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suis libre. Quelle est donc cette liberté dépendante? Comment peut-on comprendre un vouloir qui est libre, et qui est donné par un premier être? Je suis libre dans mon vouloir, comme Dieu dans le sien. C'est en cela principalement que je suis son image, et que je lui ressemble. Quelle grandeur, qui tient de l'infini! Voilà le trait de la divinité même. C'est une espèce de puissance divine que j'ai sur mon vouloir; mais je ne suis qu'une simple image de cet être si libre et si puis

sant.

L'image de l'indépendance divine n'est pas la réalité de ce qu'elle représente; ma liberté n'est qu'une ombre de celle de ce premier être par qui je suis et par qui j'agis. D'un côté, le pouvoir que j'ai de vouloir mal est moins un vrai pouvoir qu'une foiblesse et une fragilité de mon vouloir : c'est un pouvoir de déchoir, de me dégrader, de diminuer mon degré de perfection et d'être. D'un autre côté, le pouvoir que j'ai de bien vouloir n'est point un pouvoir absolu, puisque je ne l'ai point de moi-même. La liberté n'étant donc autre chose que ce pouvoir, le pouvoir emprunté ne peut faire qu'une liberté empruntée et dépendante. Un être si imparfait et si emprunté ne peut donc être que dépendant. Comment est-il libre? Quel profond mystère ! Sa liberté, dont je ne puis douter, montre sa perfection; sa dépendance montre le néant dont il est sorti.

Nous venons de voir les traces de la divinité, ou, pour mieux dire, le sceau de Dieu même, dans tout ce qu'on appelle les ouvrages de la nature. Quand on ne veut point subtiliser, on remarque du premier coup d'œil une main qui est le premier mobile dans toutes les parties de l'univers. Les cieux, la terre, les astres, les plantes, les animaux, nos corps, nos esprits, tout marque un ordre, une mesure précise, un art, une sagesse, un esprit supérieur à nous, qui est comme l'ame du monde entier, et qui mène tout à ses fins avec une force douce et insensible, mais toute puissante. Nous avons vu, pour ainsi dire, l'architecture de l'univers, la juste proportion de toutes ses parties; et le simple coup d'œil nous a suffi partout pour trouver dans une fourni, encore plus que dans le soleil, une sagesse et une puissance qui se plaît à éclater en façonnant ses plus vils ouvrages. Voilà ce qui se présente d'abord sans discussion aux hommes les plus ignorants. Que seroit-ce si nous entrions dans les secrets de la physique, et si nous faisions la dissection des parties internes des animaux, pour y trouver la plus parfaite mécanique?

CHAPITRE III.

Réponse aux objections des épicuriens.

J'entends certains philosophes qui me répondent que tout ce discours, sur l'art qui éclate dans toute la nature, n'est qu'un sophisme perpétuel. Toute la nature, me diront-ils, est à l'usage de l'homme, il est vrai; mais vous en concluez mal à propos qu'elle a été faite avec art pour l'usage de l'homme. C'est être ingénieux à se tromper soi-même pour trouver ce qu'on cherche, et qui ne fut jamais. Il est vrai, continueront-ils, que l'industrie de l'homme se sert d'une infinité de choses que la nature lui fournit, et qui lui sont commodes; mais la nature n'a point fait tout exprès ces choses pour sa commodité. Par exemple, des villageois grimpent tous les jours par certaines pointes de rochers au sommet d'une montague; il ne s'ensuit pas néanmoins que ces pointes de rochers aient été taillées avec art comme un escalier pour la commodité des hommes. Tout de même, quand on est à la campagne pendant un orage, et qu'on rencontre une caverne, on s'en sert, comme d'une maison, pour se mettre à couvert il n'est pourtant pas vrai que cette caverne ait été faite exprès pour servir de maison aux hommes. Il en est de même du monde entier : il a été formé par le hasard, et sans dessein; mais les hommes, le trouvant tel qu'il est, ont eu l'invention de le tourner à leurs usages. Ainsi l'art que vous voulez admirer dans l'ouvrage et dans son ouvrier n'est que dans les hommes, qui savent après coup se servir de tout ce qui les environne. Voilà sans doute la plus forte objection que ces philosophes puissent faire; et je crois qu'ils ne peuvent point se plaindre que je l'aie affoiblié. Mais nous allons voir combien elle est foible en elle-même, quand on l'examine de près : la simple répétition de ce que j'ai déja dit suffira pour le démontrer.

Que dirait-on d'un homme qui se piqueroit d'une philosophie subtile, et qui, entrant dans une maison, soutiendroit qu'elle a été faite par le hasard, et que l'industrie n'y a rien mis pour en rendre l'usage commode aux hommes, à cause qu'il y a des cavernes qui ressemblent en quelque chose à cette maison, et que l'art des hommes n'a jamais creusées? On montreroit à celui qui raisonneroit de la sorte toutes les parties de cette maison. Voyez-vous, lui diroit-on, cette grande porte de la cour? elle est plus grande que toutes les autres, afin que les carrosses y puissent en

trer. Cette cour est assez spacieuse pour y faire tourner les carrosses avant qu'ils sortent. Cet escalier est composé de marches basses, afin qu'on puisse monter sans effort; i tourne suivant les appartements et les étages pour lesquels il doit servir. Les fenêtres, ouvertes de distance en distance, éclairent tout le bâtiment; elles sont vitrées, de peur que le vent n'entre avec la lumière; on peut les ouvrir quand on veut, pour respirer un air doux dans la belle saison. Le toit est fait pour défendre tout le bâtiment des injures de l'air. La charpente est en pointe, afin que la pluie et la neige s'y écoulent facilement des deux côtés. Les tuiles portent un peu les unes sur les autres, pour mettre à couvert le bois de la charpente. Les divers planchers des étages servent à multiplier les logements dans un petit espace, en les faisant les uns au-dessus des autres. Les cheminées sont faites pour allumer du feu en hiver sans brûler la maison, et pour faire exhaler la fumée sans la laisser sentir à ceux qui se chauffent. Les appartements sont distribués de manière qu'ils ne sont point engagés les uns dans les autres; que toute une famille nombreuse y peut loger, sans que les uns aient besoin de passer par les chambres des autres; et que le logement du maître est le principal. On y voit des cuisines, des offices, des écuries, des remises de carrosses. Les chambres sont garnies de lits pour se coucher, de chaises pour s'asseoir, de tables pour écrire et pour manger.

la trouvant faite, s'en servent comme ils se serviroient, pendant un orage, d'un antre qu'ils trouveroient sous un rocher au milieu d'un désert.

Que penseroit-on de ce bizarre philosophe, s'il s'obstinoit à soutenir sérieusement que cette maison ne montre aucun art? Quand on lit la fable d'Amphion, qui, par un miracle de l'harmonie, faisoit élever avec ordre et symétrie les pierres les unes sur les autres pour former les murailles de Thèbes, on se joue de cette fiction poétique; mais cette fiction n'est pas si incroyable que celle que l'homme que nous supposons oseroit défendre. Au moins pourroit-on s'imaginer que l'harmonie, qui consiste dans un mouvement local de certains corps, pourroit, par quelqu'une de ces vertus secrètes qu'on admire dans la nature sans les entendre, ébranler les pierres avec un certain ordre, et une espèce de cadence, qui feroit quelque régularité dans l'édifice. Cette explication choque néanmoins et révolte la raison; mais enfin elle est encore moins extravagante que celle que je viens de mettre dans la bouche d'un philosophe. Qu'y a-t-il de plus absurde que de se représenter des pierres qui se taillent, qui sortent de la carrière, qui montent les unes sur les autres sans laisser de vide, qui portent avec elles leur ciment pour leur liaison, qui s'arrangeut pour distribuer les appartements, qui reçoivent au-dessus d'elles le bois d'une charpente avec les tuiles pour mettre l'ouvrage à couvert? Les enfants mêmes qui bégaient encore riroient si on leur proposoit sérieusement cette fable.

toutes les maisons.

Il faut, diroit-on à ce philosophe, que cet ouvrage ait été conduit par quelque habile archi- Mais pourquoi rira-t-on moins d'entendre dire tecte; car tout y est agréable, riant, propor- que le monde s'est fait de lui-même comme cette tionné, commode: il faut même qu'il ait eu sous maison fabuleuse? Il ne s'agit pas de comparer le lui d'excellents ouvriers. Nullement, répondroit monde à une caverne informe qu'on suppose faite ce philosophe; vous êtes ingénieux à vous trom- par le hasard ; il s'agit de le comparer à une maiper vous-même. Il est vrai que cette maison est son où éclateroit la plus parfaite architecture. Le riante, agréable, proportionnée, commode; mais moindre animal est d'une structure et d'un art elle s'est faite d'elle-même avec toutes ses propor-infiniment plus admirable que la plus belle de tions. Le hasard en a assemblé les pierres avec ce bel ordre; il a élevé les murs, assemblé et posé la charpente, percé les fenêtres, placé l'escalier. Gardez-vous bien de croire qu'aucune main d'homme y ait eu aucune part les hommes ont seulement profité de cet ouvrage quand ils l'ont trouvé fait. Ils s'imaginent qu'il est fait pour eux, parce qu'ils y remarquent des choses qu'ils savent tourner à leur commodité; mais tout ce qu'ils attribuent au dessein d'un architecte imaginaire n'est que l'effet de leur invention après coup. Cette maison si régulière et si bien entendue ne s'est faite que comme une caverne; et les hommes,

Un voyageur entrant dans le Saïde, qui est le pays de l'ancienne Thèbes à cent portes, et qui est maintenant désert, y trouveroit des colonnes, des pyramides, des obélisques avec des inscriptions en caractères inconnus. Diroit-il aussitôt : Les hommes n'ont jamais habité ces lieux; aucune main d'homme n'a travaillé ici; c'est le hasard qui a formé ces colonnes, qui les a posées sur leurs piédestaux, et qui les a couronnées de leurs chapiteaux avec des proportions si justes; c'est le hasard qui a lié si solidement les morceaux dont ces pyramides sont composées; c'est le hasard qui

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a taillé ces obélisques d'une seule pierre, et qui y a gravé tous ces caractères? Ne diroit-il pas au contraire, avec toute la certitude dont l'esprit des hommes est capable : Ces magnifiques débris sont les restes d'une architecture majestueuse qui florissoit dans l'ancienné Égypte?

Voilà ce que la simple raison fait dire au premier coup d'œil, et sans avoir besoin de raisonner. Il en est de même du premier coup d'œil jeté sur l'univers. On peut s'embrouiller soi-même après coup par de vains raisonnements pour obscurcir ce qu'il y a de plus clair; mais le simple coup d'œil est décisif. Un ouvrage tel que le monde ne se fait jamais de lui-même les os, les tendons, les veines, les artères, les nerfs, les muscles qui composent le corps de l'homme, ont plus d'art et de proportion que toute l'architecture des anciens Grecs et Égyptiens. L'œil du moindre animal surpasse la mécanique de tous les artisans ensemble. Si on trouvoit une montre dans les sables d'Afrique, on n'oseroit dire sérieusement que le hasard l'a formée dans ces lieux déserts; et on n'a point de honte de dire que les corps des animaux, à l'art desquels nulle montre ne peut jamais être comparée, sont des caprices du hasard!

Je n'ignore pas un raisonnement que les épicuriens peuvent faire. Les atomes, diront-ils, ont un mouvement éternel; leur concours fortuit doit avoir déja épuisé, dans cette éternité, des combinaisons infinies. Qui dit l'infini dit quelque chose qui comprend tout sans exception. Parmi ces combinaisons infinies des atomes qui sont déja arrivées successivement, il faut nécessairement qu'on y trouve toutes celles qui sont possibles. S'il y en avoit une seule de possible audelà de celles qui sont contenues dans cet infini, il ne seroit plus un infini véritable, parce qu'on pourroit y ajouter quelque chose, et que ce qui peut être augmenté, ayant une borne par le côté susceptible d'accroissement, n'est point veritablement infini. Il faut donc que la combinaison des atomes, qui fait le système présent du monde, soit une des combinaisons que les atomes ont eues successivement. Ce principe étant posé, faut-il s'étonner que le monde soit tel qu'il est ? Il a dû prendre cette forme précise un peu plus tôt ou un peu plus tard. Il falloit bien qu'il parvint, dans quelqu'un de ces changements infinis, à cette combinaison qui le rend aujourd'hui si régulier, puisqu'il doit avoir déja eu tour-à-tour toutes les combinaisons concevables. Dans le total de l'éternité sont renfermés tous les systèmes:

il n'y en a aucun que le concours des atomes ne forme et n'embrasse tôt ou tard. Dans cette variété infinie de nouveaux spectacles de la nature, celui-ci a été formé en son rang: il a trouvé place à son tour. Nous nous trouvons actuellement dans ce système. Le concours des atomes qui l'a fait le défera ensuite, pour en faire d'autres à l'infini de toutes les espèces possibles. Ce système ne pouvoit manquer de trouver sa place, puisque tous, sans exception, doivent trouver la leur chacun à son tour. C'est en vain qu'on cherche un art chimérique dans un ouvrage que le hasard a dû faire tel qu'il est.

Un exemple achèvera d'éclaircir ceci. Je suppose un nombre infini de combinaisons des lettres de l'alphabet formées successivement par le hasard: toutes les combinaisons possibles sont sans doute renfermées dans ce total, qui est véritablement infini. Or est-il que l'Iliade d'Homère n'est qu'une combinaison de lettres? L'Iliade d'Homère est donc renfermée dans ce recueil infini de combinaisons des caractères de l'alphabet. Ce fait étant supposé, un homme qui voudra trouver de l'art dans l'Iliade raisonnera très mal. Il aura beau admirer l'harmonie des vers, la justesse et la magnificence des expressions, la naïveté des peintures, la proportion des parties du poème, son unité parfaite, et sa conduite inimitable; en vain il se récriera que le hasard ne peut jamais faire rien de si parfait, et que le dernier effort de l'art humain peut à peine achever un si bel ouvrage : tout ce raisonnement si spécieux portera visiblement à faux. Il sera certain que le hasard ou concours fortuit des caractères les assemblant tour-àtour avec une variété infinie, il a fallu que la combinaison précise qui fait l'Iliade vînt à son tour, un peu plus tôt ou un peu plus tard. Elle est enfin venue, et l'Iliade entière se trouve parfaite, sans que l'art d'un Homère s'en soit mêlé. Voilà l'objection rapportée de bonne foi, sans l'affoiblir en rien. Je demande au lecteur une attention suivie pour les réponses que j'y vais faire. Io Rien n'est plus absurde que de parler de combinaisons successives des atomes qui soient infinies en nombre. L'infini ne peut jamais être successif ni divisible. Donnez-moi un nombre que vous prétendrez être infini; je pourrai toujours faire deux choses qui démontreront que ce n'est pas un infini véritable. 4° J'en puis retrancher une unité : alors il deviendra moindre qu'il n'étoit, et sera certainement fini; car tout ce qui est moindre que l'infini a une borne par l'endroit où l'on s'arrête, et où l'on pourroit aller au-delà : or le

de ces combinaisons qui seroient fortuites comme
des coups
de dés.

Tous les hommes, qui supposent naturellement une différence sensible entre les ouvrages de l'art et ceux du hasard, supposent donc, sans l'avoir bien approfondi, que les combinaisons d'atomes n'ont point été infinies; et leur supposition est juste. Cette succession infinie de combinaisons d'atomes est, comme je l'ai déja montré, une chimère plus absurde que toutes les absurdités qu'on voudroit expliquer par ce faux principe. Aucun nombre, ni successif, ni continu, ne peut

nombre qui est fini dès qu'on en retranche une seule unité ne pouvoit pas être infini avant ce retranchement. Une seule unité est certainement finie or un fini joint à un autre fini ne sauroit faire l'infini. Si une seule unité ajoutée à un nombre fini faisoit l'infini, il faudroit dire que le fini égaleroit presque l'infini; ce qui est le comble de l'absurdité. 2o Je puis ajouter une unité à ce nombre, et par conséquent l'augmenter; or ce qui peut être augmenté n'est point infini; car l'infini ne peut avoir aucune borne; et ce qui peut recevoir de l'augmentation est borné par l'endroit où l'on s'arrête, pouvant aller plus loin, et y ajouter quel-être infini: d'où il s'ensuit clairement que les atoque unité. Il est donc évident que nul composé divisible ne peut être l'infini véritable.

mes ne peuvent être infinis en nombre, que la succession de leurs divers mouvements et de leurs combinaisons n'a pu être infinie, que le monde n'a pu être éternel, et qu'il faut trouver un commencement précis et fixe de ces combinaisons successives. Il faut trouver un premier individu dans les générations de chaque espèce; il faut trouver de même la première forme qu'a eue chaque portion de matière qui fait partie de l'univers : et comme les changements successifs de cette matière n'ont pu avoir qu'un nombre borné, il ne faut admettre dans ces différentes combinaisons que celles que le hasard produit d'ordinaire, moins qu'on ne reconnoisse une sagesse supé

Ce fondement étant posé, tout le roman de la philosophie épicurienne disparoît en un moment. Il ne peut jamais y avoir aucun corps divisible qui soit véritablement infini en étendue, ni aucun nombre ni aucune succession qui soit un infini véritable. De là il s'ensuit qu'il ne peut jamais y avoir un nombre successif de combinaisons d'atomes qui soit infini. Si cet infini chimérique étoit véritable, toutes les combinaisons possibles et concevables d'atomes s'y rencontreroient, j'en conviens; par conséquent il seroit vrai qu'on y trouveroit toutes les combinaisons qui semblent demander la plus grande industrie : ainsi on pour-rieure qui ait fait avec un art parfait les arrangeroit attribuer au pur hasard tout ce que l'art fait ments que le hasard n'auroit su faire. de plus merveilleux.

Si on voyoit des palais d'une parfaite architecture, des meubles, des montres, des horloges, et toutes sortes de machines les plus composées, dans une île déserte, il ne seroit plus permis de conclure qu'il y a eu des hommes dans cette île, et qu'ils ont fait tous ces beaux ouvrages. Il faudroit dire Peut-être qu'une des combinaisons infinies des atomes, que le hasard a faites successivement, a formé tous ces composés dans cette île déserte, sans que l'industrie d'aucun homme s'en soit mêlée. Ce discours ne seroit qu'une conséquence très bien tirée du principe des épicuriens mais l'absurdité de la conséquence sert à faire sentir celle du principe qu'ils veulent poser. Quand les hommes, par la droiture naturelle de leur sens commun, concluent que ces sortes d'ouvrages ne peuvent venir du hasard, ils supposent visiblement, quoique d'une manière confuse, que les atomes ne sont point éternels, et qu'ils n'ont point eu dans leur concours fortuit une succession de combinaisons infinies; car si on supposoit ce principe, on ne pourroit plus distinguer jamais les ouvrages de l'art d'avec ceux

11o Les philosophes épicuriens sont si foibles dans leur système, qu'ils ne peuvent venir à bout de le former qu'autant qu'on leur donne sans preuve tout ce qu'ils demandent de plus fabuleux. Ils supposent d'abord des atomes éternels; c'est supposer ce qui est en question. Où prennent-ils que les atomes ont toujours été, et sont par euxmêmes? Être par soi-même, c'est la suprême perfection. De quel droit supposent-ils, sans preuve, que les atomes ont un être parfait, éternel, immuable dans leur propre fond? Trouvent-ils cette perfection dans l'idée qu'ils ont de chaque atome en particulier? Un atome n'étant pas l'autre, et étant absolument distingué de lui, il faudroit que chacun d'eux portât en soi l'éternité et l'indépendance à l'égard de tout autre être. Encore une fois, est-ce dans l'idée qu'ils ont de chaque atome que ces philosophes trouvent cette perfection? Mais donnons-leur là-dessus tout ce qu'ils demanderont, et ce qu'ils ne devroient pas même oser demander. Supposons donc que les atomes sont éternels, existants par eux-mêmes, indépendants de tout autre être, et par conséquent entièrement parfaits.

Faudra-t-il supposer encore qu'ils ont par eux-ment qui se perd, qui se communique, qui passe mêmes le mouvement? Le supposera-t-on à plai- d'un corps dans un autre comme une chose étransir, pour réaliser un système plus chimérique que gère, ne peut être de l'essence des corps. Je dois les contes des fées? Consultons l'idée que nous donc conclure que les corps sont parfaits dans leur avons d'un corps; nous le concevons parfaitement essence, sans qu'on leur attribue aucun mouvesans supposer qu'il se meuve: nous nous le re- ment s'ils ne l'ont point par leur essence, ils ne présentons en repos; et l'idée n'en est pas moins l'ont que par accident; s'ils ne l'ont que par acciclaire en cet état; il n'en a pas moins ses parties, dent, il faut remonter à la vraie cause de cet acsa figure et ses dimensions. cident. Il faut, ou qu'ils se donnent eux-mêmes le mouvement, ou qu'ils le reçoivent de quelque autre être. Il est évident qu'ils ne se le donnent point eux-mêmes; nul être ne se peut donner ce qu'il n'a pas en soi. Nous voyons même qu'un corps qui est en repos demeure toujours immobile, si quelque autre corps voisin ne vient l'ébranler. Il est donc vrai que nul corps ne se meut par soi-même, et n'est mu que par quelque autre corps qui lui communique son mouvement.

C'est en vain qu'on veut supposer que tous les corps sont sans cesse en quelque mouvement sensible ou insensible, et que, si quelques portions de la matière sont dans un moindre mouvement que les autres, du moins la masse universelle de la matière a toujours dans sa totalité le même mouvement. Parler ainsi, c'est parler en l'air, et vouloir être cru sur tout ce qu'on s'imagine. Où prend-on que la masse de la matière a toujours dans sa totalité le même mouvement? qui est-ce qui en a fait l'expérience? Ose-t-on appeler philosophie cette fiction téméraire qui suppose ce qu'on ne peut jamais vérifier? N'y a-t-il qu'à supposer tout ce qu'on veut, pour éluder les vérités les plus simples et les plus constantes? De quel droit suppose-t-on aussi que tous les corps se meuvent sans cesse sensiblement ou insensiblement? Quand je vois une pierre qui paroît immobile, comment me prouvera-t-on qu'il n'y a aucun atome dans cette pierre qui ne se meuve actuellement? Ne me donnera-t-on jamais, pour preuves décisives, que des suppositions sans vraisemblance?

Allons encore plus loin. Supposons, par un excès de complaisance, que tous les corps de la nature se meuvent actuellement s'ensuit-il que le mouvement leur soit essentiel, et qu'aucun d'eux ne puisse jamais être en repos? s'ensuit-il que le mouvement soit essentiel à toute portion de matière? D'ailleurs, si tous les corps ne se meuvent pas également; si les uns se meuvent plus sensiblement et plus fortement que les autres; si le même corps peut se mouvoir tantôt plus et tantôt moins; si un corps qui se meut communique son mouvement au corps voisin qui étoit en repos, ou dans un mouvement tellement inférieur qu'il étoit insensible, il faut avouer qu'une manière d'être qui tantôt augmente et tantôt diminue dans les corps ne leur est pas essentielle.

Ce qui est essentiel à un être est toujours le même en lui. Le mouvement qui varie dans les corps, et qui, après avoir augmenté, se ralentit jusqu'à paroître absolument anéanti; le mouve

Mais d'où vient qu'un corps en peut mouvoir un autre? d'où vient qu'une boule qu'on fait rouler sur une table unie ne peut en aller toucher une autre sans la remuer? Pourquoi n'auroit-il pas pu se faire que le mouvement ne se communiquât jamais d'un corps à un autre? En ce cas, une boule mue s'arrêteroit auprès d'une autre en la rencontrant, et ne l'ébranleroit jamais.

On me répondra que les lois du mouvement entre les corps décident que l'un ébranle l'autre. Mais où sont-elles écrites ces lois du mouvement? qui est-ce qui les a faites, et qui les rend si inviolables? Elles ne sont point dans l'essence des corps; car on peut concevoir les corps en repos, et on conçoit même des corps dont les uns ne communiqueroient point leur mouvement aux autres, si ces règles, dont la source est inconnue, ne les y assujettissoient. D'où vient cette police, pour ainsi dire arbitraire, pour le mouvement entre tous les corps? D'où viennent ces lois si ingénieuses, si justes, si bien assorties les unes aux autres, et dont la moindre altération renverseroit tout-à-coup tout le bel ordre de l'univers?

Un corps étant entièrement distingué de l'autre, il est par le fond de sa nature absolument indépendant de lui en tout d'où il s'ensuit qu'il ne doit rien recevoir de lui, et qu'il ne doit être susceptible d'aucune de ses impressions. Les modifications d'un corps ne sont point une raison pour modifier de même un autre corps, dont l'être est entièrement indépendant de l'être du premier. C'est en vain qu'on allègue que les masses les plus solides et les plus pesantes entraînent celles qui sont moins grosses et moins solides, et que, suivant cette règle, une grosse boule

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