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DES DIVERTISSEMENTS ATTACHES A L'ÉTAT.

veut, et qui ne veuille jamais, sous aucun pré- | pureté d'intention, dans une vie si commune, et texte, rien de tout ce qu'il ne veut pas.

Portez cette volonté toute simple, cette volonté toute pleine de celle de Dieu, partout où sa providence vous conduit. Cherchez Dieu dans ces heures qui paroissent si vides; et elles seront pleines pour vous, puisque Dieu vous y soutiendra. Les amusements même les plus inutiles se tourneront en bonnes œuvres, si vous n'y entrez que selon la vraie bienséance, et pour vous y conformer à l'ordre de Dieu. Que le cœur est au large quand Dieu ouvre cette voie de simplicité! On marche comme de petits enfants que la mère mène par la main, et qui se laissent mener sans se mettre en peine du lieu où ils vont. On est content d'être assujetti, on est content d'être libre; on est prêt à parler, on est prêt à se taire. Quand on ne peut dire des choses édifiantes, on dit des riens d'aussi bon cœur ; on s'amuse à ce que saint François de Sales appelle des joyeusetės: par-là on se délasse en délassant les autres.

Vous me direz peut-être que vous aimeriez mieux être occupé de quelque chose de plus sérieux et de plus solide. Mais Dieu ne l'aime pas mieux pour vous, puisqu'il choisit ce que vous ne choisiriez pas. Vous savez que son goût est meilleur que le vôtre. Vous trouveriez plus de consolation dans les choses solides dont il vous a donné le goût; et c'est cette consolation qu'il veut vous ôter; c'est ce goût qu'il veut mortifier en vous, quoiqu'il soit bon et salutaire. Les vertus mêmes ont besoin d'être purifiées, dans leur exercice, par les contre-temps que la Providence leur fait souffrir pour les mieux détacher de toute volonté propre. Oh! que la piété, quand elle est prise par le principe fondamental de la volonté de Dieu, sans consulter le goût, ni le tempérament, ni les saillies d'un zèle excessif, est simple, douce, aimable, discrète et sûre dans toutes ses démarches! On vit à peu près comme les autres gens, sans affectation, sans apparence d'austérité, d'une manière sociable et aisée, mais avec une sujétion perpétuelle à tous ses devoirs, mais avec un renoncement sans relâche à tout ce qui n'entre point d'un moment à l'autre dans l'ordre de Dieu sur nous, enfin avec une vue pure de Dieu, à qui on sacrifie tous les mouvements irréguliers de la nature. Voilà l'adoration en esprit et en vérité que Jésus-Christ et son Père cherchent. Tout le reste n'est qu'une religion en cérémonie, et plutôt l'ombre que la vérité du christianisme.

Vous me demanderez sans doute par quels moyens on peut parvenir à se conserver dans cette

qui paroît si amusée. On a bien de la peine, direzvous, à défendre son cœur contre le torrent des passions et des mauvais exemples du monde, lorsqu'on est à toute heure en garde contre soi-même: comment pourra-t-on donc espérer de se soutenir, si l'on s'expose avec tant de facilité aux divertissements qui empoisonnent, ou qui du moins dissipent avec tant de dangers une ame chrétienne?

J'avoue le danger, et je le crois encore plus grand qu'on ne sauroit le dire. Je conviens de la nécessité de se précautionner contre tant de piéges; et voici à quoi je voudrois réduire ces précautions.

Premièrement, je crois que vous devez poser pour fondement de tout la lecture et la prière. Je ne parle point ici d'une lecture de curiosité pour vous rendre savant sur les questions de religion; rien n'est plus vain, plus indécent, plus dangereux. Je ne voudrois que des lectures simples, éloignées des moindres subtilités, bornées aux choses d'une pratique sensible, et qui soient toutes tournées à nourrir le cœur. Évitez tout ce qui excite l'esprit, et qui fait perdre cette heureuse simplicité qui rend l'ame docile et soumise à tout ce que l'Église enseigne. Quand vous ferez vos lectures, non pour savoir davantage, mais pour apprendre mieux à vous défier de vous-même, elles se tourneront toutes à profit. Ajoutez à la lecture la prière, où vous méditerez en profond silence quelque grande vérité de la religion. Vous pouvez le faire en vous attachant à quelque action ou à quelque parole de Jésus-Christ. Après avoir été convaincu de la vérité que vous voudrez considérer, faites-en l'application sérieuse et précise pour la correction de vos défauts en détail; formez vos résolutions devant Dieu, et demandez-lui qu'il vous anime pour vous faire accomplir ce qu'il vous donne le courage de lui promettre. Quand vous apercevrez que votre esprit s'égarera pendant cet exercice, ramenez-le doucement, sans vous inquiéter et sans vous décourager jamais de l'importunité de ces distractions qui sont opiniâtres. Tandis qu'elles seront involontaires, elles ne pourront vous nuire; au contraire, elles vous serviront plus qu'une prière accompagnée d'une consolation et d'une ferveur toute sensible; car elles vous humilieront, vous mortifieront, et vous accoutumeront à chercher Dieu purement pour luimême, sans mélange d'aucun plaisir. Pourvu que vous soyez fidèle à vous dérober des temps réglés, soir et matin, pour pratiquer ces choses, vous verrez qu'elles vous serviront de contre-poison coutre

les dangers qui vous environnent. Je dis le soir et le matin, parce qu'il faut renouveler de temps en temps la nourriture de l'ame aussi bien que celle du corps, pour empêcher qu'elle ne tombe en défaillance en s'épuisant dans le commerce des créatures. Mais il faut être ferme contre soi et contre les autres pour réserver toujours ce temps. Il ne faut jamais se laisser entraîner aux occupations extérieures, quelque bonnes qu'elles soient, jusqu'à perdre le temps de se nourrir.

La seconde précaution que je crois nécessaire est de prendre, suivant qu'on est libre et qu'on sent son besoin, certains jours pour se retirer entièrement et pour se recueillir. C'est là qu'on guérit secrètement aux pieds de Jésus-Christ toutes les plaies de son cœur, et qu'on efface toutes les impressions malignes du monde. Cela sert même à la santé; car, pourvu qu'on sache user simplement de ces courtes retraites, elles ne reposent pas moins le corps que l'esprit.

Troisièmement, je suppose que vous vous bornez aux divertissements convenables à la profession de piété que vous faites, et au bon exemple que le monde même attend de vous; car le monde, tout monde qu'il est, veut que ceux qui le méprisent ne se démentent en rien dans le mépris qu'ils ont pour lui, et il ne peut s'empêcher d'estimer ceux par qui il se voit méprisé de bonne foi. Vous comprenez bien que les vrais chrétiens doivent se réjouir de ce que le monde est un censeur si rigoureux; car ils doivent se réjouir d'être par-là dans une nécessité plus pressante de ne rien faire qui ne soit édifiant.

Enfin, je crois que vous ne devez entrer dans les divertissements de la cour, que par complaisance, et qu'autant qu'on le desire. Ainsi, toutes les fois que vous n'êtes ni appelé ni desiré, il ne faut jamais paroître, ni chercher à vous attirer indirectement une invitation. Par-là vous donnerez à vos affaires domestiques et aux exercices de piété tout ce que vous serez libre de leur donner. Le public, ou du moins les gens raisonnables et sans fiel contre la vertu, seront également édifiés, et de vous voir si discrète pour tendre à la retraite, quand vous êtes libre, et sociable pour entrer avec condescendance dans les divertissements permis, quand vous y serez appelée.

Je suis persuadé qu'en vous attachant à ces règles, qui sont simples, vous attirerez sur vous une abondante bénédiction. Dieu, qui vous mènera comme par la main dans ces divertissements, vous y soutiendra. Il s'y fera sentir à vous. La joie de sa présence vous sera plus douce que tous les plai

| sirs qui vous seront offerts. Vous y serez modérée, discrète et recueillie sans contrainte, sans affectation, sans sécheresse incommode aux autres. Vous serez, suivant la parole de saint Paul, au milieu de ces choses comme n'y étant pas; et y montrant néanmoins une humeur gaie et complaisante, vous serez toute à tous.

Si vous apercevez que l'ennui vous abat, ou que la joie vous évapore, vous reviendrez, doucement et sans vous troubler, dans le sein du Père céleste qui vous tend sans cesse les bras. Vous attendrez de lui la joie et la liberté d'esprit dans la tristesse, la modération et le recueillement dans la joie, et vous verrez qu'il ne vous laissera manquer de rien. Un regard de confiance, un simple retour de votre cœur sur lui vous renouvellera; et, quoique vous sentiez souvent votre ame engourdie et découragée, dans chaque moment où Dieu vous appliquera à faire quelque chose, il vous donnera la facilité et le courage selon votre besoin. Voilà le pain quotidien que nous demandons à toute heure, et qui ne nous manquera jamais ; car notre Père, bien loin de nous abandonner, ne cherche qu'à trouver nos cœurs ouverts pour y verser des torrents de grace.

III.

Avis à une personne de la cour. Accepter en esprit de résignation les assujettissements de son état.

Les chaînes d'or ne sont pas moins chaînes que les chaînes de fer on est exposé à l'envie, et l'on est digne de compassion. Votre captivité n'est en rien préférable à celle d'une personne qu'on tiendroit injustement en prison. L'unique chose qui doit vous donner une solide consolation, c'est que Dieu vous ôte votre liberté, et c'est cette consolation-là même qui soutiendroit dans la prison la personne innocente dont je viens de parler. Ainsi vous n'avez rien au-dessus d'elle qu'un fantôme de gloire, qui, ne vous donnant aucun avantage effectif, vous met en danger d'être éblouie et trompée.

Mais cette consolation de vous trouver, par un ordre de la Providence, dans la situation où vous êtes, est une consolation inépuisable. Avec elle rien ne peut jamais vous manquer: par elle les chaînes de fer se changent, je ne dis pas en chaînes d'or, car nous avons vu combien les chaines d'or sont méprisables, mais en bonheur et en liberté. A quoi nous sert cette liberté naturelle dont nous sommes jaloux? A suivre nos inclinations mal réglées, même dans les choses innocentes ; à

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mêmes.

flatter notre orgueil, qui s'enivre d'indépendance; moi qui nous reste, et qui demanderoit un état à faire notre propre volonté, ce qui est le plus plus calme pour jouir à notre mode de notre esmauvais usage que nous puissions faire de nous-prit, de nos sentiments et de toutes nos bonnes qualités, dans la société de certaines personnes délicates qui seroient propres à nous faire sentir tout ce que le moi a de flatteur; ou bien on voudroit jouir en silence de Dieu et des douceurs de la piété, au lieu que Dieu veut jouir de nous, et nous rompre pour nous accommoder à toutes ses volontés.

Heureux donc ceux que Dieu arrache à leur propre volonté pour les attacher à la sienne! Autant que ceux qui s'enchaînent eux-mêmes par leurs passions sont misérables, autant ceux que Dieu prend plaisir à enchaîner de ses propres mains sont-ils libres et heureux. Dans cette captivité apparente, ils ne font plus ce qu'ils voudroient : tant mieux; ils font, depuis le matin jusqu'au soir, contre leur goût, ce que Dieu veut qu'ils fassent; il les tient comme pieds et mains liés dans les liens de sa volonté; il ne les laisse jamais un seul moment à eux-mêmes: il est jaloux de ce moi tyrannique qui veut tout pour lui-même; il mène sans relâche de sujétion en sujétion, d'importunité en importunité, et vous fait accomplir ses plus grands desseins par des états d'ennuis, de conversations puériles et d'inutilité dont on est honteux. Il presse l'ame fidèle, et ne la laisse plus respirer : à peine un importun s'en va, que Dieu en envoie un autre pour avancer son œuvre. On voudroit être libre pour penser à Dieu; mais on s'unit bien mieux à lui en sa volonté crucifiante, qu'en se consolant par des pensées douces et affectueuses de ses bontés. On voudroit être à soi pour être plus à Dieu; on ne songe point que rien n'est moins propre pour être à Dieu que de vouloir encore être à soi. Ce moi du vieil homme, dans lequel on veut rentrer pour s'unir à Dieu, est mille fois plus loin de lui que la bagatelle la plus ridicule; car il y a dans ce moi un venin subtil qui n'est point dans les amusements de l'enfance. Il est vrai que l'on doit profiter de tous les moments qui sont libres pour se dégager; il faut même, par préférence à tout le reste, se réserver des heures pour se délasser l'esprit et le corps dans un état de recueillement; mais pour le reste de la journée, que le torrent emporte malgré nous. il faut se laisser entraîner sans aucun regret. Vous trouverez Dieu dans cet entraînement; vous l'y trouverez d'une manière d'autant plus pure, que vous n'aurez pas choisi cette manière de le chercher.

La peine que l'on souffre dans cet état de sujé-, tion est une lassitude de la nature qui voudroit se consoler, et non un attrait de l'esprit de Dieu., On croit regretter Dieu, et c'est soi-même qu'on regrette; car ce que l'on trouve de plus pénible dans cet état gênant et agité, c'est qu'on ne pent jamais être libre avec soi-même; c'est le goût du

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Il mène les autres par l'amertume des privations; pour vous, il vous conduit par l'accablement de la jouissance des vaines prospérités: il rend votre état dur et pénible, à force d'y mettre ce que les aveugles croient qui fait la parfaite douceur de la vie. Ainsi il fait deux choses salutaires en vous: il vous instruit par expérience, et vous fait mourir par les choses qui entretiennent la vie corrompue et maligne du reste des hommes. Vous êtes comme ce roi qui ne pouvoit rien toucher qui ne se convertit en or sous sa main; tant de richesses le rendoient malheureux : pour vous, vous serez heureuse en laissant faire Dieu, et en ne voulant le trouver que dans les choses où il veut être pour vous.

En pensant à la misère de votre faveur, à la servitude où vous gémissez, les paroles de JésusChrist à saint Pierre me sont revenues dans l'esprit: Autrefois tu marchois comme tu voulois: mais quand tu seras dans un âge plus avancé, un autre plus fort que toi te guidera, et te mènera où tu ne voudras pas_aller'. Laissez-vous aller et mener, n'hésitez point dans la voie; vous irez. comme saint Pierre, où la nature jalouse de sa vie et de sa liberté ne veut point aller : vous irez au pur amour, au parfait renoncement, à la mort totale de votre propre volonté, en accomplissant celle de Dieu, qui vous mène selon son bon plaisir.

Il ne faut pas attendre la liberté et la retraite pour se détacher de tout, et pour vaincre le vieil homme : la vue d'une situation libre n'est qu'une belle idée: peut-être n'y parviendrons-nous jamais. Il faut se tenir prêt à mourir dans la servitude de notre état. Si la Providence prévient nos projets de retraite, nous ne sommes point à nous; et Dieu ne nous demandera que ce qui dépend de nous. Les Israélites dans Babylone soupiroient après Jérusalem; mais combien y en eut-il qui ne revirent jamais Jérusalem, et qui finirent leur vie à Babylone! Quelle illusion, s'ils eussent toujours

Joan., XXI. 48.

différé, jusqu'à ce temps de leur retour dans leur patrie, à servir fidèlement le vrai Dieu, et à se perfectionner! Peut-être serons-nous comme ces Israélites.

IV.

Avis à une personne de la cour. Des croix attachées à un état de grandeur et de prospérité.

Dieu est ingénieux à nous faire des croix. Il en fait de fer et de plomb, qui sont accablantes par elles-mêmes; il en sait faire de paille, qui semblent ne peser rien, et qui ne sont pas moins difficiles à porter; il en fait d'or et de pierreries, qui éblouissent les spectateurs, qui excitent l'envie du public, mais qui ne crucifient pas moins que les croix les plus méprisées. Il en fait de toutes les choses qu'on aime le plus, et les tourne en amertume. La faveur attire la gêne et l'importunité; elle donne ce qu'on ne voudroit point; elle ôte ce qu'on vou

droit.

Un pauvre qui manque de pain a une croix de plomb dans son extrême pauvreté. Dieu sait assaisonner les plus grandes prospérités de misères semblables. On est, dans cette prospérité, affamé de liberté et de consolation, comme ce pauvre l'est de pain du moins il peut, dans son malheur, heurter à toutes les portes et exciter la compassion de tous les passants: mais les gens en faveur sont des pauvres honteux ; ils n'osent faire pitié, ni chercher quelque soulagement. Il plaît souvent à Dieu de joindre l'infirmité corporelle à cette servitude de l'esprit dans l'état de grandeur. Rien n'est plus utile que ces deux croix jointes ensemble; elles crucifient l'homme depuis la tête jusqu'aux pieds: on sent son impuissance, et l'inutilité de tout ce qu'on possède. Le monde ne voit point votre croix, car il ne regarde qu'un peu d'assujettissement adouci par l'autorité, et qu'une légère indisposition qu'il peut soupçonner de délicatesse; en même temps vous ne voyez dans votre état que l'amertume, la sécheresse, l'ennui, la captivité, le découragement, la douleur, l'impatience. Tout ce qui éblouit de loin les spectateurs disparoît aux yeux de la personne qui possède, et Dien la crucifie réellement pendant que

tout le monde envie son bonheur.

Ainsi la Providence sait nous mettre à toutes sortes d'épreuves dans tous les états. Il ne nous faut point déchoir de cette grandeur, et sans des chutes et des calamités on peut avaler le calice d'amertume; on l'avale jusqu'à la lie la plus amère dans les coupes d'or qui sont servies à la table

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des rois. Dieu prend plaisir à confondre ainsi la puissance humaine, qui n'est qu'une impuissance déguisée. Heureux qui voit ces choses par les yeux illuminés du cœur, dont parle saint Paul'! La faveur, vous le voyez et vous le sentez, ne donne aucune véritable consolation; elle ne peut rien contre les maux ordinaires de la nature; elle en ajoute beaucoup de nouveaux, et de très cuisants, à ceux de la nature même, déja assez misérable. Les importunités de la faveur sont plus douloureuses qu'un rhumatisme ou qu'une migraine: mais la religion met à profit toutes les charges de la grandeur; elle ne la prend que comme un esclavage, et c'est dans l'amour de cet esclavage qu'elle trouve une liberté d'autant plus véritable qu'elle est plus inconnue aux hommes.

Il ne faut trouver dans la prospérité rien de bon que ce que le monde n'y peut connoître, je veux dire la croix. L'état de faveur n'épargne aucune des peines de la nature: elle en ajoute de grandes, et elle fait encore qu'on ne peut prendre les soulagements qu'on prendroit si on étoit dans la disgrace. Au moins dans une disgrace, pendant la maladie, on verroit qui on voudroit, on n'entendroit aucun bruit: mais dans la haute faveur il faut que la croix soit complète; il faut vivre pour autrui quand on auroit besoin d'être tout à soi ; il faut n'avoir aucun besoin, ne rien sentir, ne rien vouloir, n'être incommodé de rien, et être poussé à bout par les rigueurs d'une trop bonne fortune. C'est que Dieu veut rendre ridicule et affreux ce que le monde admire le plus. C'est qu'il traite sans pitié ceux qu'il élève sans mesure, pour les fairė servir d'exemple. C'est qu'il veut rendre la croix complète, en la plaçant dans la plus éclatante faveur, pour déshonorer la faveur mondaine. Encore une fois, heureux sont ceux qui dans cet état considèrent la main de Dieu qui les crucifie par miséricorde! Qu'il est beau de faire son purgatoire dans le lieu où les autres cherchent leur paradis, sans pouvoir en espérer d'autre après cette vie si courte et si misérable!

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274 DE LA MORTIFICATION ET DU RECUEILLEMENT.

moins dans ce temps-là que dans ceux où on lui fait les plus tendres protestations. Le vrai amour repose dans le fond du cœur ; il est simple, paisible et silencieux; souvent on s'étourdit soi-même en multipliant les discours et les réflexions. Cet amour sensible n'est que dans une imagination échauffée.

besoins en s'appliquant à ceux d'autrui, et pour ne négliger pas ceux d'autrui en se renfermant dans les siens.

La règle pour trouver ce juste milieu dépend de l'état intérieur et extérieur de chaque personne, et on ne sauroit donner de règle générale sur ce qui dépend des circonstances où se trouve chaque personne en particulier. Il faut se mesurer sur sa foiblesse, sur son besoin de se précautionner, sur son attrait intérieur, sur les marques de provi

Il n'y a donc, dans la souffrance, qu'à souffrir et à se taire devant Dieu : Je me suis tu, dit David', parce que c'est vous qui l'avez fait. C'est Dieu qui envoie les vapeurs, les fluxions, les tour-dence pour les choses extérieures, sur la dissipaments de tête, les défaillances, les épuisements, les importunités, les sujétions ; c'est lui qui envoie la grandeur même avec tous ses supplices et tout son maudit attirail; c'est lui qui fait naître au-dedans la sécheresse, l'impatience, le découragement, pour nous humilier par la tentation, et pour nous montrer à nous-mêmes tels que nous sommes. C'est lui qui fait tout; il n'y a qu'à le voir et qu'à l'adorer en tout.

Il ne faut point s'inquiéter pour se procurer une présence artificielle de Dieu et de ses vérités; il suffit de demeurer simplement dans cette disposition de cœur, de vouloir être crucifié; tout au plus une vie simple et sans effort, qu'on renouvellera toutes les fois qu'on en sera averti intérieurement par un certain souvenir, qui est une espèce de réveil du cœur.

Ainsi les peines de la faveur, les douleurs de la maladie, et les imperfections mêmes du dedans, pourvu qu'elles soient portées paisiblement et avec petitesse, sont le contre-poison d'un état qui est par lui-même si dangereux. Dans la prospérité apparente il n'y a rien de bon que la croix cachée. O croix! ô bonne croix ! je t'embrasse; j'adore en toi Jésus mourant, avec qui il faut que je meure.

V.

tion qu'on y éprouve, et sur l'état de sa santé. Il est donc à propos de commencer par les besoins de l'esprit et du corps, et de réserver des heures suffisantes pour l'un et pour l'autre, par l'avis d'une personne pieuse et expérimentée. Pour le reste du temps, il faut encore bien examiner les devoirs de la place où l'on est, les biens solides qu'on y peut faire, et ce que Dieu donne pour y réussir, sans s'abandonner à un zèle aveugle.

Venons aux exemples. Il n'est point à propos de demeurer avec une personne à qui on ne sauroit être utile, pendant qu'on en pourroit entretenir d'autres avec fruit, à moins qu'on n'eût quelque devoir, comme de parenté, d'ancienne amitié ou de bienséance, qui obligeât de demeurer avec la première personne : autrement il faut s'en défaire, après avoir fait ce qui convient pour la traiter honnêtement. La raison de se mortifier ne doit point décider dans ces sortes de cas. On trouvera assez à se mortifier en entretenant contre son goût les personnes dont on ne peut se défaire, et en s'assujettissant à tous les véritables devoirs.

Quand on est à Saint-Cyr, il ne faut ni se communiquer, ni se retirer par des motifs d'amourpropre; mais il suffit de faire simplement ce qu'on croit le meilleur, et le plus conforme aux desseins de Dieu, quoique l'amour-propre s'y mêle. Quoi

Avis à une personne de la cour, sur la pratique de la mor- qu'on puisse faire, il se glissera partout. Il faut

tification et du recueillement ".

Il ne faut point se faire une règle, ni de suivre toujours l'esprit de mortification et de recueillement qui éloigne du commerce, ni de suivre toujours le zèle qu'on a de porter les ames à Dieu. Que faut-il donc faire? Se partager entre ces deux devoirs, pour n'abandonner pas ses propres

'Ps., xxxvIII, 10.

* L'ensemble et la suite de ces Avis nous font soupçonner qu'ils étoient adressés à madame de Maintenon. On les trouve en partie dans le chapitre x des Divers Sentiments et Avis chrétiens, édition de 4758 et suiv. Nous les donnons en entier d'après le manuscrit original. (Édit. de Vers.)

ne le compter pour rien, et aller toujours sans Cyr, vous devez reposer votre corps, soulager s'arrêter. Je croirois que, quand vous êtes à Saintvotre esprit, et le recueillir devant Dieu le plus long-temps que vous pourrez. Vous êtes si assujettie, si affligée et si fatiguée à Versailles, que Vous avez grand besoin d'une solitude libre et nourrissante pour l'intérieur à Saint-Cyr. Je ne voudrois pourtant pas que vous y manquassiez aux besoins pressants de la maison. Mais n'y faites par vous-même que ce qu'il vous sera impossible de faire par autrui.

J'aime mieux que vous souffriez moins, et que

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