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convenables pour tâter les corps voisins, pour les | à-vis de lui, c'est-à-dire vers l'endroit où ses

saisir, pour s'y accrocher, pour les lancer, pour les attirer, pour les repousser, pour les démêler, et pour les détacher les uns des autres. Les doigts, dont les bouts sont armés d'ongles, sont faits pour exercer, par la variété et la délicatesse de leurs mouvements, les arts les plus merveilleux. Les bras et les mains servent encore, suivant qu'on les étend ou qu'on les replie, à mettre le corps en état de se pencher, sans s'exposer à aucune chute. La machine a en elle-même, indé pendamment de toutes les pensées qui viennent après coup, une espèce de ressort qui lui fait trouver soudainement l'équilibre dans tous ses

contrastes.

Au-dessus du corps s'élève le cou, ferme ou flexible, selon qu'on le veut. Est-il question de porter un pesant fardeau sur la tête, le cou devient roide comme s'il n'étoit que d'un seul os. Faut-il pencher ou tourner la tête, le cou se plie en tous sens, comme si on en démontoit tous les os. Ce cou, médiocrement élevé au-dessus des épaules, porte sans peine la tête, qui règne sur tout le corps. Si elle étoit moins grosse, elle n'auroit aucune proportion avec le reste de la machine. Si elle étoit plus grosse, outre qu'elle seroit disproportionnée et difforme, sa pesanteur accableroit le cou, et courroit risque de faire tomber l'homme du côté où elle pencheroit un peu trop. Cette tête, fortifiée de tous côtés par des os très épais et très durs, pour mieux conserver le précieux trésor qu'elle enferme, s'emboite dans les vertèbres du cou, et a une communication très prompte avec toutes les autres parties du corps. Elle contient le cerveau, dont | la substance humide, molle et spongieuse, est composée de fils tendres et entrelacés. C'est là le centre des merveilles dont nous parlerons dans la suite. Le crâne se trouve percé régulièrement, avec une proportion et une symétrie exactes, pour les deux yeux, pour les deux oreilles, pour la bouche et pour le nez. Il y a des nerfs destinés aux sensations qui s'exercent dans la plupart de ces conduits. Le nez, qui n'a point de nerfs pour sa sensation, a un os cribleux pour faire passer les odeurs jusqu'au cerveau.

jointures dirigent sa marche et toutes ses actions. D'ailleurs la flexibilité du cou fait que tous ces organes se tournent en un instant de quelque côté qu'il veut.

Tout le derrière de la tête, qui est le moins en état de se défendre, est le plus épais : il est orné de cheveux, qui servent en même temps à fortifier la tête contre les injures de Fair. Mais les cheveux viennent sur le devant pour accompagner le visage et lui donner plus de grace.

Le visage est le côté de la tête qu'on nomme le devant, et où les principales sensations sont rassemblées avec un ordre et une proportion qui le rendent très beau, à moins que quelque accident n'altère un ouvrage si régulier. Les deux yeux sont égaux, placés vers le milieu et aux deux côtés de la tête, afin qu'ils puissent découvrir sans peine de loin, à droite et à gauche, tous les objets étrangers, et qu'ils puissent veiller commodément pour la sûreté de toutes les parties du corps. L'exacte symétrie avec laquelle ils sont placés fait l'ornement du visage. Celui qui les a faits y a allumé je ne sais quelle flamme céleste, à laquelle rien ne ressemble dans tout le reste de la nature. Ces yeux sont des espèces de miroirs, où se peignent tour-à-tour et sans confusion, dans le fond de la rétine, tous les objets du monde entier, afin que ce qui pense dans l'homme puisse les voir dans ces miroirs. Mais quoique nous apercevions tous les objets par un double organe, nous ne voyons pourtant jamais les objets comme doubles, parce que les deux nerfs qui servent à la vue dans nos yeux ne sont que deux branches qui se réunissent dans une même tige, comme les deux branches des lunettes se réunissent dans la partie supérieure qui les joint. Les yeux sont ornés de deux sourcils égaux; et afin qu'ils puissent s'ouvrir et se fermer, ils sont enveloppés de paupières bordées d'un poil qui défend une par · tie si délicate.

Le front donne de la majesté et de la grace à tout le visage il sert à relever les traits. Sans le nez, posé dans le milieu, tout le visage seroit plat et difforme. On peut juger de cette difformité quand on a vu des hommes en qui cette Parmi les organes de ces sensations, les princi- partie du visage est mutilée. Il est placé immédiapour discerner paux sont doubles, pour conserver dans un côté tement au-dessus de la bouche, ce qui pourroit manquer dans l'autre par quel- plus commodément par les odeurs tout ce qui que accident. Ces deux organes d'une même sen- est propre à nourrir l'homme. Les deux narines sation sont mis en symétrie, sur le devant ou sur servent tout ensemble à la respiration et à l'odoles côtés, afin que l'homme en puisse faire un rat. Voyez les lèvres : leur couleur vive, leur fraîplus facile usage, ou à droite, ou à gauche, ou vis-cheur, leur figure, leur arrangement et leur pro

portion avec les autres traits, embellissent tout le visage. La bouche, par la correspondance de ses mouvements avec ceux des yeux, l'anime, l'égaie, l'attriste, l'adoucit, le trouble, et exprime chaque passion par des marques sensibles. Outre que les lèvres s'ouvrent pour recevoir l'aliment, elles servent encore, par leur souplesse et par la variété de leurs mouvements, à varier les sons qui font la parole. Quand elles s'ouvrent, elles découvrent un double rang de dents dont la bouche est ornée ces dents sont de petits os enchâssés avec ordre dans les deux mâchoires; et les mâchoires ont un ressort pour s'ouvrir, et un pour se fermer, en sorte que les dents brisent comme un moulin les aliments, pour en préparer la digestion. Mais ces aliments ainsi brisés passent dans l'estomac par un conduit différent de celui de la respiration; et ces deux canaux, quoique si voisins, n'ont rien de commun.

Qui pourroit expliquer la délicatesse des organes par lesquels l'homme discerne les saveurs et les odeurs innombrables des corps? Mais comment se peut-il faire que tant de voix frappent ensemble mon oreille sans se confondre, et que ces sons me laissent, après qu'ils ne sont plus, des ressemblances si vives et si distinctes de ce qu'ils ont été? Avec quel soin l'ouvrier qui a fait nos corps a-t-il donné à nos yeux une enveloppe humide et coulante pour les fermer! et pourquoi a-t-il laissé nos oreilles ouvertes? C'est, dit Cicéron ', que les yeux ont besoin de se fermer à la lumière pour le sommeil, et que les oreilles doivent demeurer ouvertes pendant que les yeux se ferment, pour nous avertir et pour nous éveiller par le bruit, quand nous courons risque d'être surpris.

Qui est-ce qui grave dans mon œil, en un instant, le ciel, la mer, la terre, situés dans une distance presque infinie? Comment peuvent se ranger et se démêler dans un si petit organe les images fidèles de tous les objets de l'univers, depuis le soleil jusqu'à des atomes? La substance du cerveau, qui conserve avec ordre des représentations si naïves de tant d'objets dont nous avons été frappés depuis que nous sommes au monde, n'est-elle pas le prodige le plus étonnant? On admire avec raison l'invention des livres, où l'on conserve la mémoire de tant de faits et le re

La langue est un tissu de petits muscles et de nerfs, si souple qu'elle se replic, comme un serpent, avec une mobilité et une souplesse inconcevables elle fait dans la bouche ce que font les doigts, ou ce que fait l'archet d'un maître sur un instrument de musique; elle va frapper tantôt les dents, tantôt le palais. Il y a un conduit qui va au-dedans du cou, depuis le palais jusqu'à la poitrine : ce sont des anneaux de cartilages enchâssés très juste les uns dans les autres, et garnis au-cueil de tant de pensées; mais quelle comparaison dedans d'une tunique ou membrane très polie, pour faire mieux résonner l'air poussé par les poumons. Ce conduit a, du côté du palais, un bout qui n'est ouvert que comme une flûte, par une fente qui s'élargit ou qui se resserre à propos, pour grossir la voix ou pour la rendre plus claire. Mais de peur que les aliments, qui ont leur canal séparé, ne se glissent dans celui de la respiration, il y a une espèce de soupape qui fait sur l'orifice du conduit de la voix comme un pontlevis pour faire passer les aliments, sans qu'il en tombe aucune parcelle subtile ni aucune goutte par la fente dont je viens de parler. Cette espèce de soupape est très mobile, et se replie très subtilement; de manière qu'en tremblant sur cet orifice entr'ouvert, elle fait toutes les plus douces modulations de la voix. Ce petit exemple suffit pour montrer en passant, et sans entrer d'ailleurs dans aucun détail de l'anatomie, combien est merveilleux l'art des parties internes. Cet organe, tel que je viens de le représenter, est le plus parfait de tous les instruments de musique; et tous les autres ne sont parfaits qu'autant qu'ils! l'imitent.

peut-on faire entre le plus beau livre et le cerveau d'un homme savant? Sans doute ce cerveau est un recueil infiniment plus précieux et d'une plus belle invention que le livre. C'est dans ce petit réservoir qu'on trouve à point nommé toutes les images dont on a besoin; on les appelle; elles viennent on les renvoie; elles se renfoncent je ne sais où, et disparoissent, pour laisser la place à d'autres. On ferme et on ouvre son imagination, comme un livre: on en tourne, pour ainsi dire, les feuillets; on passe soudainement d'un bout à l'autre : on a même des espèces de tables dans la mémoire, pour indiquer les lieux où se trouvent certaines images reculées. Ces caractères innombrables, que l'esprit de l'homme lit intérieurement avec tant de rapidité, ne laissent aucune trace distincte dans un cerveau qu'on ouvre. Cet admirable livre n'est qu'une substance molle, ou une espèce de peloton composé de fils tendres et entrelacés. Quelle main a su cacher dans cette espèce de boue, qui paroît si informe, des images si précieuses, et rangées avec un si bel art?

De Nat. Deor., lib. u, n. 56.

Tel est le corps de l'homme en gros. Je n'entre point dans le détail de l'anatomie; car mon dessein n'est que de découvrir l'art qui est dans la nature, par le simple coup d'œil, sans aucune science. Le corps de l'homme pourroit sans doute être beaucoup plus grand et beaucoup plus petit. S'il n'avoit, par exemple, qu'un pied de hauteur, il seroit insulté par la plupart des animaux, qui l'écraseroient sous leurs pieds. S'il étoit haut comme les plus grands clochers, un petit nombre d'hommes consumeroient en peu de jours tous les aliments d'un pays; ils ne pourroient trouver ni chevaux, ni autres bêtes de charge qui pussent les porter, ni les traîner dans aucune machine roulante; ils ne pourroient trouver assez de matériaux pour bâtir des maisons proportionnées à leur grandeur: il ne pourroit y avoir qu'un petit nombre d'hommes sur la terre, et ils manqueroient de la plupart des commodités. Qui est-ce qui a réglé la taille de l'homme à une mesure précise? qui est-ce qui a réglé celle de tous les autres animaux avec proportion à celle de l'homme? L'homme est le seul de tous les animaux qui est droit sur ses pieds. Par-là il a une noblesse et une majesté qui le distinguent, même au-dehors, de tout ce qui vit sur la terre.

Non seulement sa figure est la plus noble, mais encore il est le plus fort et le plus adroit de tous les animaux à proportion de sa grandeur. Qu'on examine de près la pesanteur et la masse de la plupart des bêtes les plus terribles, on trouvera qu'elles ont plus de matière que le corps d'un homme; et cependant un homme vigoureux a plus de force de corps que la plupart des bêtes farouches elles ne sont redoutables pour lui que par leurs dents et par leurs griffes. Mais l'homme, qui n'a point dans ses membres de si fortes armes naturelles, a des mains dont la dextérité surpasse, pour se faire des armes, tout ce que la nature a donné aux bêtes. Ainsi l'homme perce de ses traits, ou fait tomber dans ses piéges, et enchaîne les animaux les plus forts et les plus furieux; il sait même les apprivoiser dans leur captivité, et s'en jouer comme il lui plaît: il se fait flatter par les lions et par les tigres; il monte sur les éléphants.

Mais le corps de l'homme, qui paroît le chefd'œuvre de la nature, n'est point comparable à sa pensée. Il est certain qu'il y a des corps qui ne pensent pas; on n'attribue aucune connoissance à la pierre, au bois, aux métaux, qui sont néanmoins certainement des corps. Il est même si naturel de croire que la matière ne peut penser,

que tous les hommes sans prévention ne peuvent s'empêcher de rire quand on leur soutient que les bêtes ne sont que de pures machines; parce qu'ils ne sauroient concevoir que de pures machines puissent avoir les connoissances qu'ils prétendent apercevoir dans les bêtes: ils trouvent que c'est faire des jeux d'enfants qui parlent avec leurs poupées, que de vouloir donner quelque connoissance à de pures machines. De là vient que les anciens mêmes, qui ne connoissoient rien de réel qui ne fût un corps, vouloient néanmoins que l'ame de l'homme fût d'un cinquième élément, ou d'une espèce de quintescence sans nom, inconnue ici-bas, indivisible et immuable, toute céleste et toute divine, parce qu'ils ne pouvoient concevoir que la matière terrestre des quatre éléments pût penser et se connoître elle-même '.

Mais supposons tout ce qu'on voudra, et ne contestons contre aucune secte de philosophes. Voici une alternative que nul philosophe ne peut éviter. Ou la matière peut devenir pensante, sans y rien ajouter ; ou bien la matière ne sauroit penser; et ce qui pense en nous est un être distingué d'elle, qui lui est uni. Si la matière peut devenir pensante sans y rien ajouter, il faut au moins avouer que toute matière n'est point pensante, et que la matière même qui pense aujourd'hui, ne pensoit point il y a cinquante ans par exemple, la matière du corps d'un jeune homme ne pensoit point dix ans avant sa naissance: il faudra done dire que la matière peut acquérir la pensée par un certain arrangement, et par un certain mouvement de ses parties. Prenons, par exemple, la matière d'une pierre ou d'un amas de sable : cette portion de matière ne pense nullement. Pour la faire commencer à penser, il faut figurer, arranger, mouvoir en un certain sens et à un certain degré toutes ses parties. Qui est-ce qui a su trouver avec tant de justesse cette proportion, cette configuration, cet arrangement, ce mouvement en un tel sens et point dans un autre, ce mouvement à un tel degré, au-dessus et au-dessous duquel la matière ne penseroit jamais? Qui est-ce qui a donné toutes ces modifications si justes et si précises à une matière vile et informe, pour en former le corps d'un enfant, et pour le rendre peu à peu raisonnable?

Si au contraire on dit que la matière ne peut être pensante sans y rien ajouter, et qu'il faut un

Aristoteles quintam quamdam naturam censet esse, e qua sit mens. Cogitare enim, et providere, et discere, et docere.... in horum quatuor generum nullo inesse putat; quintum genus a dhibet, vacans nomine. CIC., Tuscul. Quæst., lib. 1, n. 40.

autre être qui s'unisse à elle, je demande quel sera cet autre être qui pense, pendant que la matière à laquelle il est uni ne fait que se mouvoir. Voilà deux natures bien dissemblables. Nous ne connoissons l'une que par des figures et des mouvements locaux ; nous ne connoissons l'autre que par des perceptions et par des raisonnements. L'une ne donne point l'idée de l'autre, et leurs idées n'ont rien de commun.

puissante sur ces deux natures si diverses a pu leur imposer le joug, et les tenir captives dans une société si exacte et si inviolable? Dira-t-on que c'est le hasard? Si on le dit, entendra-t-on ce qu'on dira, et le pourra-t-on faire entendre aux autres? Le hasard a-t-il accroché, par un concours d'atomes, les parties du corps avec l'esprit? Si l'esprit peut s'accrocher à des parties du corps, il faut qu'il ait des parties lui-même, et par conséquent qu'il soit un vrai corps; auquel cas nous retombons dans la première réponse, que j'ai déja réfutée. Si au contraire l'esprit n'a point de parties, rien ne peut l'accrocher avec celles du corps, et le basard n'a pas de quoi les attacher

ensemble.

D'où vient que des êtres si dissemblables sont si intimement unis ensemble dans l'homme? d'où vient que les mouvements du corps donnent si promptement et si infailliblement certaines pensées à l'ame? d'où vient que les pensées de l'ame donnent si promptement et si infailliblement certains mouvements au corps? d'où vient que cette société si régulière dure soixante-dix ou quatrevingts ans sans aucune interruption? d'où vient que cet assemblage de deux êtres et de deux opérations si différentes fait un composé si juste, que tant de gens sont tentés de croire que c'est un tout simple et indivisible? Quelle main a pu lier ces deux extrémités? Elles ne se sont point liées d'elles-mêmes. La matière n'a pu faire un pacte avec l'esprit ; car elle n'a par elle-même ni pensée ni volonté pour faire des conditions. D'un autre côté, l'esprit ne se souvient point d'avoir fait un pacte avec la matière, et il ne pourroit être assujetti à ce pacte, s'il l'avoit oublié. S'il avoit résolu librement et par lui-même de s'assujettir à la matière, il ne s'y assujettiroit que quand il s'en souviendroit, et quand il lui plaisance supérieure à ces deux natures a pu les attaroit. Cependant il est certain qu'il dépend malgré lui du corps, et qu'il ne peut s'en délivrer, à moins qu'il ne détruise les organes du corps par une mort violente.

D'ailleurs, quand même l'esprit se seroit assujetti volontairement à la matière, il ne s'ensuivroit pas que la matière fût mutuellement assujettie à l'esprit. L'esprit auroit, à la vérité, certaines pensées quand le corps auroit certains mouvements; mais le corps ne seroit point déterminé à avoir à son tour certains mouvements dès que l'esprit auroit certaines pensées. Or il est certain que cette dépendance est réciproque. Rien n'est plus absolu que l'empire de l'esprit sur le corps. L'esprit veut, et tous les membres du corps se remuent à l'instant, comme s'ils étoient entraînés par les plus puissantes machines. D'un autre côté, rien n'est plus manifeste que le pouvoir du corps sur l'esprit. Le corps se meut, et à l'instant l'esprit est forcé de penser avec plaisir ou avec douleur à certains objets. Quelle main également

Enfin mon alternative revient toujours, et elle est décisive. Si l'esprit et le corps ne sont qu'un tout composé de matière, d'où vient que cette matière, qui ne pensoit pas hier, a commencé à penser aujourd'hui ? qui est-ce qui lui a donné ce qu'elle n'avoit pas, et qui est incomparablement plus noble qu'elle, quand elle est sans pensée ? Ce qui lui donne la pensée ne l'a-t-il point lui-même ; et la donnera-t-il sans l'avoir ? Supposé même que la pensée résulte d'une certaine configuration, d'un certain arrangement et d'un degré du mouvement en un certain sens de toutes les parties de la matière, quel ouvrier a su trouver toutes ces combinaisons si justes et si précises pour faire une machine pensante? Si au contraire l'esprit et le corps sont deux natures différentes, quelle puis

cher ensemble, sans que l'esprit y ait aucune part, ni qu'il sache comment cette union s'est faite? Qui est-ce qui commande ainsi, avee cet empire suprême, aux esprits et aux corps, pour les tenir dans une correspondance et dans une espèce de police si incompréhensibles?

Remarquez que l'empire de mon esprit sur mon corps est souverain, et qu'il est néanmoins aveugle. Il est souverain dans son étendue bornée, puisque ma simple volonté, sans effort et sans préparation, fait mouvoir tout-à-coup immédiatement tous les membres de mon corps, selon les règles de cette machine. Comme l'Écriture nous représente Dieu, qui dit après la création de l'univers: Que la lumière soit; et elle fut de même la seule parole intérieure de mon ame, sans effort, sans préparation, fait ce qu'elle dit. Je dis en moi-même cette parole si intérieure, si simple et si momentanée : Que mon corps se meuve; et il se meut. A cette simple et intime volonté, toutes les parties de mon corps travaillent déja,

tous les nerfs sont tendus, tous les ressorts se hâ- | l'homme; mais la puissance, de qui est-elle ? à qui l'attribuerons-nous, si ce n'est à celui qui voit ce que l'homme ne voit pas, et qui fait en lui ce qui le surpasse? Mon ame a beau vouloir remuer les corps qui l'environnent, et qu'elle connoît très distinctement, aucun ne se remue; elle n'a aucun pouvoir pour ébranler le moindre atome par sa volonté : il n'y a qu'un seul corps, que quelque puissance supérieure doit lui avoir rendu propre. A l'égard de ce corps, elle n'a qu'à vouloir, et tous les ressorts de cette machine, qui lui sont inconnus, se meuvent à propos et de concert pour lui obéir.

tent de concourir ensemble, et toute la machine obéit, comme si chacun de ses organes les plus secrets entendoit une voix souveraine et toute puissante. Voilà sans doute la puissance la plus simple et la plus efficace qu'on puisse concevoir. Il n'y en a aucun autre exemple dans tous les êtres que nous connoissons. C'est précisément celle que les hommes persuadés de la divinité lui attribuent dans tout l'univers. L'attribuerai-je à mon foible esprit, ou plutôt à la puissance qu'il a sur mon corps, qui est si différente de lui? croirai-je que ma volonté a cet empire suprême par son propre fonds, elle qui est si foible et si imparfaite? Mais d'où vient que, parmi tant de corps, elle n'a ce pouvoir que sur un seul? Nul autre corps ne se remue selon ses desirs. Qui lui a donné sur un seul corps ce qu'elle n'a sur aucun autre ? oserat-on encore revenir à nous alléguer le hasard?

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Cette puissance, qui est si souveraine, est en même temps aveugle. Le paysan le plus ignorant sait aussi bien mouvoir son corps que le philosophe le mieux instruit de l'anatomie. L'esprit du paysan commande à ses nerfs, à ses muscles, à ses tendons, à ses esprits animaux, qu'il ne connoît pas, et dont il n'a jamais ouï parler. Sans pouvoir les distinguer, et sans savoir où ils sont, il les trouve ; il s'adresse précisément à ceux dont il a besoin, et il ne prend point les uns pour les

autres.

Un danseur de corde ne fait que vouloir, et à l'instant les esprits coulent avec impétuosité, tantôt dans certains nerfs, et tantôt en d'autres : tous ces nerfs se tendent ou se relâchent à propos. Demandez-lui ce que c'est qu'un nerf; il n'en sait rien. Demandez-lui quels sont ceux qu'il a mis en mouvement, et par où il a commencé à les ébranler; il ne comprend pas même ce que vous voulez lui dire; il ignore profondément ce qu'il a fait dans tous les ressorts intérieurs de sa machine.

Le joueur de luth, qui connoît parfaitement toutes les cordes de son instrument, qui les voit de ses yeux, qui les touche l'une après l'autre de ses doigts, s'y méprend: mais l'ame, qui gouverne la machine du corps humain, en meut tous les ressorts à propos, sans les voir, sans les discerner, sans en savoir ni la figure, ni la situation, ni la force; et elle ne s'y mécompte point. Quel prodige ! mon esprit commande à ce qu'il ne connoît point, et qu'il ne peut voir; à ce qui ne le connoît point, et qui est incapable de connoissance; et il est infailliblement obéi. Que d'avenglement ! que de puissance ! L'aveuglement est de

Saint Augustin, qui a fait ces réflexions, les a parfaitement exprimées : « Les parties internes » de nos corps, dit-il, ne peuvent être vivantes » que par nos ames; mais nos ames les animent >> bien plus facilement qu'elles ne peuvent les con>> noitre..... L'ame ne connoit point le corps qui >> lui est soumis..... Elle ne sait point pourquoi » elle ne met les nerfs en mouvement que quand » il lui plaît, et pourquoi au contraire la pulsa» tion des veines est sans interruption, quand » même elle ne le voudroit pas. Elle ignore quelle » est la première partie du corps qu'elle remue >> immédiatement, pour mouvoir par celle-là tou»tes les autres..... Elle ne sait point pourquoi elle » sent malgré elle, et ne meut les membres que » quand il lui plaît. C'est elle qui fait ces choses » dans le corps. D'où vient qu'elle ne sait ni ce » qu'elle fait, ni comment elle le fait ? Ceux qui » s'instruisent de l'anatomie, dit encore ce Père, >> apprennent d'autrui ce qui se passe en eux, et » qui est fait par eux-mêmes. Pourquoi, dit-il, » n'ai-je aucun besoin de leçon pour savoir qu'il » y a dans le ciel, à une prodigieuse distance de >> moi, un soleil et des étoiles? et pourquoi ai-je » besoin d'un maître pour apprendre par où com>> mence le mouvement, quand je remue le doigt? » Je ne sais comment se fait ce que je fais moi» même au-dedans de moi. Nous sommes trop » élevés à l'égard de nous-mêmes, et nous ne sau» rions nous comprendre. »>

En effet, nous ne saurions trop admirer cet empire absolu de l'ame sur des organes corporels qu'elle ne connoit pas, et l'usage continuel qu'elle en fait sans les discerner. Cet empire se montre principalement par rapport aux images tracées dans notre cerveau. Je connois tous les corps de l'univers qui ont frappé mes sens depuis un grand nombre d'années : j'en ai des images distinctes

De Anima et ejus orig., lib. IV, cap. v, vi, n. 6.7; tom. X.

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