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demande si ce qui reste est encore infini ou non ; s'il n'est pas infini, je soutiens que le total, avant le retranchement de cette petite partie, n'étoit point un infini véritable. En voici la démonstration. Tout composé fini, auquel vous rejoindrez une très petite partie qui en auroit été détachée, ne pourroit point devenir infini par cette réunion donc il demeureroit fini après la réunion; donc avant la désunion il est véritablement fini. En effet, qu'y auroit-il de plus ridicule que d'oser dire que le même tout est tantôt fini et tantôt infini, suivant qu'on lui ôte ou qu'on lui rend une espèce d'atome? Quoi donc ! l'infini et le fini ne sont-ils différents que par cet atome de plus ou de moins?

Si au contraire ce tout demeure infini après que vous en avez retranché une petite partie, il faut avouer qu'il y a des infinis inégaux entre eux; car il est évident que ce tout étoit plus grand avant que cette partie fût retranchée, qu'il ne l'est depuis son retranchement. Il est plus clair que le jour que le retranchement d'une partie est une diminution du total, à proportion de ce que cette partie est grande. Or c'est le comble de l'absurdité que de dire que le même infini, demeurant toujours infini, est tantôt plus grand et tantôt plus petit.

Le côté où l'on retranche une partie fait visiblement une borne par la partie retranchée. L'infini n'est plus infini de ce côté, puisqu'il y trouve une fin marquée. Cet infini est donc imaginaire, et nul être divisible ne peut jamais être un infini réel. Les hommes, ayant l'idée de l'infini, l'ont appliquée d'une manière impropre, et contraire à cette idée même, à tous les êtres auxquels ils n'ont voulu donner aucune borne dans leur genre; mais ils n'ont pas pris garde que tout genre est luimême une borne, et que toute divisibilité étant une imperfection, qui est aussi une borne visible, elle exclut le véritable infini, qui est un être sans bornes dans sa perfection.

L'être, l'unité, la vérité et la bonté sont la même chose. Ainsi, tout ce qui est un être infini est infiniment un, infiniment vrai, infiniment bon. Donc il est infiniment parfait et indivisible.

'De là je conclus qu'il n'y a rien de plus faux qu'un infini imparfait, et par conséquent borné; rien de plus faux qu'un infini qui n'est pas infiniment un; rien de plus faux qu'un infini divisible en plusieurs parties ou finies ou infinies. Ces chimériques infinis peuvent être grossièrement imaginés, mais jamais conçus.

Il ne peut pas même y avoir deux infinis; car

les deux, mis ensemble, seroient sans doute plus grands que chacun d'eux pris séparément, et par conséquent ni l'un ni l'autre ne seroit véritablement infini.

De plus, la collection de ces deux infinis seroit divisible, et par conséquent imparfaite, au lieu que chacun des deux seroit indivisible et parfait en soi : ainsi un seul infini seroit plus parfait que les deux ensemble. Si, au contraire, on vouloit supposer que les deux joints ensemble seroient plus parfaits que chacun des deux pris séparément, il s'ensuivroit qu'on les dégraderoit en les séparant.

Ma conclusion est qu'on ne sauroit concevoir qu'un seul infini souverainement un, vrai et parfait.

SECONDE QUESTION.

De la liberté de Dieu pour créer, ou pour ne créer pas.

Vous avez très bien compris, monsieur, que quand je dis qu'il est plus parfait à un être d'être fécond que de ne l'être pas, je ne prétends point parler d'une production actuelle, mais seulement d'un simple pouvoir de produire. Qui dit fécondité ne dit point une production actuelle, mais une vertu de produire hors de soi: c'est ainsi qu'on dit tous les jours qu'une terre est très féconde ou très fertile, quoiqu'elle soit actuellement en friche, parce qu'elle a une nature propre à produire les plus abondantes moissons.

On m'objectera peut-être que l'acte est plus parfait que la puissance, et qu'il y a plus de perfection à opérer actuellement qu'à être seulement dans le pouvoir d'opérer mais ce raisonnement est captieux. Pour en démêler l'illusion, je vous supplie de considérer les choses suivantes.

Il est vrai que, selon les écoles, l'acte perfectionne la puissance, et en est le complément; mais voici ce qu'il y a de réel dans ce discours :

4° Les philosophes de l'école parlent de l'acte comme d'une entité distinguée de la puissance et de l'action, et qui est le terme de l'action même. En ce sens, le terme est le complément qui perfectionne la puissance. Nul cartésien ne peut parler sérieusement ainsi.

2o Quiconque dit pure puissance ou simple pouvoir dit une simple capacité d'être au contraire, quiconque dit acte dit une existence et une perfection déja existante et actuelle. En un mot, ce qui n'est qu'en puissance n'est que possible; et ce qui est déja en acte existe déja actuellement. Or il est visible qu'il est plus parfait d'être actuel

lement existant que de n'être qu'en puissance ou possible.

Remarquez, s'il vous plaît, que le même être peut être tout ensemble en puissance pour certaines choses, et en acte pour d'autres. C'est ce qui arrive sans cesse à tout être fini et créé; car, d'un côté, il est en acte pour tout ce qu'il a déja reçu d'existence et d'actuel; mais d'un autre côté il n'est qu'en puissance pour tout ce qui lui reste à recevoir, et dont il n'a, par son être présent, que la simple puissance ou capacité de le recevoir.

En ce sens, il est encore manifeste qu'il est bien plus parfait d'être en acte que de n'être qu'en puissance. Mais tout ceci n'a aucun rapport avec le pouvoir et avec l'acte pour les actions particulières, qu'on est libre de faire ou de ne faire pas, et qu'on a quelquefois raison de ne pas faire. Par exemple, je ne suis pas plus parfait en parlant qu'en ne parlant pas; il arrive même souvent que je suis plus parfait de me taire que de parler.

La perfection consiste dans la vertu de faire cette action: mais je n'y ajoute rien en la faisant, autrement j'aurois tort de ne me donner pas une perfection qui dépend de moi, toutes les fois que je garde le silence par discrétion.

Il est vrai que l'ame agit sans cesse; elle connoit toujours au moins confusément quelque vérité, et elle veut à proportion quelque bien : mais aucune action prise en particulier ne lui est nécessaire.

Il n'est pas vrai, selon l'exemple déja rapporté, que l'acte de parler soit plus parfait en lui-même que la simple puissance.

S'il n'est pas plus parfait à l'homme d'opérer actuellement une telle chose que de pouvoir simplement l'opérer, cela est encore bien plus certain en Dieu. Il faut au moins avouer que toute opération de la créature est une modification qu'elle se donne. Il est vrai aussi qu'elle opère toujours, et par conséquent qu'elle se modifie toujours tantôt d'une façon et tantôt d'une autre; mais quand elle choisit la meilleure opération, elle se donne par ce choix la modification la plus parfaite.

Il n'en est pas de même de Dieu. Par son être infini, simple et immuable, il est incapable de toute modification; car une modification seroit une borne: son opération n'est que lui-même, sans y rien ajouter. Si son opération ajoutoit la moindre chose à sa perfection, il ne seroit pas Dieu; car il n'auroit pas lui-même l'infinie perfection, indépendamment de son action au-dehors.

En ce cas, son opération au-dehors seroit essentielle à sa divinité, et en feroit partie.

Bien plus: son ouvrage extérieur, qui n'est que sa créature, ne pouvant être séparé de son opération féconde, cet ouvrage seroit essentiel à son infinie perfection, et par conséquent à sa divinité : on ne pourroit concevoir l'un sans l'autre; l'un dépendroit de l'autre ; la créature seroit essentielle au créateur, et se confondroit avec lui; l'infinie perfection ne pourroit se trouver que dans ce total de Dieu opérant au-dehors, et de son ouvrage. La créature étant nécessaire au créateur même par son essence, elle ne seroit plus créature; il la faudroit regarder avec Dieu comme nous regardons le Fils et le Saint-Esprit avec le Père dans la sainte Trinité. En ce cas, Dieu produiroit éternellement par nécessité tout ce qu'il pourroit produire de plus parfait : il se devroit à lui-même de le faire : il ne seroit jamais Dieu qu'autant qu'il le feroit actuellement il ne pourroit jamais ne le faire pas. Si on le concevoit comme existant un moment avant que de produire, il faudroit dire qu'en commençant à produire il a commencé à se rendre parfait, et à devenir Dieu. En un mot, la créature seroit si essentielle au créateur, qu'on ne pourroit plus les distinguer réellement, et qu'on s'accoutumeroit à ne chercher plus d'autre être infiniment parfait que cette collection des êtres qu'on nomme créatures.

Que faut-il donc pour ne pas tomber dans cette impiété monstrueuse? Il faut dire que Dieu n'est pas plus parfait en opérant hors de lui qu'en n'opérant pas, parce qu'il est toujours tout puissant et infiniment fécond, lors même qu'il ne lui plaît pas d'exercer cette puissance féconde.

Par-là on reconnoît que Dieu est libre d'une souveraine liberté, dont la nôtre n'est qu'une foible image et une légère participation.

Par-là on conçoit la reconnoissance qui est due au bienfait purement gratuit de la création. Par-là on entre dans le véritable esprit de l'Écriture, qui nous enseigne que Dieu fit son ouvrage en sept jours il suspendoit son ouvrage, il interrompoit son action; il menoit peu à peu son ouvrage au but, et par divers degrés: il réservoit à chaque jour une forme nouvelle et particulière; il lui donnoit à diverses reprises un accroissement de perfection. Chaque chose se trouvoit chaque jour bonne, et digne de lui; mais il la rendoit dans la suite encore meilleure en la retouchant. Par-là il montroit combien il étoit le maître de tout son ouvrage, pour lui donner tant et si peu de perfection qu'il lui plairoit. Il pouvoit s'arrêter à une masse informe; il pouvoit faire de cette masse l'ouvrage varié et

plein d'ornements qu'il lui a plu d'en faire, et qu'on nomme l'univers.

Rien n'est donc plus faux que ce que j'entends dire savoir, que Dieu est nécessité par l'ordre, qui est lui-même, à produire tout ce qu'il pouvoit faire de plus parfait. Ce raisonnement iroit à prouver que l'actuelle production de la créature est éternelle, et essentielle au créateur. Ce raisonnement prouveroit que Dieu n'a pu se retenir en rien dans la création de son ouvrage; qu'il ne l'a fait avec aucune liberté ; qu'il a été assujetti à le faire tout entier d'abord, et même à le faire dès l'éternité. On établiroit par-là que Dieu étoit autant gêné pour la manière d'agir que pour le fond de son ouvrage. Selon ce principe, il falloit, sous peine de violer l'ordre et de se dégrader, qu'il fit tout son ouvrage par la voie la plus simple. En un mot, si ce principe a lieu, la toute-puissance de Dieu s'est épuisée dans un moment il ne peut plus produire un seul atome; il est dans l'impuissance d'ajouter le moindre degré de perfection au plus vil atome de l'univers. Si quelque chose est indigne de Dieu, c'est une telle idée de lui.

Combien saint Augustin pense-t-il plus noblement et avec plus de justesse sur la divinité! Ce Père se représente des degrés de perfection en montant et en descendant à l'infini, que Dieu voit distinctement d'une seule vue. Il n'en voit aucun qui ne demeure infiniment au-dessous de sa perfection infinie. Il peut monter aussi haut qu'il voudra pour le plan de son ouvrage; son ouvrage demeurera toujours infiniment au-dessous de lui. Il peut descendre aussi bas qu'il lui plaira, son ouvrage sera toujours bon, parfait selon sa mesure, distingué du néant, au-dessus de lui, et digne de l'être infini. Dieu, choisissant entre ces degrés infinis de perfection, appelle ou n'appelle pas le néant, ne doit rien, et peut tout. Sa supériorité infinie au-dessus de son ouvrage fait qu'il n'en peut avoir aucun besoin: la gloire même qu'il en tire lui, est pour ainsi dire si accidentelle, qu'elle se réduit à son bon plaisir, et au pur choix de sa volonté.

Il a pu créer le monde si tôt et si tard qu'il lui a plu; mais le plus tôt ne vient qu'après son éternité, et le plus tard est encore suivi de cette même éternité qui reste tout entière. En un mot, quelque étendue qu'il eût donnée à la durée de l'univers, elle eût été toujours quelque chose de fini dans l'infini; elle eût été renfermée dans l'éternité indivisible de son auteur.

Saint Augustin représente contre les manichéens cette bonté de l'ouvrage et cette liberté de l'ouvrier,

à quelque degré qu'il lui plaise de le fixer. Il n'y a en tout, selon ce Père, que les divers degrés de l'être, parce qu'être et perfection c'est précisément la même chose.

C'est par ces divers degrés que Dieu varie son ouvrage. Tout ce qui existe est bon et parfait dans un certain genre. Ce qui est plus est plus parfait; ce qui est moins est moins parfait mais tout ce qui est, en quelque bas degré qu'il soit, est digne de Dieu, puisqu'il a l'être, et qu'il faut une sagesse toute puissante pour le tirer du néant. En même temps tout être créé, quelque parfait qu'on le conçoive, n'a qu'un degré borné d'être, où il n'a pu monter que par la sagesse toute puissante de celui qui l'a tiré du néant. Toute créature se trouve donc dans ce milieu, entre ces deux extrémités, dans l'infini de Dieu.

Dieu ne voit rien qui ne soit infiniment au-dessous de lui. Cette infériorité infinie de tous les êtres créés, des plus hauts et des plus bas degrés, les met tous dans une espèce d'égalité à ses yeux. Aucun d'eux n'a une supériorité de perfection infinie qui lui soit une raison invincible de le préférer. Auquel de ces divers degrés qu'il puisse s'arrêter, il s'arrête toujours nécessairement à un degré qui se trouve fini, et infiniment au-dessous de lui. Cette infériorité infinie fait qu'aucune perfection possible ne peut le nécessiter; et sa supériorité infinie sur toute perfection possible fait la liberté de son choix.

Voilà, monsieur, ce que je crois avoir appris de saint Augustin sur la liberté de Dieu dans la production de ses ouvrages hors de lui. Je voudrois être libre de m'éclaircir avec vous sur toutes ces matières, et je recevrois avec grand plaisir tout ce que vous voudriez bien me communiquer; car je ne doute point que vous n'ayez fait de grandes recherches mais un grand diocèse, où la guerre augmente infiniment nos embarras, une très foible santé, et d'autres travaux épineux sur les matières de la grace, m'ôtent la liberté que je voudrois avoir pour méditer sur la métaphysique. Je suis parfaitement, etc.

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dri. Je n'y vois que candeur, qu'amour de la vérité, que soin de l'approfondir, que zèle pour la religion, et que confiance en ma bonne volonté. Je ne veux être, ce me semble, occupé que de mon ministère mais je ne suis point un dévot ombrageux, et facile à scandaliser; je m'attends à toutes sortes de systèmes et d'objections. On n'établiroit jamais rien de solide contre les impies, si les personnes zélées pour la religion ne se communiquoient pas en liberté les unes aux autres les raisonnements captieux par lesquels on tâche de l'obscurcir. Ce qui m'embarrasse est que vous avez écrit ayant la fièvre, et que je l'avois en vous lisant. Il m'en reste beaucoup d'abattement. On me défend toute application. Il faudroit pourtant écrire un volume pour vous répondre. Que ne puis-je me trouver en pleine santé dans votre cabinet, impertransito medio, comme parle l'école ! En attendant un peu de santé, je vais prendre la liberté de vous représenter ce que je pense sur divers points.

4° Je n'ai point lu encore la préface' que vous avez vue. Elle est d'un écrivain habile, et que j'estime. Mais indépendamment de ce qu'elle contient, je vous avoue que le système de Spinosa ne me paroît point difficile à renverser. Dès qu'on l'entame par quelque endroit, on rompt toute sa prétendue chaîne. Selon ce philosophe, deux hommes dont l'un dit oui et l'autre non, dont l'un se trompe et l'autre croit la vérité, dont l'un est scélérat et l'autre est un homme très vertueux, ne sont qu'un même être indivisible. C'est ce que je défie tout homme sensé de croire jamais sérieusement dans la pratique. La secte des spinosistes est donc une secte de menteurs, et non de philosophes. De plus, on ne peut connoître une modification qu'autant qu'on connoît déja la substance modifiée. Il faut connoître un corps coloré pour concevoir une couleur, un corps mobile pour en concevoir le mouvement, etc. Il faut donc que Spinosa commence par nous donner une idée de cette substance infinie, qui accorde dans son être simple et indivisible les modifications les plus opposées, dont l'une est la négation de l'autre ; il faut qu'il trouve une multiplication infinie dans une parfaite unité; il faut qu'il montre des variations et des bornes dans un être invariable et sans bornes. Voilà d'énormes contradictions.

2o La grande mode des libertins de notre temps n'est point de suivre le système de Spinosa. Ils se font honneur de reconnoître un Dieu créateur,

Nous conjecturons qu'il est ici question de la préface que le

P. Tournemine avoit mise à la tête du Traité de l'Existence de Dieu. (Edit. de Vers.)

dont la sagesse saute aux yeux dans tous ses ouvrages; mais, selon eux, ce Dieu ne seroit ni bon ni sage, s'il avoit donné à l'homme le libre arbitre, c'est-à-dire le pouvoir de pécher, de s'égarer de sa fin dernière, de renverser l'ordre, et de se perdre éternellement. Selon eux, l'homme s'impose à lui-même, quand il s'imagine être le maître de choisir entre deux partis. Cette illusion flatteuse, disent-ils, vient de ce que la volonté de l'homme ne peut être contrainte dans son propre acte, qui est son vouloir : elle ne peut être déterminée que par son plaisir, qui est son unique ressort. Entre divers plaisirs, c'est toujours le plus fort qui la détermine invinciblement. Ainsi elle ne veut jamais que ce qu'il lui plaît davantage de vouloir. Voilà ce qui forme une ridicule chimère de liberté. L'homme, disent-ils encore, est sans cesse nécessité à vouloir un seul objet, tant par la disposition intérieure de ses organes, que par les circonstances des objets extérieurs: en chaque occasion il croit ehoisir, pendant qu'il est nécessité à vouloir toujours ce qui lui offre le plus de plaisir. Suivant ce système, en ôtant toute réelle liberté, on se débarrasse de tout mérite, de tout blâme et de tout enfer; on admire Dieu sans le craindre, et on vit sans remords au gré de ses passions. Voilà le système qui charme tous les libertins de notre temps.

5o Vous avez raison de demander des motifs de croire la religion, qui soient proportionnés aux esprits les plus simples et les plus grossiers. La difficulté de trouver ces raisons proportionnées et convaincantes vous tente de croire que Dieu ne prépare le salut qu'aux seuls élus, qu'il conduit par le cœur et non par l'esprit, par l'attrait de la grace et non par la lumière de la raison. Mais remarquez, s'il vous plaît, deux inconvénients de ce système. Le premier est que si on supposoit que la foi vient aux hommes par le cœur sans l'esprit, et par un instinct aveugle de grace, sans un raisonnable discernement de l'autorité à laquelle on se soumet pour croire les mystères, on courroit risque de faire du christianisme un fanatisme, et des chrétiens des enthousiastes. Rien ne seroit plus dangereux pour le repos et pour le bon ordre du genre humain; rien ne peut rendre la religion plus méprisable et plus odieuse. Le second inconvénient est que, suivant ce système, Dieu damneroit presque tous les hommes, parce qu'ils ne croient pas et parce qu'ils n'observent pas tous ses commandements, quoique la foi et les commandements leur fussent réellement impossibles, faute de secours proportionnés à leur besoin pour croire et pour observer les commandements évangéliques.

Ce seroit tourner la religion en scandale, et soulever contre elle le monde entier, que d'en donner une idée si contraire à la bonté de Dieu.

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que jamais aucune attention? Si un homme se trouvoit tout-à-coup en s'éveillant dans une île déserte, quelle prodigieuse recherche ne feroit-il point pour découvrir par quelle aventure il y auroit été transporté? Nous nous trouvons tout-àcoup en ce monde comme tombés des nues; nous ne savons ni ce que nous sommes, ni d'où nous venons, ni où nous sommes venus, ni avec qui nous vivons, ni où nous irons au sortir d'ici. Qui est-ce qui a la moindre curiosité sur ce profond mystère? Personne ne veut le développer. On s'amuse de tout, on veut tout savoir, excepté l'unique chose qu'il seroit capital d'apprendre. Cette indolence monstrueuse est le grand péché d'infidélité : Non pie quærunt, dit saint Augustin. De quoi les hommes ne seroient-ils point capables, s'ils étoient sincères, humbles, dociles, et aussi appliqués qu'un si grand bien le mérite? Les petits enfants n'apprennent-ils pas en peu de temps les choses et les termes de tout le détail de la vie humaine, et toute une langue? Le peuple le plus grossier n'apprend-il pas toute la finesse des arts? Ce n'est pas tout. Que n'apprend-on pas, avec subtilité et profondeur, pour le mal! L'esprit ne manque que pour le bien: on n'est bouché que pour les choses qu'on n'aime pas. Aimez la vérité comme l'argent, vous devinerez ce qui est le plus obscur. Quand Dieu rassemblera contre un homme tous les dons naturels de la raison, et tous les secours surnaturels donnés pour le préparer à la foi ; quand il lui montrera que ces graces en auroient attiré de

4° Saint Augustin, qu'on ne peut point accuser de relâchement sur les questions de la grace, a cru ne pouvoir justifier la bonté et la justice de Dieu contre les blasphèmes des manichéens, qu'en avouant qu'aucun homme ne doit jamais à Dieu que ce qu'il a reçu. Il en conclut deux choses: l'une est que tout homme a reçu un secours prévenant et proportionné à son besoin, pour vaincre les tentations de sa concupiscence, pour éviter tout mal, et pour pratiquer tout bien, conformément à sa raison : l'autre est qu'il a reçu de quoi vaincre son ignorance, en cherchant avec soin et piété, s'il le veut, ce qui lui manque pour la foi, auquel cas la Providence lui fourniroit des moyens convenables pour parvenir de proche en proche à la foi des mystères, aux vertus évangéliques et au salut. Les moyens de providence, tant intérieurs qu'extérieurs, sont ineffables et d'une variété infinie, suivant ce Père. Il est aussi impossible de les expliquer en détail, qu'il est impossible d'expliquer comment un homme est parvenu de proche en proche à un certain degré de sagesse et de vertu, à certains préjugés, etc. On y arrive par des combinaisons innombrables de l'éducation, des exemples, des lectures, des conversations, des amis, des expériences, des réflexions et des inspirations intérieures, par lesquelles Dieu opère insensiblement dans le fond des cœurs. Non seulement les autres hommes ne sauroient dire en détail tout ce qui a pré-plus grandes pour son salut, s'il n'eût pas négligé paré, persuadé, déterminé un certain homme à un certain genre de vie, mais encore cet homme même ne sauroit après coup retourner, pour ainsi dire, sur ses pas, et retrouver tant au-dehors qu'au-dedans tout ce qui a servi de ressort pour remuer son cœur. Ce que chacun ne peut faire pour retrouver ses propres traces, Dieu le fera dans son jugement. Il y sera victorieux, parce qu'il développera à chaque homme tous les replis de son cœur dans une chaîne de moyens par lesquels il n'a tenu qu'à lui de chercher, de connoître la vérité, de l'aimer, de la suivre, et d'y trouver son salut. Ces moyens, quoique inexplicables en détail, sont très certains en gros. Leur variété, leur combinaison secrète, leur facilité à nous échapper, nous en dérobent souvent la connoissance distincte; mais Dieu, infiniment juste et bon, ne mérite-t-il pas bien d'être cru sur l'enchaînement et sur la proportion de ces moyens qu'il a préparés? N'en est-il pas meilleur juge que nous, puisque nous négligeons ces moyens jusqu'à n'y faire pres

les premières, cet homme verra tout-à-coup ce qu'il ne veut point voir ici-bas. Quand même cette justice de Dieu seroit incompréhensible, il faudroit la croire sans la comprendre ; mais l'homme aime mieux se flatter, secouer le joug, supposer que Dieu lui manque, disputer sur sa propre liberté, quoiqu'il ne puisse en douter sérieusement, et vivre sans règle, en se justifiant aux dépens

de Dieu.

5° Il est vrai qu'il faut des preuves proportionnées à l'esprit foible et grossier de presque tous les hommes, pour les soumettre à une autorité qui leur propose les mystères. Mais il faut observer deux choses: l'une est que l'esprit le plus court et le plus bouché s'étend et s'ouvre, à proportion de sa bonne volonté, pour toutes les choses qu'il a besoin de connoître l'autre est qu'il faut distinguer une connoissance simple et sensée d'une vérité, d'avec un approfondissement par lequel un homme exercé réfute toutes les vaines subtilités qui peuvent embrouiller cette vérité claire et sim

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