Obrazy na stronie
PDF
ePub

vertus qui élèvent le courage, de la bienséance et de la régularité des actions extérieures, de la victoire que j'avois besoin de remporter sur mon honneur pour ne montrer rien qui ne fût parfait. Voilà le voile grossier du sacrement: mais le fond du sacrement même, mais cette vérité substantielle et au-dessus de toute substance bornée et comprise, où est-elle ? Hélas! je ne l'ai point cherchée. J'ai songé à régler le dehors, sans changer le dedans. Cette adoration en esprit et en vérité, qui consiste dans la destruction de toute volonté propre pour laisser régner en moi celle de Dieu seul, m'est encore presque inconnue. Ma bouche a mangé ce qui est extérieur et sensible dans le sacrement, mon cœur n'a point été nourri de cette vérité substantielle. Je vous sers, mon Dieu, mais à ma mode, et selon les vues de ma sagesse. Je vous aime, mais pour mon bien plus que pour votre gloire. Je desire vous glorifier, mais avec un zèle qui n'est point abandonné sans réserve à toute l'étendue de vos desseins. Je veux vivre pour vous, mais renfermé en moi, et je crains de mourir à moi-même. Quelquefois je crois être prêt à tous les plus grands sacrifices, et la moindre perte que vous exigez de moi un moment après me trouble, me décourage et me scandalise.

O Amour, ma misère et mon indignité ne vous rebutent point. C'est sous ce voile méprisable que vous voulez cacher la vertu et la grandeur de votre mystère. Vous voulez faire de moi un sacrement qui exerce la foi des autres et la mienne même. En cet état de foiblesse je me livre à vous je ne puis rien, mais vous pouvez tout; et je ne crains point ma foiblesse, sentant si près de moi votre toute-puissance. Verbe de Dieu, soyez sous cette foible créature comme vous êtes sous l'espèce du pain. O parole souveraine et vivifiante! parlez dans le silence de mon ame: faites taire mon ame même; et qu'elle ne se parle plus intérieurement, pour n'écouter que vous. O pain de vie ! je ne me veux plus nourrir que de vous seul: tout autre aliment me feroit vivre à moi-même, me donneroit une force propre, et me rempliroit de desirs. Que mon ame meure de la mort des justes, de cette bienheureuse mort qui doit prévenir la mort corporelle; de cette mort intérieure qui divise l'ame d'avec elle-même, qui fait qu'elle ne se trouve ni ne se possède plus; qui éteint toute ardeur, qui détruit tout intérêt, qui anéantit tout retour sur soi! O Amour! vous tourmentez merveilleusement. Le même pain descendu du ciel fait mourir et fait vivre; il arrache l'ame à elle

même, et il la met en paix: il lui ôte tout, et il lui donne tout: il lui ôte tout en elle; il lui donne tout en Dieu, en qui seul les choses sont pures. O mon amour! ô ma vie ! ô mon tout ! je n'ai plus que vous. O mon pain! je vous mangerai tous les jours, et je ne craindrai que de perdre ma nourriture.

XII. POUR LE VENDREDI SAINT.

Le mystère de la passion de Jésus-Christ est incompréhensible aux hommes. Il a paru un scandale aux Juifs, et une folie aux Gentils '. Les Juifs étoient zélés pour la gloire de leur religion; ils ne pouvoient souffrir l'opprobre de JésusChrist. Les Gentils, pleins de leur philosophie, étoient sages; et leur sagesse se révoltoit à la vue d'un Dieu crucifié : c'étoit renverser la raison humaine que de prêcher ce Dieu sur la croix. Cependant cette croix, prêchée dans tout l'univers, surmonte le zèle superbe des Juifs et la sagesse hautaine des Gentils. Voilà donc à quoi aboutit le mystère de la passion de Jésus-Christ, à confondre non seulement la sagesse profane des gens du monde, qui, comme les Gentils, regardent la piété comme une folie, si elle n'est toujours revêtue d'un certain éclat; mais encore le zèle superbe de certaines personnes pieuses, qui ne veulent rien voir dans la religion qui ne soit conforme à leurs fausses idées.

O mon Dieu! je suis du nombre de ces Juifs scandalisés. Il est vrai, ô Jésus! que je vous adore sur la croix; mais cette adoration n'est qu'en cérémonie, elle n'est point en vérité. La véritable adoration de Jésus-Christ crucifié consiste à se sacrifier avec lui, à perdre sa raison dans la folie de la croix, à en avaler tout l'opprobre; à vouloir être, si Dieu le veut, un spectacle d'horreur à tous les sages de la terre, à consentir de passer pour insensé comme Jésus-Christ.

Voilà ce qu'on dit volontiers de bouche, mais voilà ce que le cœur ne dit point. On s'excuse par de vains prétextes, on frémit, on recule lâchement dès qu'il faut paroître nu et rassasié d'opprobres avec l'Homme de douleurs. O mon Dieu, mon amour! on vous aime pour se consoler; mais on ne vous aime point pour vous suivre jusqu'à la mort de la croix. Tous vous fuicnt, tous vous abandonnent, tous vous méconnoissent, tous vous renient. Tant que la raison trouve son compte et son bonheur à vous suivre, on court avec em

I. Cor., 1. 23.

pressement, et l'on se vante comme saint Pierre; mais il ne faut qu'une question d'une servante pour tout renverser. On veut borner la religion à la courte mesure de son esprit ; et dès qu'elle surpasse notre foible raison, elle se tourne en scandale.

Cependant la religion doit être dans la pratique ce qu'elle est dans la spéculation; c'est-à-dire qu'il faut qu'elle aille réellement jusqu'à faire perdre pied à notre raison, et à nous livrer à la folie du Sauveur crucifié. Oh! qu'il est aisé d'être chrétien à condition d'être sage, maître de soi, courageux, grand, régulier et merveilleux en tout! Mais être chrétien pour être petit, foible, méprisable et insensé aux yeux des homines, c'est ce qu'on ne peut entendre sans en avoir horreur. Aussi l'on n'est chrétien qu'à demi. Non seulement on s'abandonne à son vain raisonnement comme les Gentils, mais encore on se fait un hon

neur de suivre son zèle comme les Juifs. C'est avilir la religion, dit-on, c'est la tourner en petitesse d'esprit : il faut montrer combien elle est grande. Hélas! elle ne le sera en nous qu'autant

qu'elle nous rendra humbles, dociles, petits et dé

tachés de nous-mêmes.

On voudroit un Sauveur qui vînt pour nous rendre parfaits, pour nous remplir de notre propre excellence, et pour remplir toutes les vues les plus flatteuses de notre sagesse : au contraire Dieu nous a donné un Sauveur qui renverse notre sagesse, qui nous met avec lui nu sur une infame croix. O Jésus! c'est là que tout le monde vous abandonne. Il ne faut pas, dit-on, pousser les choses si loin; c'est outrer les vérités chrétiennes, et les rendre odieuses aux yeux du monde. Eh quoi ! ne savons-nous pas que les pro-fanes seront scandalisés, puisque quelques gens de bien même le sont?

vous connoissent qu'à demi, et qui ne peuvent vous suivre que dans les consolations du Thabor. Pour moi, je manquerois à l'attrait de votre amour si je reculois. Allons à Jésus; allons au Calvaire: mon ame est triste jusqu'à la mort; mais qu'importe, pourvu que je meure percé des mêmes clous et sur la même croix que vous, Ô mon Sauveur !

XIII. POUR LE SAMEDI SAINT.

Ce qui se présente à moi aujourd'hui, c'est Jésus entre la mort qu'il a soufferte et la vie qu'il va reprendre. Sa résurrection ne sera pas moins réelle que sa mort, et sa mort n'est qu'un passage de la misérable vie à la vie bienheureuse. O Sauveur! je vous adore, je vous aime dans le tombeau, je m'y renferme avec vous ; je ne veux plus que le monde me voie, je ne veux plus me voir moi-même, je descends dans les ténèbres et bre des vivants. O monde ! ô hommes ! oubliezjusque dans la poussière; je ne suis plus du nommoi, foulez-moi aux pieds ; je suis mort, et la vie qui m'est préparée sera cachée avec Jésus-Christ

en Dieu.

Ces vérités étonnent; à peine les gens de bien peuvent-ils les supporter. Que signifie donc le baptême par lequel, comme l'Apôtre nous l'assure1, nous avons été tous ensevelis avec Jésus-Christ par sa mort? Où est-elle, cette mort que le caractère de chrétien doit opérer en nous ? Où est-elle, cette sépulture? Hélas! je veux paroître être approuvé, aimé, distingué; je veux occuper mon prochain, posséder son cœur, me faire une idole de la réputation et de l'amitié. Dérober à Dieu l'encens grossier qui brûle sur ses autels n'est rien en comparaison du larcin sacrilége d'une ame qui veut enlever ce qui est dû à Dieu, et se faire l'idole des autres créatures.

Mon Dieu, quand cesserai-je de m'aimer, jusqu'à vouloir qu'on ne m'aime et qu'on ne m'estime plus? A vous seul, Seigneur, la gloire, à vous seul l'amour. Je ne dois plus rien aimer qu'en

Comment le mystère de la croix ne paroîtroitil pas excessif à ces sages Gentils, puisqu'il scandalise les Juifs pieux et zélés? O Sauveur ! boive qui voudra votre calice d'amertume; pour moi, je le veux boire jusqu'à la lie la plus amère. Je suis prêt à souffrir la douleur, l'ignominie, la dé-vous, pour vous et de votre pur amour: je ne rision, l'insulte des hommes au-dehors, et audedans la tentation et le délaissement du Père céleste; je dirai, comme vous l'avez dit pour mon instruction: Que ce calice passe et s'éloigne de moi; mais, malgré l'horreur de la nature, que votre volonté se fasse, et non la mienne '. Ces vérités sont trop fortes pour les mondains, qui ne

1 Luc., XXII, 42.

dois plus m'aimer moi-même que par charité, comme on aime un étranger. Ne devrois-je donc pas avoir honte de vouloir être estimé et aimé? Ce qui est le plus étrange, et ce qui fait voir l'incontente pas d'un amour de charité. L'oserai-je justice de mon amour-propre, c'est que je ne me dire, ô mon Dieu! ma vaine délicatesse est bles

Rom. VI, 4.

sée de n'avoir rien que ce qu'on lui accorde à cause de vous. O injustice! ô révolte! ô aveugle et détestable orgueil! Punissez-le, mon Dieu. Je suis pour vous contre moi; j'entre dans les intérêts de votre gloire et de votre justice contre ma vanité. O folle créature, idolâtre de toi-même! Qu'as-tu donc, indépendamment de Dieu, qui mérite cette tendresse, cet attachement, cet amour indépendant de la charité? Oh! qu'il faut de charité pour se supporter dans cette injustice, de vouloir que les autres fassent pour nous ce que Dieu nous défend de faire pour nous-mêmes! Amour que Dieu imprime dans le fond de ses créatures, est-ce là l'usage qu'il en veut tirer? Ne nous a-t-il faits capables d'aimer qu'afin que nous nous détournions les uns les autres de l'unique terme du pur amour? Non, mon Dieu, je ne veux plus qu'on m'aime; à peine faut-il qu'on me souffre pour l'amour de vous plus je suis délicat et sensible sur cet amour des autres, plus j'en suis indigne et dans le besoin d'en être privé.

Il en est, ô Seigneur! de la réputation comme de l'amitié donnez ou ôtez selon vos desseins:

que cette réputation, plus chère que la vie, devienne comme un linge sali, si vous y trouvez votre gloire qu'on passe et qu'on repasse sur moi comme sur les morts qui sont dans le tombeau; qu'on ne me compte pour rien; qu'on ait horreur de moi; qu'on ne m'épargne en rien, tout est bon. S'il me reste encore quelque sensibilité volontaire, quelque vue secrète sur la réputation, je ne suis point mort avec Jésus-Christ, et je ne suis point en état d'entrer dans sa vie ressuscitée.

Ce n'est qu'après l'extirpation de la vie maligne et corrompue du vieil homme que nous passons dans la vie de l'homme nouveau. Il faut que tout meure: douceurs, consolation, repos, tendresse, amitié, honneur, réputation; tout nous sera rendu au centuple: mais il faut que tout meure, que tout soit sacrifié. Quand nous aurons tout perdu en vous, ô mon Dieu! nous retrouverons tout en vous. Ce que nous avions en nous avec l'impureté du vieil homme nous sera rendu avec la pureté de l'homme renouvelé, comme les métaux mis au feu ne perdent point leur pure substance, mais sont purifiés de ce qu'ils ont de grossier. Alors, mon Dieu, le même esprit qui gémit et qui prie en nous, aimera en nous plus parfaitement. Combien nos cœurs seront-ils plus grands, plus tendres et plus généreux! Nous n'aimerons plus en foibles créatures, et d'un coeur resserré dans d'étroites bornes : l'Amour infini aimera en nous,

notre amour portera le caractère de Dieu même.

Ne songeons donc qu'à nous unir à Jésus-Christ dans son agonie, dans sa mort et dans son tombeau; ensevelissons-nous dans les ténèbres de la pure foi, livrons-nous à toutes les horreurs de la mort. Non, je ne veux plus me regarder comme étant de la terre. O monde! oubliez-moi comme je vous oublie, et comme je veux m'oublier moimême! Seigneur Jésus, vous n'êtes mort que pour me faire mourir : arrachez-moi la vie, ne me laissez plus respirer; ne souffrez aucune réserve, poussez mon cœur à bout; je ne mets point de bornes à mon sacrifice.

XIV. POUR LE JOUR DE L'ASCENSION.

Il me semble que j'accompagne avec les disciples Jésus-Christ jusqu'à Béthanie. Là, il monte au ciel à mes yeux; je l'adore, je ne puis me lasser de le regarder, de le suivre d'affection, et de goûter au fond de mon cœur les paroles de vie qui sont sorties les dernières de sa bouche sacrée, quand il a quitté la terre. O Sauveur ! vous ne cessez point d'être avec moi et de me parler! Je sens la vérité de cette promesse : Voilà que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du siècle'. Vous êtes avec nous, non seulement sur cet autel sensible où vous appelez tous vos enfants à manger le pain descendu du ciel; mais vous êtes encore audedans de nous, sur cet autel invisible, dans cette église et ce sanctuaire inaccessible de nos ames, où se fait l'adoration en esprit et en vérité. Là vous sont offertes les pures victimes; là sont égorgés tous les desirs propres, tous les retours intéressés sur nous-mêmes, et tous les goûts de l'amour-propre. Là nous mangeons le véritable pain de vie dont votre chair adorable même n'est que la superficie sensible; là nous sommes nourris de la pure substance de l'éternelle Vérité; là le Verbe fait chair se donne à nous comme notre verbe intérieur, comme notre parole, notre sagesse, notre vie, notre être, notre tout. Si nous l'avons connu selon la chair et par les sens, pour y rechercher un goût sensible, nous ne le connoissons plus de même ; c'est la pure foi et le pur amour qui se nourrissent de la pure vérité de Dieu fait une même chose avec nous. O règne de mon Dieu ! c'est ainsi que vous venez à nous dès cette vie misérable. O volonté du Père! vous êtes par-là accomplie sur la terre comme dans le ciel. O ciel !

* Matth. XXV III, 20.

pendant qu'il plaît à Dieu de me tenir hors de vous dans ce lieu d'exil, je ne vais point vous chercher plus loin, et je vous trouve sur la terre. Je ne connois ni ne veux d'autre ciel que mon Dieu; et mon Dieu est avec moi au milieu de cette vallée de larmes. Je le porte, je le glorifie en mon cœur ; il vit en moi. Ce n'est pas moi qui vis; c'est lui qui vit triomphant dans sa créature de boue, et qui la fait vivre en lui seul. O bienheureuse et éternelle Sion, où Jésus règne avec tous les saints! que de choses glorieuses sont dites de vous! Que j'aime ce règne de gloire qui n'aura point de fin ! A vous seul, Seigneur, l'empire, la majesté, la force, la toute-puissance aux siècles des siècles.

Seigneur Jésus, bien loin de m'affliger pour nous de ce que vous n'êtes pas visible sur la terre, je me réjouis de votre triomphe; c'est votre seule gloire qui m'occupe. Je joins ici-bas ma foible voix avec celle de tous les bienheureux pour chanter le cantique de l'Agneau vainqueur: trop heureux, ô Jésus! de souffrir dans cet exil pour vous glorifier! Votre présence sensible, il est vrai, est le plus doux de tous les parfums; mais ce n'est pas pour moi que je vous cherche, c'est pour vous. Oh! si je me regardois moi-même, qu'est-ce qui pourroit me consoler dans cette misérable vie, de ne vous avoir point, de vous déplaire par tant de fautes, et de me voir sans cesse en risque de vous perdre éternellement? qu'est-ce qui seroit capable d'adoucir mes peines, et de me faire supporter la vie? Mais j'aime mieux votre volonté que ma sûreté propre.

en reste-t-il quelqu'une dont nous osions encore refuser le sacrifice? O Dieu! n'écoutez plus ma lâcheté ; dépouillez, écorchez, s'il le faut; coupez jusqu'au vif. Quand tout sera ôté, ce sera alors que vous resterez seul dans l'ame.

XV. POUR LE JOUR DE LA PENTECÔTE.

Vous avez commencé, Seigneur, par ôter à vos apôtres ce qui paroissoit le plus propre à les soutenir, je veux dire la présence sensible de Jésus votre Fils; mais vous avez tout détruit pour tout établir: vous avez ôté tout pour rendre tout avec usure. Telle est votre méthode. Vous vous plaisez à renverser l'ordre du sens humain.

Après avoir ôté cette possession sensible de Jésus-Christ, vous avez donné votre Saint-Esprit. O privation ! que.vous êtes précieuse et pleine de vertu, puisque vous opérez plus que la possession du Fils de Dieu même! O ames lâches! pourquoi vous croyez-vous si pauvres dans la privation, puisqu'elle enrichit plus que la possession du plus grand trésor? Bienheureux ceux qui manquent de tout, et qui manquent de Dieu, c'est-à-dire de Dieu goûté et aperçu! Heureux ceux pour qui Jésus se cache et se retire! L'Esprit consolateur viendra sur eux; il apaisera leur douleur, et aura soin d'essuyer leurs larmes. Malheur à ceux qui ont leur consolation sur la terre, qui trouvent hors de Dieu le repos, l'appui et l'attachement de leur volonté! Ce bon Esprit promis à tous ceux qui le demandent n'est point envoyé sur eux. Le Consolateur envoyé du ciel n'est que pour les ames qui ne tiennent ni au monde ni à elles-mêmes.

Hélas! Seigneur, où est-il donc, cet Esprit qui doit être ma vie? il sera l'ame de mon ame. Mais où est-il? je ne le sens, je ne le trouve point. Je n'éprouve dans mes sens que fragilité, dans mon esprit que dissipation et mensonge, dans ma vo

Je vis donc, puisque vous voulez que je vive. Cette vie, qui n'est qu'une mort, durera autant que vous voudrez. Vous le savez, ô Dieu de mon cœur! que je n'y veux tenir à rien qu'à votre ordre. Je ne suis dans cette terre étrangère qu'à cause que vous m'y tenez. Je vous aime mieux que mon bonheur et que ma gloire. Il vaut mieux vous obéir que jouir de vous; il vaut mieux souflonté qu'inconstance et que partage entre votre frir selon vos desseins, que goûter vos délices et voir la lumière de votre visage. En me privant de vous, privez-moi de tout dépouillez, arrachez sans pitié; ne laissez rien à mon ame, ne la laissez pas elle-même à elle-même.

Si la présence du Sauveur a dû nous être ôtée, que doit-il nous rester? Si Dieu a été jaloux d'une si sainte consolation pour les apôtres, avec quelle indignation détruira-t-il en nous tant d'amusements qui nous conservent certains restes secrets d'une vie propre? Quelle consolation sera aussi pure que celle de voir Jésus? et par conséquent

amour et mille vains amusements. Où est-il donc, votre Esprit? que ne vient-il créer en moi un cœur nouveau selon le vôtre? O mon Dieu! je comprends que c'est dans cette ame appauvrie que votre Esprit daignera habiter, pourvu qu'elle s'ouvre à lui sans mesure. C'est cette absence sensible du Sauveur et de tous ses dons qui attire l'Esprit saint. Venez donc, ô Esprit ! vous ne pouvez rien trouver de plus pauvre, de plus dépouillé, de plus nu, de plus abandonné, de plus foible que mon cœur. Venez, apportez-y la paix ; non cette paix d'abondance qui coule comme un

fleuve, mais cette paix sèche, cette paix de pa- | donnez tout entier à nous. Mais encore de quelle

tience et de sacrifice; cette paix amère, mais paix véritable pourtant, et d'autant plus pure, plus intime, plus profonde, plus intarissable, qu'elle n'est fondée que sur le renoncement sans réserve.

O Esprit, ô amour, ô vérité de mon Dieu! ô amour lumière! ô amour qui enseignez l'ame sans parler, qui faites tout entendre sans rien dire; qui ne demandez rien à l'ame, et qui l'entraînez par le silence à tout sacrifice! ô amour qui dégoûtez de tout autre amour, qui faites qu'on se hait, qu'on s'oublie et qu'on s'abandonne! ô amour qui coulez au travers du cœur comme la fontaine de vie, qui pourra vous connoître, sinon celui en qui vous serez? Taisez-vous, hommes aveugles; l'Amour n'est point en vous. Vous ne savez ce que vous dites; vous ne voyez rien, vous n'entendez rien. Le vrai Docteur ne vous a jamais enseignés.

C'est lui qui rassasie l'ame de vérité sans aucune science distincte. C'est lui qui fait naître au fond de l'ame les vérités que la parole sensible de Jésus-Christ n'avoit exposées qu'aux yeux de l'esprit. On goûte, on se nourrit, on se fait une même chose avec la vérité. Ce n'est plus elle qu'on voit comme un objet hors de soi; c'est elle qui devient nous-mêmes, et que nous sentons intimement comme l'ame se sent elle-même. Oh! quelle puissante consolation sans chercher à se consoler! On a tout sans rien avoir. Là on trouve en unité le Père, le Fils et le Saint-Esprit; le Père créateur, qui crée en nous tout ce qu'il veut y faire pour nous rendre des enfants semblables à lui ; le Fils Verbe de Dieu, qui devient le verbe et la parole intime de l'ame, qui se tait à tout pour ne laisser plus parler que Dieu; enfin l'Esprit, qui souffle où il veut, qui aime le Père et le Fils en nous. O mon Amour, qui êtes mon Dieu, aimez-vous, glorifiez-vous vous-même en moi. Ma paix, ma joie, ma vie sont en vous qui êtes mon tout, et je ne suis plus rien.

XVI. POUR LA FÊTE DU SAINT SACREMENT.

J'adore Jésus-Christ au saint sacrement où il cache tous les trésors de son amour. O octave trop courte pour célébrer tant de mystères de Jésus anéanti! Je n'y vois qu'amour, que bonté et que miséricorde. Hélas! Seigneur, que voulezvous? Pourquoi cacher votre majesté éternelle? Pourquoi l'exposer à l'ingratitude des ames sensibles, à l'irrévérence des hommes? Ah! c'est que vous nous aimez, vous nous cherchez, vous vous

manière faites-vous ce don? sous la figure de l'aliment le plus familier. O mon pain! ô ma vie! ô chair de mon Sauveur ! venez exciter ma faim ! je ne veux plus me nourrir que de vous.

O Verbe! ô Sagesse, ô Parole, ô Vérité éternelle ! vous êtes caché sous cette chair, et cette chair sacrée se cache sous cette apparence grossière du pain. O Dieu caché! je veux vivre caché avec vous pour vivre de votre vie divine. Sous toutes mes misères, mes foiblesses, mes indignités, je cacherai Jésus; je deviendrai le sacrement de son amour: on ne verra que le voile grossier du sacrement, la créature imparfaite et fragile, mais au-dedans vivra le vrai Dieu de gloire.

Hélas! ô Dieu d'amour! quand viendrez-vous donc ? quand est-ce que je vous aimerai? quand est-ce que vous serez le seul aliment de mon cœur, et mon pain au-dessus de toute substance? Le pain extérieur, cette créature fragile, sera brisé et exposé à toutes sortes d'accidents; mais Jésus, immortel et impassible, sera en elle sans division et sans changement. Vivant de lui, je ne vivrai plus que pour lui, et il vivra tout seul en moi.

Verbe divin, vous parlerez, et mon ame se taira pour vous entendre ; cette simple parole qui fait le monde se fera entendre de sa créature, et elle fera en elle tout ce qu'elle exprimera: elle formera sa nouvelle créature comme elle forma l'univers. Taisez-vous donc, mon ame; n'écoutez plus rien ici-bas; ne vous écoutez plus vous-même dans ce silence qui est l'anéantissement de l'esprit. Laissez parler le Verbe fait chair; oh ! qu'il dira de choses! Il est lui seul toute vérité. Quelle différence entre la créature qui dit en passant quelque vérité, et qui dit ce qui n'est point à elle, mais ce qui est comme emprunté de Dieu, et le Fils de Dieu qui est la vérité même! Il est ce qu'il dit; il est la vérité en substance: aussi ne la dit-il point comme nous la disons il ne la fait point passer devant les yeux de notre esprit, successivement et par pensées détachées; il la porte ellemême tout entière dans le fond de notre être; il l'incorpore en nous et nous en elle: nous sommes faits vérité de Dieu. Alors ce n'est point par force de raisonnements et de science, c'est par simplicité d'amour qu'on est dans la vérité; tout le reste n'est plus qu'ombre et mensonge. On n'a plus besoin de discourir et de se convaincre en détail : c'est l'amour qui imprime toute vérité. D'une seule vue on est saisi du néant de la créature et

« PoprzedniaDalej »