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Alors quels vains prétextes de bienséance ! quelles délicatesses honteuses! quelles jalousies diaboliques! Mon Dieu, je parle magnifiquement de la croix, et je n'en veux connoître que le nom! je la crains, je la fuis, sa vue seule me désole. Qu'avez-vous, ô mon ame? D'où vient que vous murmurez, que vous tombez dans le découragement, que vous allez mendier chez tous vos amis un peu de consolation? Ah! c'est que Dieu m'humilie et me charge de croix. Eh! n'est-ce pas ce que vous lui avez promis d'aimer ? Qu'avez-vous done? qu'est-ce qui vous trouble? Le chrétien doit-il être hors de lui quand il a ce qu'il a voulu, et qu'il est fait semblable à Jésus souffrant ? O Jésus enfant ! donnez-moi la simplicité de votre enfance dans la douleur. Si je pleure, si je gémis, qu'au moins je ne résiste jamais à votre main crucifiante. Coupez jusqu'au vif; brûlez, brûlez: plus je crains de souffrir, plus j'en ai besoin.

VI. POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE.

Mon Dieu, je viens à vous, et je ne me lasse point d'y venir; je n'ai rien en moi, et je trouve lout en vous seul. Oh ! que je suis pauvre! Oh! que vous êtes riche! Mais qu'ai-je besoin d'être riche, puisque vous l'êtes pour moi? J'adore vos richesses éternelles; j'aime ma pauvreté; je me complais à n'être rien devant vous. Donnez-moi aujourd'hui votre Esprit pour contempler votre saint fils Jésus adoré par les Mages. Je l'adore

avec eux.

Ces Mages suivent l'étoile sans raisonner, eux qui sont si sages; ils cessent de l'être pour se soumettre à une lumière qui surpasse la leur. Ils comptent pour rien leurs commodités, leurs affaires, les discours du peuple. Que peut-on penser d'eux? Ils vont sans savoir où. Qu'est devenue la sagesse de ces hommes qui gouvernoient les autres? Quelle crédulité! quelle indiscrétion! quel zèle aveugle et fanatique ! C'est ainsi qu'on devoit parler contre eux en les voyant partir. Mais ils ne comptent pour rien ni le mépris des hommes, ni leur réputation foulée aux pieds, ni même le témoignage de leur propre sagesse qui leur échappe. Ils veulent bien passer pour fous, et n'avoir pas même à leurs propres yeux de quoi se justifier. Ils entreprennent un long et pénible Voyage sans savoir ce qu'ils trouveront. Il est vrai qu'ils voient une étoile extraordinaire; mais combien y a-t-il d'autres hommes instruits du cours des astres à qui cette étoile ne paroît avoir rien de surnaturel! Eux seuls sont éclairés et

touchés par le fond du cœur. Une lumière intérieure de pure foi les mène plus sûrement que celle de l'étoile. Après cela, il ne faut plus s'étonner s'ils adorent sans peine un pauvre enfant dans une crèche. Oh! qu'ils sont devenus petits, ces grands de la terre! que leur sagesse est confondue et anéantie! Est-ce donc là, ô Mages, ce que vous êtes venus adorer du fond de l'Orient? Quoi! un enfant qui tète et qui pleure! Il me semble que je les entends répondre: C'est la sagesse de Dieu qui aveugle la nôtre. Plus l'objet semble méprisable, plus il est digne de Dieu de nous abaisser jusqu'à l'adorer. O Mages! il faut que vous soyez devenus vous-mêmes bien enfants pour trouver le vrai Dieu dans l'enfant Jésus !

Mais qui me donnera cette sainte enfance, cette divine folie des Mages? Loin de moi la sagesse impie et maudite d'Hérode et de la ville de Jérusalem! On raisonne, on se complaît dans sa sagesse, on se rend juge des conseils de Dieu, on craint même de voir ce qu'on ne peut pas connoître. O sagesse hautaine et profane! je te crains, je t'abhorre; je ne veux plus t'écouter. Il n'y a plus que l'enfance de Jésus que je prétends suivre. Que le monde insensé en dise tout ce qu'il voudra; qu'il s'en scandalise même : malheur au monde à cause de ses scandales! C'est l'opprobre et la folie du Sauveur que j'aime. Je ne tiens plus à rien. Nul respect humain, nulle crainte des railleries et de la censure des faux sages; les gens de bien même, qui sont encore trop humainement enfoncés par sagesse en eux-mêmes, ne m'arrêteront pas. Quand je verrai l'étoile, je leur dirai comme saint Paul aux fidèles encore trop attachés aux bienséances mondaines et à leur raison: Vous êtes sages en Jésus-Christ; et nous, nous som

mes insensés en lui '.

Heureux dessein! mais comment l'accomplir? O vous, Seigneur, qui l'inspirez, faites que je le suive, vous qui m'en donnez le desir, donnezmoi aussi le courage de l'exécuter. Plus d'autre lumière que celle d'en-haut; plus d'autre raison que celle de sacrifier tous mes raisonnements. Tais-toi, raison présomptueuse; je ne te puis souffrir. O Dieu, vérité éternelle, souveraine et pure raison! venez être l'unique raison qui m'éclaire dans les ténèbres de la foi.

VII. SUR LA CONVERSION DE SAINT PAUL.

Je viens à vos pieds, ô Seigneur Jésus! plus abattu que Saul ne le fut aux portes de Damas.

11. Cor., IV, 10.

Je sens, ô mon Dieu! la vérité et la force de cette parole: Il est dur de regimber contre l'aiguillon. Oh! qu'il est dur de résister à l'attrait intérieur de votre grace! Qui est-ce qui vous a jamais résisté, et qui a pu trouver la paix dans cette résistance ? Non seulement l'impie et le mondain ne goûtent aucune paix, jusqu'à ce qu'ils se tournent vers vous; mais l'ame que vous avez délivrée des liens du péché ne peut jouir de la paix, si elle résiste encore, par quelque réserve ou quelque retardement, à cet aiguillon perçant de votre Esprit qui la pousse au dépouillement, à l'enfance, à la mort intérieure. La prudence résiste, elle assemble mille raisons; elle regarde comme un égarement la bienheureuse folie de la croix. Elle aimeroit mieux les plus affreuses austérités que cette simplicité et cette petitesse des enfants de Dieu, qui aiment mieux être enfants dans son sein que grands et sages en eux-mêmes. Oh! que ce combat est rude! qu'il agite l'ame! Qu'il lui en coûte pour sacrifier sa raison et tous ses beaux prétextes! Mais sans ce sacrifice, nulle paix, nul avancement; il ne reste que le trouble d'une ame que Dieu presse, et qui craint de voir jusqu'où Dieu la veut mener pour lui arracher tout appui d'amour-propre. O Dieu! je ne veux plus vous résister. Je n'hésiterai plus, je craindrai toujours plus de ne pas faire assez que de faire trop. Je veux être Saul converti. Après ce que vous avez fait pour ce persécuteur, il n'y a rien que vous ne puissiez faire d'une ame pécheresse. C'est parce que je suis indigne de tout, que vous prendrez plaisir à faire en moi les plus grandes choses. Mais, grandes ou petites, tout m'est égal, pourvu que je remplisse vos desseins. Je suis souple à tout entre les mains de votre providence. Je finis par où j'ai commencé : Que voulez-vous que je fasse? Point d'autre volonté. Gardez-la, ô Dieu d'Israël! cette volonté que vous

C'est votre main qui me renverse; j'adore cette | plaît a éclater dans l'abîme de mes misères. Seimain, c'est elle qui fait tout. O toute-puissante gneur, loin de murmurer dans ma chute, je baise main, ma joie est de me voir à votre discrétion. et j'adore la main qui me frappe. Voulez-vous me Frappez, renversez, écrasez. Je viens, ô mon faire tomber encore plus bas? je le veux si vous le Dieu ! sous cette main terrible et miséricordieuse. voulez. Que voulez-vous que je fasse? En me renversant éclairez-moi, touchez-moi, convertissez-moi comme Saul. Mon premier cri dans cette chute c'est de dire: Seigneur, que voulez-vous que je fasse'? Oh! que j'aime ce cri! Il comprend tout; il renferme lui seul toutes les plus parfaites prières et toutes les plus hautes vertus. Avec le Maître point de conditions ni de bornes Que voulez-vous que je fasse? Je suis prêt à tout faire et à ne rien faire, à ne vouloir rien et à vouloir tout, à souffrir sans consolations et à goûter les consolations les plus douces. Je ne vous dis point: O mon Dieu! je ferai de grandes austérités, des renoncements difficiles, des changements étonnants dans ma conduite. Ce n'est point à moi à décider ce que je ferai. Ce que je ferai, c'est de vous écouter et d'attendre la loi de vous. Il n'est plus question de ma volonté; elle est perdue dans la vôtre. Dites seulement ce que vous voulez; car je veux tout ce qu'il vous plaît de vouloir. Non seulement pénitences corporelles, mais humiliations de l'esprit, sacrifices de santé, de repos, d'amitié, de réputation, de consolation intérieure, de paix sensible, de vie temporelle, et même de ce soutien intérieur qui est un avant-goût de l'éternité, tout cela est entre vos mains. Donnez, ôtez, qu'importe? Faites, Seigneur, et ne me consultez jamais. Ne me montrez que vos ordres, et ne me laissez qu'à obéir. Qu'en quelque épreuve amère et douloureuse où vous me mettiez, il ne me reste que cette seule parole: Que voulez-vous? Renversez-moi, comme Saul, dans la poussière, à la vue de tout le genre humain; mais renversez-moi en sorte que je ne puisse me relever. Aveuglez-moi comme lui, reprochez-moi mes infidélités; je veux bien qu'on les sache; et je dirai volontiers, comme Saul, à la face de toutes les Églises : J'ai été infidèle, impie, blasphémateur, persécuteur de Jésus-Christ. Il m'a converti pour ranimer l'espérance des pécheurs les plus endurcis, et pour donner un exemple touchant de la patience avec laquelle il attend les ames les plus égarées. Venez donc me voir, ô vous tous qui oubliez Dieu, qui violez sa loi, qui insultez à la vertu! venez et voyez cette main charitable qui m'aveugle pour m'éclairer, et qui me renverse pour me relever. Venez admirer avec moi cette Miséricorde qui se

Act.. IX. 6.

formez en moi.

VIII. SUR LA MÊME FÊTE DE LA CONVERSION DE
SAINT PAUL.

Mon Dieu, je vous rends mille graces d'avoir mis devant mes yeux Saul persécuteur que vous convertissez, et qui devient l'apôtre des nations. C'est pour la gloire de votre grace que vous l'avez

1 Job., IX, 4.

fait. Vous vous devez à vous-même un si grand exemple pour consoler tous les pécheurs. Hélas! quels châtiments n'ai-je point mérités de votre justice? Je vous ai oublié, ô vous qui m'avez fait, et à qui je dois tout ce que je suis! A l'ingratitude j'ai joint l'endurcissement; j'ai méprisé vos graces; j'ai été insensible à vos promesses; j'ai abusé de vos miséricordes; j'ai contristé votre Esprit saint; j'ai résisté à ses mouvements salutaires; j'ai dit dans mon cœur rebelle: Non, je ne porterai point le joug du Seigneur. J'ai fui quand vous me poursuiviez ; j'ai cherché des prétextes pour m'éloigner de vous. J'ai craint de voir trop clair, et de connoître certaines vérités que je ne voulois pas suivre. Je me suis irrité contre les croix qui servent à me détacher de la vie. J'ai critiqué la vertu, la supportant impatiemment comme étant ma condamnation. J'ai eu honte de paroître bon, et j'ai fait gloire d'être ingrat. J'ai marché dans mes propres voies, au gré de mes passions et de mon orgueil.

O mon Dieu! que me resteroit-il à la vue de tant d'infidélités, sinon d'être saisi d'horreur pour moi-même? Non, je ne pourrois plus me souffrir ni espérer en vous, si je ne voyois Saul incrédule, blasphémateur, persécutant vos saints, dont vous faites un vase d'élection. Il tombe impie persécuteur, et il se relève l'homme de Dieu. O Père des miséricordes, que vous êtes bon ! La malice de l'homme ne peut égaler votre bonté paternelle. Il est donc vrai que vous avez encore des trésors de graces et de patience pour moi, pauvre pécheur, qui ai tant de fois foulé aux pieds le sang de votre Fils ! Vous n'êtes pas encore lassé de m'attendre, ô Dieu patient, ô Dieu qui craignez de punir trop tôt, ô Dieu qui ne pouvez vous résoudre à frapper ce vase d'argile formé de vos mains! Cette patience, qui flattoit mon impatience et ma lâcheté, m'attendrit. Hélas! serai-je donc toujours méchant, parce que vous êtes bon? Est-ce à cause que vous m'aimez tant, que je me croirois dispensé de vous aimer? Non, non, Seigneur, votre patience m'excite je ne puis plus me voir un seul moment contraire à celui qui me rend le bien pour le mal: je déteste jusqu'aux moindres imperfections; je n'en réserve rien périsse tout ce qui retarde mon sacrifice! Ce n'est plus ce demain d'une ame lâche qui fuit toujours sa conversion; aujourd'hui, aujourd'hui : ce qui me reste de vie n'est pas trop long pour pleurer tant d'années perdues : je dis Comme Saul: Seigneur, que voulez-vous que je fasse?

Il me semble que je vous entends me répondre: Je veux que tu m'aimes, et que tu sois heureux en m'aimant Aime, et fais ce que tu voudras; car, en aimant véritablement, tu ne feras que ce que le pur amour fait faire aux ames détachées d'elles-mêmes; tu m'aimeras, tu me feras aimer, tu n'auras plus d'autre volonté que la mienne. Par-là s'accomplira mon règne; par-là je serai adoré en esprit et en vérité; par-là tu me sacrifieras et les délices de la chair corrompue, et l'orgueil de l'esprit agité par de vains fantômes; le monde entier ne sera plus rien pour toi; tu ne voudras plus être rien, afin que je sois moi seul toutes choses. Voilà ce que je veux que tu fasses. Mais comment le ferai-je, Seigneur? cette œuvre est au-dessus de l'homme. Ah! vous me répondez au fond de mon cœur Homme de peu de foi, regarde Saul, et ne doute de rien; il te dira: Je puis tout en celui qui me fortifie. Lui qui ne respiroit que sang et carnage contre les Églises, il ne respire plus que l'amour de Jésus-Christ; c'est Jésus-Christ qui vit triomphant dans son apôtre mort à toutes les choses humaines. Le voilà tel que Dieu l'a fait; la même main te fera tel que tu dois être.

IX. POUR LE JOUR DE LA PURIFICATION.

O Jésus! vous êtes offert aujourd'hui dans le temple; et la règle, qui n'est faite que pour les enfants des hommes, est accomplie par le Fils de Dieu.

O divin Enfant! souffrez que je me présente avec vous. Je veux être, comme vous, dans les mains pures de Marie et de Joseph; je ne yeux plus être qu'un même enfant avec vous, qu'une même victime. Mais, que vois-je! on vous rachète comme on rachetoit les enfants des pauvres; deux colombes sont le prix de Jésus. O Roi immortel de tous les siècles! bientôt vous n'aurez pas même de lieu où vous puissiez reposer votre tête; vous enrichirez le monde de votre pauvreté, et déja vous paroissez au temple en qualité de pauvre! Heureux quiconque se fait pauvre avec vous! Heureux qui n'a plus rien, et qui ne veut plus rien avoir! Heureux qui a perdu en vous et au pied de votre croix toute possession, qui ne possède plus même son propre cœur, qui n'a plus de volonté propre; qui, loin d'avoir quelque chose, n'est plus à soi-même! O riche et bienheureuse pauvreté! ô trésor inconnu aux faux sages! ô

1 Philip., 1v, 15.

courage de ne me plus compter pour rien, et de ne laisser en moi rien de moi-même !

nudité qui est au-dessus de tous les biens les plus | ré. O Jésus, avec qui je m'offre, donnez-moi le éblouissants! Graces à vous, enfant Jésus, je veux tout perdre, jusqu'à mon propre cœur, jusqu'au moindre desir propre, jusqu'aux derniers restes de ma volonté. Je cours après vous, nu et enfant, comme vous l'êtes vous-même.

Je comprends assez, par l'horreur que j'ai de moi-même, combien je suis une victime impure et indigne de votre Père. Je n'ose donc m'offrir qu'autant que je ne suis plus moi-même, et que je ne fais plus qu'une même chose avec vous. Oh! qui le comprendra? Mais il est pourtant vrai qu'on n'est digne de Dieu qu'autant qu'on est hors de soi, et perdu en lui. Arrachez-moi donc à moi-même. Plus de retours d'amour-propre, plus de desirs inquiets, plus de crainte ni d'espérance pour mon propre intérêt. Le moi, à qui je rapportois tout autrefois, doit être anéanti pour jamais. Qu'on me mette haut, qu'on me mette bas; qu'on se souvienne de moi, qu'on m'oublie; qu'on me loue, qu'on me blâme; qu'on se fie à moi, ou qu'on me soupçonne même injustetement; qu'on me laisse en paix, ou qu'on me traverse, qu'importe ? ce n'est plus mon affaire. Je ne suis plus à moi pour m'intéresser à tout ce qu'on me fait; je suis à celui qui fait faire toutes ces choses selon son plaisir sa volonté se fait, et c'est assez. S'il y avoit encore un reste du moi pour se plaindre et pour murmurer, mon sacrifice seroit imparfait. Cette destruction de la victime, qui doit anéantir tout être propre, répond à toutes les révoltes de la nature.

Mais ce traitement qu'on me fait est injuste; mais cette accusation est fausse et maligne; mais cet ami est infidèle et ingrat; mais cette perte de biens m'accable; mais cette privation de toute consolation sensible est trop amère; mais cette épreuve où Dieu me met est trop violente; mais les gens de bien, de qui j'attendois du secours, n'ont pour moi que de la sécheresse et de l'indifférence; mais Dieu lui-même me rejette, et se retire de moi. Hé bien! ame foible, ame lâche, ame de peu de foi, ne veux-tu pas tout ce que Dieu veut? Es-tu à lui ou à toi? Si tu es encore à toi, tu as raison de te plaindre, et de chercher ce qui te convient. Mais si tu ne veux plus être à toi, pourquoi donc t'écouter encore toi-même ? que te reste-t-il encore à dire en faveur de ce malheureux moi, auquel tu as renoncé sans réserve et pour toujours? Qu'il périsse: que toute ressource lui soit arrachée, tant mieux, c'est là le sacrifice de vérité; tout le reste n'en est que l'ombre. C'est par-là que la victime est consommée; et Dieu, dignement ado

Vous fûtes racheté par deux colombes ; mais ce rachat ne vous délivroit pas du sacrifice de la croix où vous deviez mourir : au contraire, votre présentation au temple étoit le commencement et les prémices de votre offrande au Calvaire. Ainsi, Seigneur, toutes les choses extérieures que je vous donne ne pouvant me racheter, il faut que je me donne moi-même tout entier, et que je meure sur la croix. Perdre le repos, la réputation, les biens, la vie, ce n'est encore rien; il faut se perdre soi-même, ne se plus aimer, se livrer sans pitié à votre justice, devenir étranger à soi-même, et n'avoir plus d'autre intérêt que celui de Dieu à qui on appartient.

X. POUR LE CARÊME.

Mon Dieu, voici un temps d'abstinence et de privation. Ce n'est rien de jeûner des viandes grossières qui nourrissent le corps, si on ne jeûne aussi de tout ce qui sert d'aliment à l'amourpropre. Donnez-moi donc, ô Époux des ames! cette virginité intérieure, cette pureté du cœur, cette séparation de toute créature, cette sobriété dont parle votre apôtre, par laquelle on n'use d'aucune créature que pour le seul besoin, comme les personnes sobres usent des viandes pour la nécessité. O bienheureux jeûne, où l'ame jeûne tout entière, et tient tous les sens dans la privation du superflu! O sainte abstinence, où l'ame, rassasiée de la volonté de Dieu, ne se nourrit jamais de sa volonté propre ! Elle a, comme JésusChrist, une autre viande dont elle se nourrit. Donnez-le-moi, Seigneur, ce pain qui est audessus de toute substance; ce pain qui apaisera à jamais la faim de mon cœur; ce pain qui éteint tous les desirs; ce pain qui est la vraie manne, et qui tient lieu de tout.

O mon Dieu! que les créatures se taisent donc pour moi, et que je me taise pour elles en ce saint temps ! Que mon ame se nourrisse dans le silence en jeûnant de tous les vains discours! Que je me nourrisse de vous seul, et de la croix de votre fils Jésus!

Mais, quoi! mon Dieu ! faudra-t-il donc que je sois dans une crainte continuelle de rompre ce jeûne intérieur par les consolations que je goûterai au-dehors? Non, non, mon Dieu, vous ne voulez point cette gêne et cette inquiétude. Votre Esprit est l'esprit d'amour et de liberté, et non

celui de crainte et de servitude. Je renoncerai donc à tout ce qui n'est point de votre ordre pour mon état, à tout ce que j'éprouve qui me dissipe trop, à tout ce que les personnes qui me conduisent à vous jugent que je dois retrancher; enfin à tout ce que vous retrancherez vous-même par les événements de votre providence. Je porterai paisiblement toutes ces privations. Voici encore ce que j'ajouterai ; c'est que, dans les conversations innocentes et nécessaires, je retrancherai ce que vous me ferez sentir intérieurement qui n'est qu'une recherche de moi-même. Quand je me sentirai porté à faire là-dessus quelque sacrifice, je le ferai gaiement. Mais d'ailleurs, ô mon Dieu! je sais que vous voulez qu'un cœur qui vous aime soit au large. J'agirai avec confiance, comme un enfant qui joue entre les bras de sa mère; je me réjouirai devant le Seigneur; je tâcherai de réjouir les autres; j'épancherai mon cœur sans crainte dans l'assemblée des enfants de Dieu. Je ne veux que candeur, innocence, joie du Saint-Esprit. Loin, loin, ô mon Dieu! cette sagesse triste et craintive qui se ronge toujours elle-même, qui tient toujours la balance en main pour peser des atomes, de de rompre ce jeûne intérieur ! C'est vous faire injure que de n'agir pas avec vous avec plus de simplicité : cette rigueur est indigne de vos entrailles paternelles. Vous voulez qu'on vous aime uniquement; voilà sur quoi tombe votre jalousie: mais quand on vous aime, vous laissez agir librement l'amour, et vous voyez bien ce qui vient véritablement de lui.

peur

Je jeûnerai donc, ô mon Dieu! de toute volonté qui n'est point la vôtre; mais je jeûnerai par amour, dans la liberté et dans l'abondance de mon cœur. Malheur à l'ame rétrécie et desséchée en elle-même, qui craint tout; et qui, à force de craindre, n'a pas le temps d'aimer et de courir généreusement après l'Époux !

Oh! que le jeûne que vous faites faire à l'ame sans la gêner est un jeûne exact ! Il ne reste rien au cœur que le Bien-Aimé; et encore il cache souvent le Bien-Aimé, pour laisser l'ame défaillante et prête à expirer faute de soutien. Voilà le grand jeûne, où l'homme voit sa pauvreté toute nue, où il sent un vide affreux qui le dévore; et où Dieu même semble lui manquer, pour lui arracher jusqu'aux moindres restes de vie en luimême. O grand jeûne de la pure foi, qui vous comprendra? où est l'ame assez courageuse pour vous accomplir! O privation universelle! ô renoncement à soi comme aux choses les plus vaines

du dehors! O fidélité d'une ame qui se laisse poursuivre sans relâche par l'Amour jaloux, et qui souffre que tout lui soit ôté! Voilà, Seigneur, le sacrifice de ceux qui vous adorent en esprit et en vérité; c'est par ces preuves qu'on devient digne de vous. Faites, Seigneur; rendez mon ame vide, affamée, défaillante; faites selon votre bon plaisir. Je me tais; j'adore; je dis sans cesse : Que votre volonté se fasse, et non la mienne ! '

XI. POUR LE JEUDI SAINT.

Jésus, sagesse éternelle, vous êtes caché dans le sacrement, et c'est là que je vous adore aujourd'hui. Oh! que j'aime ce jour, où vous vous donnâtes vous-même tout entier aux apôtres ! que dis-je, aux apôtres ? vous ne vous êtes pas moins donné à nous qu'à eux. Précieux don, qui se renouvelle de jour en jour depuis tant de siècles, et qui durera sans interruption autant que le monde ! Q gage des bontés du Père de miséricorde! ô sacrement de l'amour! ô pain au-dessus de toute substance! Comme mon corps se nourrit du pain grossier et corruptible, ainsi mon âme doit se nourrir chaque jour de l'éternelle Vérité qui s'est faite non seulement chair pour être vue, mais encore pain pour être mangée et pour nourrir les enfants de Dieu.

Hélas! où êtes-vous donc, ô Sagesse profonde qui avez formé l'univers ! qui pourroit croire que vous fussiez sous cette vile apparence? On ne voit qu'un peu de pain, et on reçoit avec la chair vivifiante du Sauveur tous les trésors de la Divinité ! O sagesse, ô amour infini ! Pour qui faites-vous de sigrandes choses? pour des hommes grossiers, aveugles, stupides, ingrats, insensibles, incapables de goûter votre don! Où sont les ames qui se nourrissent de votre pure vérité, qui vivent de vous seul, qui vous laissent vivre en elles et qui se transforment en vous? Je le comprends; vous voulez faire en sorte que par ce sacrement nous n'ayons plus d'autre sagesse que la vôtre, ni d'autre volonté que votre volonté même, qui doit vouloir en nous. Cette sagesse divine doit être cachée en nous, comme elle l'est sous les voiles du sacrement. Le dehors doit être simple, foible, méprisable à l'orgueilleuse sagesse des hommes; le dedans doit être tout mort à soi, tout transformé, tout divin.

Jusqu'ici, ô mon Sauveur ! je ne me suis point nourri de votre vérité : je me suis nourri des cérémonies de la religion, de l'éclat de certaines

* Luc. XXII, 12.

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