il est vrai qu'il y a certaines choses très réelles et très positives que l'on nomme mauvaises, non à cause de leur nature réelle et véritable, qui est bonne en elle-même en tout ce qu'elle contient, mais par la privation de certains biens qu'elles devroient avoir, et qu'elles n'ont pas. Je ne saurois donc me tromper en croyant que la vérité et la bonté ne sont que l'être. La bonté et la vérité étant réelles, et n'y ayant point d'autre réalité que l'être, il s'ensuit clairement qu'être vrai, être bon, et être simplement, c'est la même chose : mais comme je puis concevoir qu'une chose soit plus ou moins, je la puis concevoir aussi plus ou moins vraie, plus ou moins bonne.

PREMIÈRE PREUVE,

Tirée de l'imperfection de l'être humain.

Ces principes posés, je reviens à l'être qui seroit par lui-même, et je trouve qu'il seroit dans la suprême perfection. Ce qui a l'être par soi est éternel et immuable; car il porte toujours également dans son propre fonds la cause et la nécessité de son existence. Il ne peut rien recevoir de dehors: : ce qu'il recevroit de dehors ne pourroit jamais faire une même chose avec lui, ni par conséquent le perfectionner; car ce qui seroit d'une nature communiquée et variable ne peut jamais faire un même être avec ce qui est par soi, et incapable de changement. La distance et la disproportion entre de telles parties seroit infinie: donc elles ne pourroient jamais entre elles composer un vrai tout. On ne peut donc rien ajouter à sa vérité, à sa bonté et à sa perfection; il est par lui-même tout ce qu'il peut être, et il ne peut jamais être moins que ce qu'il est. Être ainsi, c'est exister au suprême degré de l'être, et par conséquent au suprême degré de vérité et de perfection.

Donnez-moi un être communiqué et dépendant, et concevez-le à l'infini aussi parfait qu'il vous plaira, il demeurera toujours infiniment audessous de celui qui est par lui-même. Quelle comparaison entre un être emprunté, changeant, susceptible de perdre et de recevoir, qui est sorti du néant, et qui est prêt à y retomber; avec un être nécessaire, indépendant, immuable, qui ne peut dans són indépendance rien recevoir d'autrui, qui a toujours été, qui sera toujours, et qui trouve en soi tout ce qu'il doit être?

Puisque l'être qui est par lui-même surpasse

je l'ai vu, ne peut être que par lui. Mais ce qui est étonnant et incompréhensible, c'est que moi, foible, borné, défectueux, je puisse le concevoir. Il faut qu'il soit non seulement l'objet immédiat de ma pensée, mais encore la cause qui me fait penser; comme il est la cause qui me fait être, et qu'il élève ce qui est fini à penser l'infini.

les fois que je la cherche, et elle se présente souvent, quoique je ne la cherche pas. Elle ne dépend point de moi; c'est moi qui dépends d'elle. Si je m'égare, elle me rappelle: elle me corrige; elle redresse mes jugements; et quoique je l'examine, je ne puis ni la corriger, ni en douter, ni juger d'elle; c'est elle qui me juge et qui me corrige.

Si ce que j'aperçois est l'infini même immédiatement présent à mon esprit, cet infini est donc : si au contraire ce n'est qu'une représentation de l'infini qui s'imprime en moi, cette ressemblance de l'infini doit être infinie; car le fini ne ressemble en rien à l'infini, et n'en peut être la vraie représentation. Il faut donc que ce qui représente véritablement l'infini ait quelque chose d'infini, pour lui ressembler et pour le représenter.

Cette image de la divinité même sera donc un second Dieu semblable au premier en perfection infinie: comment sera-t-il reçu et contenu dans mon esprit borné? D'ailleurs, qui aura fait cette représentation infinie de l'infini pour me la donner? Se sera-t-elle faite elle même? L'image infinie de l'infini n'aura-t-elle ni original sur lequel elle soit faite, ni cause réelle qui l'ait produite? Où en sommes-nous? et quel amas d'extravagances! Il faut donc conclure invinciblement que c'est l'être infiniment parfait qui se rend immédiatement présent à moi quand je le conçois, et qu'il est lui-même l'idée que j'ai de lui.

Je l'avois déja trouvé lorsque j'ai reconnu qu'il y a nécessairement dans la nature un être qui est par lui-même, et par conséquent infiniment parfait. J'ai reconnu que je ne suis point cet être, parce que je suis infiniment au-dessous de l'infinie perfection. J'ai reconnu qu'il est hors de moi, et que je suis par lui. Maintenant je découvre qu'il m'a donné l'idée de lui, en me faisant concevoir une perfection infinie sur laquelle je ne puis me méprendre; car quelque perfection bornée qui se présente à moi, je n'hésite point; sa borne fait aussitôt que je la rejette, et je lui dis dans mon cœur Vous n'êtes point mon Dieu; vous n'êtes point mon infiniment parfait; vous n'êtes point par vous-même : quelque perfection que vous ayez, il y a un point et une mesure audelà de laquelle vous n'avez plus rien et vous n'êtes rien.

Il n'en est pas de même de mon Dieu, qui est tout il est, et il ne cesse point d'être : il est, et il n'y a pour lui ni degré ni mesure: il est, et rien n'est que par lui. Tel est ce que je concois; et, puisque je le conçois, il est; car il n'est pas étonnant qu'il soit, puisque rien, comme

Voilà le prodige que je porte toujours au-dedans de moi. Je suis un prodige moi-même. N'étant rien, du moins n'étant qu'un être emprunté, borné, passager, je tiens de l'infini et de l'immuable que je conçois par-là je ne puis me comprendre moi-même. J'embrasse tout, et je ne suis rien; je suis un rien qui connoît l'infini : les paroles me manquent pour m'admirer et me mépriser tout ensemble. O Dieu! ô le plus être de tous les êtres! ô être devant qui je suis comme si je n'étois pas ! vous vous montrez à moi ; et rien de tout ce qui n'est pas vous ne peut vous ressembler. Je vous vois; c'est vous-même et ce rayon qui part de votre face rassasie mon cœur, en attendant le plein jour de la vérité.

TROISIÈME PREUVE,

Tirée de l'idée de l'ètre nécessaire.

Mais la règle fondamentale de toute certitude, que j'ai posée d'abord, me découvre encore évidemment la vérité du premier être. J'ai dit que si la raison est raison, elle ne consiste que dans la simple et fidèle consultation de mes idées. Je ne saurois juger d'elle, et je juge de tout par elle. Si quelque chose me paroît certain et évident, c'est que mes idées me le représentent comme tel, et je ne suis plus libre d'en douter. Si au contraire quelque chose me paroît faux et absurde, c'est que mes idées y répugnent. En un mot, dans tous mes jugements, soit que j'affirme ou que je nie, c'est toujours mes idées immuables qui décident de ce que je pense. Il faut donc ou renoncer pour jamais à toute raison, ce que je ne suis pas libre de faire, ou suivre mes idées claires sans crainte de me tromper.

Quand j'examine si le néant peut penser, au lieu de l'examiner sérieusement, il me prend envie de rire. D'où cela vient-il? C'est que l'idée de la pensée renferme clairement quelque chose de positif et de réel qui ne convient qu'à l'être. La seule attention à cette idée porte un ridicule manifeste dans ma question. Il en est de même de certaines autres questions.

Demandez à un enfant de quatre ans si la table

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