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elle. La paix de l'ame consiste dans une entière résignation à la volonté de Dieu.

Marthe, Marthe, vous vous inquiétez et vous vous troublez pour bien des choses; il n'y en a qu'une de nécessaire'. Une vraie simplicité, un certain calme d'esprit qui est le fruit d'un entier abandon à tout ce que Dieu veut, une patience et un support pour les défauts du prochain, que la présence de Dieu inspire, une certaine candeur et une certaine docilité d'enfant pour avouer ses fautes, pour vouloir en être repris, et pour se soumettre au conseil des personnes expérimentées, seront des vertus solides, utiles, et propres pour vous sanctifier.

La peine que vous avez sur un grand nombre de choses vient de ce que vous n'acceptez pas avec assez d'abandon à Dieu tout ce qui peut vous arriver. Mettez donc toutes choses entre ses mains, et faites-en par avance le sacrifice entier dans votre cœur. Dès le moment que vous ne voudrez plus rien selon votre propre jugement, et que vous voudrez sans réserve tout ce que Dieu voudra, vous n'aurez plus tant de retours inquiets et de réflexions à faire sur ce qui vous regarde; vous n'aurez rien à cacher ni à ménager. Jusque là vous serez troublé, changeant dans vos vues et dans vos goûts, facilement mécontent d'autrui, peu d'accord avec vous-même, plein de réserve et de défiance votre bon esprit, jusqu'à ce qu'il soit bien humilié et simple, ne servira qu'à vous tourmenter; votre piété, quoique sincère, vous donnera moins de soutien et de consolation que de

reproches intérieurs. Si au contraire vous abandonnez tout votre cœur à Dieu, vous serez tranquille, et plein de la joie du Saint-Esprit.

Malheur à vous si vous regardez encore l'homme dans l'œuvre de Dieu! Quand il s'agit de choisir un guide, il faut compter tous les hommes pour rien. Le moindre respect humain fait tarir la grace, augmente les irrésolutions. On souffre beaucoup, et on déplaît encore davantage à Dieu.

Ce qui nous oblige à aimer Dieu, c'est qu'il nous a aimés le premier, et aimés d'un amour tendre, comme un père qui a pitié de ses enfants, dont il connoît l'extrême fragilité et la boue dont il les a pétris. Il nous a cherchés dans nos propres voies, qui sont celles du péché; il a couru comme un pasteur qui se fatigue pour retrouver sa brebis égarée. Il ne s'est pas contenté de nous chercher; mais, après nous avoir trouvés, il s'est chargé de nous et de nos langueurs; il a été obéissant jus

1 Luc.. x. 41, 42.

qu'à la mort de la croix. On peut dire de même qu'il nous a aimés jusqu'à la mort de la croix, et que la mesure de son obéissance a été celle de son amour. Quand cet amour remplit bien une ame, elle goûte la paix de la conscience; elle est contente et heureuse; il ne lui faut ni grandeur, ni réputation, ni plaisir, rien de tout ce que le temps emporte sans en laisser aucunes traces; elle ne veut que la volonté de Dieu, et elle veille incessamment dans l'heureuse attente de son époux.

XXXIX.

Suite du même sujet.

Je vous souhaite tous les biens que vous devez chercher dans la retraite le principal est la paix dans une conduite simple, où on ne regarde jamais l'avenir avec trop d'inquiétude. L'avenir est à Dieu, et point à vous. Dieu l'assaisonnera comme il faut, selon vos besoins; mais si vous voulez pénétrer cet avenir par votre propre sagesse, Vous n'en tirerez aucun fruit que l'inquiétude, et la prévoyance de certains maux inévitables. Songez seulement à profiter de chaque jour; chaque jour a son bien et son mal, en sorte même que le mal devient souvent un bien, pourvu qu'on laisse faire Dieu, et qu'on ne le prévienne jamais par impatience.

Dieu vous donnera alors tout le temps qu'il faudra pour aller à lui. Il ne vous donnera peut-être pas tout celui que vous voudriez pour vous occuper selon votre goût, et pour vivre à vous-même sous prétexte de perfection; mais vous ne manquerez ni de temps ni d'occasion de renoncer à vous-même et à vos inclinations. Tout autre temps au-delà de celui-là est perdu, quelque bien employé qu'il paroisse. Soyez même persuadé que

Vous trouverez sur toutes ces choses des facilités

convenables à vos vrais besoins; car, autant que Dieu déconcertera vos inclinations, autant soutiendra-t-il votre foiblesse. Ne craignez rien, et laissez-le faire: évitez seulement par une occupation douce, tranquille et réglée, la tristesse et l'ennui, qui sont la plus dangereuse tentation pour votre naturel. Vous serez toujours libre en Dieu, pourvu que vous ne vous imaginiez point d'avoir perdu votre liberté.

XL.

En quoi consiste la simplicité: sa pratique et ses divers degrés.

Il y a une simplicité qui est un défaut, et il y a une simplicité qui est une merveilleuse vertu. La simplicité est souvent un défaut de discernement, et une ignorance des égards qu'on doit à chaque personne. Quand on parle dans le monde d'une personne simple, on veut dire un esprit court, crédule et grossier; la simplicité qui est une vertu, loin d'être grossière, est quelque chose de sublime. Tous les gens de bien la goûtent, l'admirent, sentent quand ils la blessent, la remarquent en autrui, et sentent quand il est nécessaire de la pratiquer; mais ils auroient de la peine à dire précisément ce que c'est que cette vertu. On peut dire là-dessus ce que le petit livre de l'Imitation de Jésus-Christ dit de la componction du cœur : 1 vaut mieux la pratiquer que de savoir la définir '.¦ La simplicité est une droiture de l'ame qui retranche tout retour inutile sur elle-même et sur ses actions. Elle est différente de la sincérité. La sincérité est une vertu au-dessous de la simplicité. On voit beaucoup de gens qui sont sincères sans être simples: ils ne disent rien qu'ils ne croient vrai; ils ne veulent passer que pour ce qu'ils sont; mais ils craignent sans cesse de passer pour ce qu'ils ne sont pas; ils sont toujours à s'étudier eux-mêmes, à compasser toutes leurs paroles et toutes leurs pensées, et à repasser tout ce qu'ils ont fait dans la crainte d'avoir trop fait ou trop dit. Ces gens-là sont sincères, mais ils ne sont pas simples: ils ne sont point à leur aise avec les autres, et les autres ne sont point à leur aise avec eux: on n'y trouve rien d'aisé, rien de libre, rien d'ingénu, rien de naturel; on aimeroit mieux des gens moins réguliers et plus imparfaits, qui fussent moins composés. Voilà le goût des hommes, et celui de Dieu est de même : il veut des ames qui ne soient point occupées d'elles, et comme toujours au miroir pour se composer.

Être tout occupé des créatures, sans jamais faire aucune réflexion sur soi, c'est l'état d'aveuglement des personnes que le présent et le sensible entraînent toujours : c'est l'extrémité opposée à la simplicité. Être toujours occupé de soi dans tout ce qu'on a à faire, soit pour les créatures, soit pour Dieu, c'est l'autre extrémité qui rend l'ame sage à ses propres yeux, toujours réservée, pleine d'elle-même, inquiète sur les moindres

Lib. 1. cap. 1, n. 3.

choses qui peuvent troubler la complaisance qu'elle a en elle-même. Voilà la fausse sagesse, qui n'est, avec toute sa grandeur, guère moins vaine et guère moins folle que la folie des gens qui se jettent tête baissée dans tous les plaisirs. L'une est enivrée de tout ce qu'elle voit au-dehors; l'autre est enivrée de tout ce qu'elle s'imagine faire audedans; mais enfin ce sont deux ivresses. L'ivresse de soi-même est encore pire que celle des choses extérieures, parce qu'elle paroît une sagesse, et qu'elle ne l'est pas on songe moins à en guérir; on s'en fait honneur; elle est approuvée; on y met une force qui élève au-dessus des honneurs et audessus du reste des hommes: c'est une maladie semblable à la frénésie; on ne la sent pas; on est à la mort, et on dit: Je me porte bien. Quand on ne fait point de retours sur soi, à force d'être entraîné par les objets extérieurs, on est étourdi; au contraire, quand on fait trop de retours, c'est une conduite forcée, et contraire à la simplicité.

La simplicité consiste en un juste milieu où l'on n'est ni étourdi, ni trop composé : l'ame n'est point entraînée par l'extérieur, en sorte qu'elle ne puisse plus faire les réflexions nécessaires : mais aussi elle retranche les retours sur soi qu'un amourpropre inquiet et jaloux de sa propre excellence multiplie à l'infini. Cette liberté d'une ame qui voit immédiatement devant elle pendant qu'elle marche, mais qui ne perd point son temps à trop raisonner sur ses pas, à les étudier, à regarder sans cesse ceux qu'elle a déja faits, est la véritable simplicité.

Voici donc le progrès de l'ame. Le premier degré est celui où elle se déprend des objets extérieurs pour rentrer au-dedans d'elle-même, et pour s'occuper de son état pour son propre intérêt: jusque là il n'y a encore rien que de naturel; c'est un amour-propre sage, qui veut sortir de l'enivrement des choses extérieures.

Dans le second degré, l'ame joint à la vue d'ellemême celle de Dieu, qu'elle craint. Voilà un foible commencement de la véritable sagesse ; mais elle est encore enfoncée en elle-même : elle ne se contente pas de craindre de Dieu, elle veut être assurée qu'elle le craint; elle craint de ne le pas craindre; sans cesse elle revient sur ses propres actes. Ces retours si inquiets et si multipliés sur soi-même sont encore bien éloignés de la paix et de la liberté qu'on goûte dans l'amour simple: mais ce n'est pas encore le temps de goûter cette liberté; il faut que l'ame passe par ce trouble; et qui voudroit d'abord la mettre dans la liberté de l'amour simple courroit risque de l'égarer.

Le premier homme voulut d'abord jouir de lui- | flexions sur elles-mêmes, je crois néanmoins qu'il même; c'est ce qui le fit tomber dans l'attache- faut, suivant les ouvertures que la grace donne, ment aux créatures. L'homme revient d'ordi- les empêcher de tomber dans une certaine occunaire par le même chemin qu'il a fait en s'égarant, pation excessive et inquiète d'elles-mêmes, qui c'est-à-dire qu'ayant passé de Dieu aux objets ex- les gêne, qui les trouble, qui les embarrasse et térieurs, en rentrant d'abord en soi-même il repasse qui les retarde dans leur course. Elles sont enveaussi les objets extérieurs en Dieu en rentrant au loppées en elles-mêmes comme un voyageur qui fond de son cœur. Il faut donc, dans la conduite or- seroit enveloppé de tant de manteaux l'un sur l'audinaire, laisser quelque temps une ame pénitente tre, qu'il ne pourroit marcher. Les trop grands aux prises avec elle-même dans une rigoureuse re- retours sur soi produisent dans les ames foibles la cherche de ses propres misères, avant que de l'intro- superstition et le scrupule qui sont pernicieux, et duire dans la liberté des enfants bien aimés. Tant dans les ames qui sont naturellement fortes une saque l'attrait et le besoin de la crainte dure, il faut gesse présomptueuse qui est incompatible avec l'esnourrir l'ame de ce pain de tribulation et d'angoisse. prit de Dieu. Tout cela est contraire à la simpliciQuand Dieu commence à ouvrir le cœur à quelque té, qui est libre, droite et généreuse jusqu'à s'oublier chose de plus pur, il faut suivre, sans perdre le elle-même pour se livrer à Dieu sans réserve. Oh! temps et comme pas à pas, l'opération de sa grace. qu'une ame délivrée de ces retours bas, intéressés et Alors l'ame commence à entrer dans la simplicité. inquiets, est heureuse! que ses démarches sont noDans le troisième degré, elle n'a plus ces re- bles! qu'elles sont grandes! qu'elles sont hardies! tours inquiets sur elle-même; elle commence à re- Si un homme veut que son ami soit simple et garder Dieu plus souvent qu'elle ne se regarde, libre avec lui, en sorte qu'il s'oublie lui-même et insensiblement elle tend à s'oublier pour s'occu- dans ce commerce d'amitié, à combien plus forte per en Dieu par un amour sans intérêt propre. raison Dieu, qui est le vrai ami, veut-il que l'ame Ainsi l'ame, qui ne pensoit point autrefois à elle- soit sans retour, sans inquiétude, sans gêne, sans même parce qu'elle étoit toujours entraînée par les jalousie sur elle-même, sans réserve dans cette objets extérieurs qui excitoient ses passions, et douce et intime familiarité qu'il lui prépare! C'est qui dans la suite a passé par une sagesse qui la cette simplicité qui fait la perfection des vrais enrappeloit sans cesse à elle-même, vient enfin peu fants de Dieu; c'est le but auquel on doit tendre à peu à un autre état, où Dieu fait sur elle ce que et auquel on doit se laisser conduire. Le grand obles objets extérieurs faisoient autrefois; c'est-à-dire stacle à cette bienheureuse simplicité est la folle saqu'il l'entraîne et la désoccupe d'elle-même, en gesse du siècle, qui ne veut rien confier à Dieu, l'occupant de lui. qui veut tout faire par son industrie, tout arranger par elle-même, et se mirer sans cesse dans ses ouvrages. Cette sagesse est une folie, selon saint Paul'; et la vraie sagesse, qui consiste à se livrer à l'esprit de Dieu sans retour inquiet sur soi, est une folie aux yeux insensés des mondains.

Plus l'ame est docile et souple pour se laisser entraîner sans résistance ni retardement, plus elle avance dans la simplicité. Ce n'est pas qu'elle devienne aveugle sur ses défauts, et qu'elle ne sente ses infidélités; elle les sent plus que jamais, elle a horreur des moindres fautes; sa lumière augmente toujours pour découvrir sa corruption: mais cette connoissance ne lui vient plus par des retours inquiets sur elle-même; c'est par la lumière de Dieu présent qu'elle se voit contraire à sa pureté infinie.

Ainsi elle est libre dans sa course, parce qu'elle ne s'arrête point pour se composer avec art. Encore une fois, cette simplicité merveilleuse ne convient point aux ames qui ne sont point encore purifiées par une solide pénitence; car elle ne peut être que le fruit du détachement total de soi-même, et d'un amour pour Dieu sans intérêt mais on y parvient peu à peu ; et quoique les ames qui ont besoin de pénitence pour s'arracher aux vanités du monde doivent faire beaucoup de ré

Quand un chrétien n'est pas encore pleinement converti, il faut sans cesse lui demander d'être sage; quand il est pleinement converti, il faut commencer à craindre qu'il ne soit trop sage; il faut lui inspirer cette sagesse sobre et tempérée dont parle saint Paul 2: enfin, s'il veut s'avancer vers Dieu, il faut qu'il se perde pour se retrouver; il faut démonter cette sagesse propre qui sert d'appui à la nature défiante; il faut avaler le calice amer de la folie de la croix, qui tient lieu de martyre aux ames généreuses qui ne sont point destinées à répandre leur sang comme les premiers chrétiens.

Le retranchement des retours inquiets et intéressés sur soi met l'ame dans une paix et dans une

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liberté inexplicable : c'est la simplicité. Il est aisé de voir de loin qu'elle doit être merveilleuse; mais la seule expérience peut montrer quelle largeur de cœur elle donne. On est comme un petit enfant dans le sein de sa mère; on ne veut plus et on ne craint plus rien pour soi; on se laisse tourner en tous sens : avec cette pureté de cœur, on ne se met plus en peine de ce que les autres croiront de nous, si ce n'est qu'on évite par charité de les scandaliser on fait dans le moment toutes ses actions le mieux qu'on peut, avec une attention douce, libre, gaie; et on s'abandonne pour le succès. On ne se juge plus soi-même, et on ne craint point d'être jugé, comme saint Paul le dit de luimême 1.

Tendons donc à cette aimable simplicité. Qu'il nous reste de chemin pour y parvenir! Plus nous en sommes éloignés, plus il nous faut hâter pour avancerà grands pas vers elle. Bien loin d'être simples, la plupart des chrétiens ne sont pas sincères: ils sont non-seulement composés, mais faux et dissimulés avec le prochain, avec Dieu et avec euxmêmes; mille petits détours, mille inventions pour donner indirectement des contorsions à la vérité. Hélas! tout homme est menteur 2: ceux mêmes qui sont naturellement droits, sincères, ingénus, et qui ont ce qu'on appelle un naturel simple et aisé en tout, ne laissent pas d'avoir une application délicate et jalouse sur eux-mêmes, qui nourrit secrètement l'orgueil, et qui empêche la vraie simplicité, qui est le renoncement sincère et l'oubli constant de soi-même.

Mais, dira-t-on, comment pourrai-je m'empêcher d'être occupé de moi? c'est une foule de retours sur moi-même qui m'inquiètent, qui me tyrannisent, et qui me causent une très vive sensibilité.

Je ne demande que ce qui est volontaire dans ces retours. Ne soyez jamais volontairement dans les retours inquiets et jaloux, cela suffira; votre fidélité à y renoncer toutes les fois que vous les apercevrez vous en délivrera peu à peu mais n'allez pas attaquer de front ces pensées, ne cherchez point querelle en vous opiniâtrant pour les combattre; vous les irriteriez. Un effort continuel pour repousser les pensées qui nous occupent de nous et de nos intérêts, seroit une occupation continuelle de nous-mêmes, qui nous distrairoit de la présence de Dieu et des devoirs qu'il veut nous faire accomplir.

entre les mains de Dieu tous nos intérêts de plaisir, de commodité, de réputation. Quiconque met tout au pis-aller, et qui accepte sans réserve tout ce que Dieu veut lui donner d'humiliations, de peines et d'épreuves, soit au-dehors, soit au-dedans, commence à s'endurcir contre soi-même : il ne craint point de n'être pas approuvé, et de ne pouvoir éviter la critique des hommes; il n'a plus de délicatesse, ou s'il en a une involontaire, il la méprise et la gourmande; il la traite si rudement, pour n'y avoir aucun égard, qu'elle diminue bientôt. Cet état de pleine acceptation et d'acquiesce ment perpétuel fait la vraie liberté; et cette liberté produit la simplicité parfaite.

Une ame qui n'a plus d'intérêt, et qui ne se soucie point d'elle, n'a plus que de la candeur; elle va tout droit sans s'embarrasser ; sa voie va toujours s'élargissant à l'infini, à mesure que son renoncement et son oubli d'elle-même s'augmentent; sa paix est profonde comme la mer au milieu de ses peines. Mais tandis qu'on tient encore à soi, on est toujours gêné, incertain, enveloppé dans les retours de l'amour-propre. Heureux qui n'est plus à soi!

J'ai déja remarqué que le monde est du même goût que Dieu pour s'accommoder d'une noble simplicité qui s'oublie elle-même. Le monde goûte dans ses enfants, corrompus comme lui, les manières libres et aisées d'un homme qui ne paroit point occupé de soi; c'est qu'en effet rien n'est plus grand que de se perdre de vue soi-même. Mais cette simplicité est déplacée dans les enfants du siècle; car ils ne sont distraits d'eux-mêmes qu'à force d'être entraînés par des objets encore plus vains. Cependant cette simplicité, qui n'est qu'une fausse image de la véritable, ne laisse pas d'en représenter la grandeur. Ceux qui ne peuvent trouver le corps courent après l'ombre; et cette ombre, tout ombre qu'elle est, les charme, parce qu'elle ressemble un peu à la vérité qu'ils ont perdue. Voilà ce qui fait le charme de la simplicité, lors même qu'elle est hors de sa place.

Un homme plein de défaut, qui n'en veut cacher aucun, qui ne cherche jamais à éblouir, qui n'affecte jamais ni talents, ni vertu, ni bonne grace, qui paroît ne songer pas plus à soi-même qu'à autrui, qui semble avoir perdu le moi dont on est si jaloux, et qui est comme étranger à l'égard de soi-même, est un homme qui plaît infiniment malgré ses défauts. C'est que l'homme

Le principal est d'avoir sincèrement abandonné est charmé par l'image d'un si grand bien. Cette

1 I Cor.. W. 3.

2 Ps.. CXV, 2.

fausse simplicité est prise pour la véritable. Au contraire, un homme plein de talents, de vertus

acquises et de graces extérieures, s'il est trop parce qu'il étoit répréhensible'; qu'il a été ravi juscomposé, s'il paroît toujours attentif à lui, s'il qu'au troisième ciel; qu'il n'a rien à se reprocher affecte les meilleures choses, c'est un personnage dans sa conscience; qu'il est un vase d'élection pour dégoûtant, ennuyeux, et contre lequel chacun se éclairer les gentils; enfin il dit aux fidèles : Soyez révolte. Rien n'est donc ni meilleur ni plus grand mes imitateurs comme je le suis de Jésus-Christ2. que d'être simple, c'est-à-dire jamais occupé de Qu'il y a de grandeur à parler ainsi simplement soi. Les créatures, à quelque point qu'elles nous de soi ! Saint Paul en dit les choses les plus hautes mettent, ne nous rendent jamais véritablement sans en paroître ni ému, ni occupé de lui; il les simple. On peut, par naturel, être moins jaloux raconte comme on raconteroit une histoire passée sur certains honneurs, et ne se gêner point dans depuis deux mille ans. Tous ne doivent pas entreses actions par certaines réflecxions subtiles et prendre de dire et de faire de même; mais ce inquiètes; mais enfin on ne cherche les créatures qu'on est obligé de dire de soi, il faut le dire simque pour soi, et on ne s'y oublie jamais véritable-plement tout le monde ne peut pas atteindre à ment soi-même; car on ne s'y attache que pour cette sublime simplicité, et il faut bien se garder en jouir, c'est-à-dire les rapporter à soi. d'y vouloir atteindre avant le temps. Mais quand on a un vrai besoin de parler de soi dans les occasions communes, il faut le faire tout uniment, et ne se laisser aller ni à une modestie affectée, ni à une honte qui vient de mauvaise gloire. La mauvaise gloire se cache souvent sous un air modeste et réservé: on ne veut pas montrer ce qu'on a de bon; mais on est bien aise que les autres le découvrent, pour avoir l'honneur tout ensemble et de ses vertus et du soin de les cacher.

Mais, dira-t-on, faudra-t-il ne jamais songer à soi, ni à aucune des choses qui nous intéressent, et ne parler jamais de nous? Non, il ne faut point se mettre dans cette gêne : en voulant être simple, on s'éloigneroit de la simplicité, en s'attachant scrupuleusement à la pratique de ne parler jamais de soi, par la crainte de s'en occuper et d'en dire quelques paroles.

Que faut-il donc faire? Ne faire rien de réglé là-dessus, mais se contenter de n'affecter rien. Quand on a envie de parler de soi par recherche de soi-même, il n'y a qu'à mépriser cette vaine démangeaison, en s'occupant simplement ou de Dieu, ou des choses qu'il veut qu'on fasse. Ainsi la simplicité consiste à n'avoir point de mauvaise honte, ni de fausse modestie, non plus que d'ostentation, de complaisance vaine, et d'attention sur soi-même. Quand la pensée vient d'en parler par vanité, il n'y a qu'à laisser tomber tout court ce vain retour sur soi-même : quand, au contraire, on a la pensée d'en parler pour quelque besoin, c'est alors qu'il ne faut point trop raisonner; il n'y a qu'à aller droit au but. Mais que pensera-ton de moi? on croira que je me vante sottement : mais je me rendrai suspect en parlant librement sur mon propre intérêt. Toutes ces réflexions inquiètes ne méritent pas de nous occuper un seul moment parlons généreusement et simplement de nous comme d'autrui quand il en est question. C'est ainsi que saint Paul parle souvent de lui dans ses Épîtres. Pour sa naissance, il déclare qu'il est citoyen romain; il en fait valoir les droits jusqu'à faire peur à son juge. Il dit qu'il n'a rien fait de moins que les plus grands d'entre les apôtres; qu'il n'a rien appris d'eux pour la doctrine, ni rien reçu pour le ministère; qu'il est tout aussi bien qu'eux à Jésus-Christ; qu'il a plus travaillé et plus souffert qu'eux; qu'il a résisté à Pierre en face,

Pour juger du besoin qu'on a de penser à soi ou de parler de soi, il faut prendre conseil de la personne qui connoît votre degré de grace. Par là vous éviterez de vous conduire et de vous juger vous-même, ce qui est une source de bénédictions. C'est donc à l'homme pieux et éclairé dont nous prenons conseil à décider si le besoin de parler de soi est véritable ou imaginaire; son examen et sa décision nous épargneront beaucoup de retours sur nous-mêmes il examinera aussi si le prochain, à qui nous devons parler, est capable de porter sans scandale cette liberté et cette simplicité à parler de nous avantageusement et sans façon dans le vrai besoin.

Pour les cas imprévus, où l'on n'a pas le loisir de consulter, il faut se donner à Dieu, et faire suivant sa lumière présente ce qu'on croit le meilleur, mais sans hésiter; car l'hésitation embrouilleroit. Il faut d'abord prendre son parti : quand même on le prendroit mal, le mal se tourneroit à bien par la droite intention; et Dieu ne nous imputera jamais ce que nous aurons fait faute de conseil, en nous abandonnant à la simplicité de son esprit.

Pour toutes les manières de parler contre soimême, je n'ai garde ni de les blâmer ni de les conseiller. Quand elles viennent par voie de simplicité, de la haine et du mépris que Dieu nous

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