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L'action de la créature qui connoît et qui aime Dieu est toujours nécessairement imparfaite, comme la créature même qui la produit ; elle est toujours infiniment au-dessous de Dieu. Mais cette action de connoître et d'aimer Dieu est la plus noble et la plus parfaite opération que Dieu puisse tirer de sa créature, et qu'il puisse se proposer comme la fin de son ouvrage. Si Dieu ne pouvoit tirer du néant aucune créature, qu'à condition d'en tirer quelque opération aussi parfaite que la divinité, il ne pourroit jamais tirer du néant aucune créature; car il n'y en a aucune qui puisse produire aucune opération aussi parfaite que Dieu.

Le fait est néanmoins indubitable; savoir, que Dieu a tiré du néant des créatures: il faut donc évidemment qu'il se soit borné à tirer de ses créatures l'opération la plus noble et la plus parfaite que leur nature bornée et imparfaite peut produire. Or cette opération, la plus parfaite du genre humain, est la connoissance et l'amour de Dieu. Ce que Dieu tire de l'homme ne peut être qu'imparfait comme l'homme même, mais Dieu en tire ce que l'homme peut produire de plus parfait; et il suffit, pour l'accomplissement de l'ordre, que Dieu tire de sa créature ce qu'il en peut tirer de meilleur dans les bornes où il la fixe. Alors il est content de son ouvrage; sa puissance a fait ce que sa sagesse demande. Il se complaît dans sa créature, et c'est cette complaisance qui est sa véritable fin. Or cette complaisance n'est pas distinguée de lui; ainsi, à proprement parler, il est lui-même sa fin. L'action finie de la créature n'est que le sujet de sa complaisance; c'est sa sagesse en laquelle il se complaît ; et cette complaisance est infiniment parfaite comme lui, puisqu'elle est infiniment juste et sage.

IX. Nous ne saurions douter que les hommes ne connoissent Dieu, et que plusieurs d'entre eux ne l'aiment, ou du moins ne desirent de l'aimer. Il est donc plus clair que le jour que Dieu a voulu se faire connoître et se faire aimer: car si Dicu n'avoit pas voulu nous communiquer sa connoissance et son amour, nous ne pourrions jamais ni le connoitre ni l'aimer. Je demande pourquoi est-ce que Dieu nous a donné cette capacité de le connoître et de l'aimer? Il est manifeste que c'est le plus précieux de tous ses dons. Nous l'at-il accordé d'une manière aveugle et sans raison, par pur hasard, sans vouloir que nous en fissions aucun usage? Il nous a donné des yeux corporels pour voir la lumière du jour. Croirons-nous qu'il nous a donné les yeux de l'esprit, qui sont capables de connoître son éternelle vérité, sans vouloir qu'elle soit connue de nous ? J'avoue que

nous ne pouvons ni connoître ni aimer infiniment l'infinie perfection. Notre plus haute connoissance demeurera toujours infiniment imparfaite, en comparaison de l'être infiniment parfait. En un mot, quoique nous connoissions Dieu, nous ne pouvons jamais le comprendre; mais nous le connoissons tellement, que nous disons tout ce qu'il n'est point, et que nous lui attribuons les perfections qui lui conviennent, sans aucune crainte de nous tromper. Il n'y a aucun être dans la nature que nous confondions avec Dieu; et nous savons le représenter avec son caractère d'infini, qui est unique et incommunicable. Il faut que nous le connoissions bien distinctement, puisque la clarté de son idée nous force à le préférer à nous-mêmes. Une idée qui va jusqu'à détrôner le moi doit être bien puissante sur l'homme aveuglé et idolâtre de lui-même. Jamais idée ne fut si combattue, jamais idée ne fut si victorieuse. Jugeons de sa force par l'aveu qu'elle arrache de nous contre nous-mêmes. Rien n'est si étonnant que l'idée de Dieu, que je porte au fond de moi-même; c'est l'infini contenu dans le fini. Ce que j'ai au-dedans de moi me surpasse sans mesure. Je ne comprends pas comment je puis l'avoir dans mon esprit; je l'y ai néanmoins. Il est inutile d'examiner comment je puis l'avoir, puisque je l'ai. Le fait est clair et décisif. Cette idée ineffaçable et incompréhensible de l'être divin est ce qui me fait ressembler à lui, malgré mon imperfection et ma bassesse. Comme il se connoît et s'aime infiniment, je le connois et l'aime selon ma mesure. Je ne puis connoître l'infini que par une connoissance finie, et je ne puis l'aimer que d'un amour fini comme moi; mais je le connois néanmoins comme étant infini, et je l'aime du plus grand amour dont il m'a rendu capable. Je voudrois ne pouvoir mettre aucune borne à mon amour pour une perfection qui n'est point bornée. Il est vrai, encore une fois, que cette connoissance et cet amour n'ont point une perfection égale à leur objet; mais l'homme, qui connoît et qui aime Dieu selon toute sa mesure de connoissance et d'amour, est incomparablement plus digne de cet être parfait que l'homme qui seroit comme sans Dieu en ce monde, ne songeant ni à le connoître ni à l'aimer. Voilà deux divers plans de l'ouvrage de Dieu. L'un est aussi digne de sa sagesse et de sa bonté qu'on le peut concevoir; l'autre n'en est nullement digne, et n'a aucune fin raisonnable; il est facile de conclure quel est celui que Dieu a suivi. X. L'homme, en se rabaissant, ne cherche que l'indépendance; c'est une humilité trompeuse et hypocrite. On veut s'exagérer à soi-même sa bas

sesse, son néant, et la disproportion infinie qui est entre Dieu et soi, pour secouer le joug de Dieu, et pour devenir une espèce de petite divinité à sa mode, en contentant toutes ses passions déréglées, et se faisant le centre de tout ce qui est autour de soi. On est ravi de mettre Dieu dans une supériorité et une disproportion infinie, où il ne daigne ni nous observer, ni nous rapporter à sa gloire, ni s'intéresser à nous, ni nous redresser, ni nous perfectionner, ni nous récompenser, ni nous punir. Mais ne voit-on pas que la distance infinie qui est entre Dieu et nous ne l'empêche point d'être sans cesse tout auprès et au-dedans de nous, et que c'est même cette perfection, infiniment supérieure à la nôtre, qui le met en état de faire toutes choses en nous, et d'être plus près de nous que nous-mêmes? Comment veut-on que celui qui fait que nos yeux voient, que nos oreilles entendent, que notre esprit connoît, et que notre volonté aime, ne soit pas attentif à tout ce qu'il opère au-dedans de nous? Comment peut-il ne s'intéresser pas à ce qu'il prend soin d'y faire à tout moment? Cette attention ne coûte rien à une intelligence et une bonté infinie. En elle tout est action, et tout est repos. Nous voudrions imaginer un Dieu si éloigné de nous, si hautain et si indifférent dans sa hauteur, qu'il ne daigne pas veiller sur les hommes, et que chacun, sans être gêné par ses regards, puisse vivre sans règle, au gré de son orgueil et de ses passions. En faisant semblant d'élever Dieu de la sorte, on le dégrade: car on en fait un Dieu indolent sur le bien et sur le mal, sur le vice et sur la vertu de ses créatures, sur le désordre du monde qu'il a formé. En faisant semblant de s'abaisser soi-même, on s'érige en divinité, on renverse toute subordination, on se donne toute licence, on se promet toute impunité, on veut se mettre au-dessus de sa raison même.

Encore une fois, comparez ces deux plans, dont l'un nous présente un Dieu sage, bon, vigilant, qui arrange, qui corrige, qui récompense, qui veut être connu, aimé, obéi; et dont l'autre nous présente un Dieu insensible à notre conduite, qui n'est touché ni de la vertu, ni du vice, ni de la raison suivie, ni de la raison violée par ses créatures; qui abandonne l'homme au gré de son orgueil insensé et de tous ses desirs brutaux ; qui le néglige après l'avoir fait, et qui ne se soucie d'en être ni connu, ni aimé, quoiqu'il lui ait donné de quoi le connoître et de quoi l'aimer : comparez ces deux plans, et je vous défie de ne préférer pas le premier au second.

CHAPITRE II.

L'ame de l'homme est immortelle.

Cette question ne sera point difficile à éclaircir, dès qu'on voudra la réduire à ses bornes, et la séparer de ce qui va plus loin.

I. Il est vrai que l'ame de l'homme n'est point un être constant par soi-même, et qui ait une existence nécessaire : il n'y a qu'un être qui ait l'existence par soi, qui ne puisse jamais la perdre, et qui la donne, comme il lui plaît, à tous les autres. Dieu n'auroit besoin d'aucune action pour anéantir l'ame de l'homme : il n'auroit qu'à laisser cesser un moment l'action par laquelle il continue sa création en chaque moment, pour la replonger dans l'abîme du néant d'où il l'a tirée ; comme un homme n'a besoin que de lâcher la main pour laisser tomber une pierre qu'il tient en l'air : elle tombe d'abord par son propre poids. La question qu'on peut faire raisonnablement ne consiste donc nullement à savoir si l'ame de l'homme peut être anéantie, en cas que Dieu le veuille; il est manifeste qu'elle peut l'être, et il ne s'agit que de la volonté de Dieu à cet égard.

II. Il s'agit de savoir si l'ame a en soi des causes naturelles de destruction, qui fassent finir son existence après un certain temps; et si on peut démontrer philosophiquement que l'ame n'a point en soi de telles causes. En voici la preuve négative. Dès qu'on a supposé la distinction très réelle du corps et de l'ame, on est tout étonné de leur union; et ce n'est que par la seule puissance de Dieu qu'on peut concevoir comment il a pu unir et faire opérer de concert ces deux natures si dissemblables. Les corps ne pensent point; les ames ne sont ni divisibles, ni étendues, ni figurées, ni revêtues des propriétés corporelles. Demandez à toute personne sensée si la pensée qui est en elle est ronde ou carrée, blanche ou jaune, chaude ou froide, divisible en six ou en douze morceaux : cette personne, au lieu de vous répondre sérieusement, se mettra à rire. Demandez-lui si les atomes dont son corps est composé sont sages ou fous, s'ils se connoissent, s'ils sont vertueux, s'ils ont de l'amitié les uns pour les autres, si les atomes ronds ont plus d'esprit et de vertu que les atomes carrés : cette personne rira encore, et ne pourra pas croire que vous lui parliez sérieusement. Allez plus loin supposez des atomes de la figure qu'il lui plaira; dites-lui qu'elle les subtilise tant qu'elle voudra, et demandez-lui s'il viendra enfin un moment où les atomes, après avoir été sans au

cune connoissance, commenceront tout-à-coup à se connoître, à connoître tout ce qui les environne, et à dire en eux-mêmes Je crois ceci, mais je ne crois pas cela; j'aime un tel objet, et je hais l'autre cette personne trouvera que vous lui faites des questions puériles; elle en rira, comme des métamorphoses, ou des contes les plus extravagants. Le ridicule de ces questions montre parfaitement qu'il n'entre aucune des propriétés du corps dans l'idée que nous avons d'un esprit, et qu'il n'entre aucune des propriétés de l'esprit ou être pensant dans l'idée que nous avons du corps ou être étendu. La distinction réelle et l'entière dissemblance de nature de ces deux êtres étant ainsi établies, on ne doit nullement s'étonner que leur union, qui ne consiste que dans une espèce de concert ou de rapport mutuel entre les pensées de l'un ou les mouvements de l'autre, puisse cesser sans qu'aucun de ces deux êtres cesse d'exister: il faut au contraire s'étonner comment deux êtres de nature si dissemblable peuvent demeurer quelque temps dans ce concert d'opérations. A quel propos concluroit-on donc que l'un de ces deux êtres seroit anéanti, dès que leur union, qui leur est si peu naturelle, viendroit à cesser? Représentons-nous deux corps qui sont absolument de même nature; séparez-les, vous ne détruisez ni l'un ni l'autre. Bien plus, l'existence de l'un ne peut jamais prouver l'existence de l'autre, et l'anéantissement de l'autre ne peut jamais prouver l'anéantissement du premier. Quoiqu'on les suppose semblables en tout, leur distinction réelle suffit pour démontrer qu'ils ne sont jamais l'un à l'autre une cause d'existence ou d'anéantissement: par la raison que l'un n'est pas l'autre, il peut exister ou être anéanti sans cet autre corps. Leur distinction fait leur indépendance mutuelle. Que si l'on doit raisonner ainsi de deux corps qu'on sépare, et qui sont entièrement de même nature, à combien plus forte raison doit-on raisonner de même d'un esprit et d'un corps dont l'union n'a rien de naturel, tant leurs natures sont dissemblables en tout! D'un côté, la cessation d'une union si accidentelle à ces deux natures ne peut être ni à l'unc ni à l'autre une cause d'anéantissement; de l'autre, l'anéantissement même de l'un de ces deux êtres ne seroit en aucune façon une raison ou cause d'anéantissement pour l'autre. Un être qui n'est nullement la cause de l'existence de l'autre ne peut pas être la cause de son anéantissement. Il est donc clair comme le jour que la désunion du corps et de l'ame ne peut opérer l'anéantissement ni de l'ame ni du corps, et que l'anéantissement

même du corps n'opéreroit rien pour faire cesser l'existence de l'ame.

III. L'union du corps et de l'ame ne consistant que dans un concert ou rapport mutuel entre les pensées de l'une et les mouvements de l'autre, il est facile de voir ce que la cessation de ce concert doit opérer. Ce concert n'est point naturel à ces deux êtres si dissemblables et si indépendants l'un de l'autre. Il n'y a même que Dieu qui ait pu, par une volonté purement arbitraire et toute puissante, assujettir deux êtres, si divers en nature et en opérations, à ce concert pour opérer ensemble. Faites cesser la volonté purement arbitraire et toute puissante de Dieu; ce concert, pour ainsi dire si forcé, cesse aussitôt, comme une pierre tombe par son propre poids dès qu'une main ne la tient plus en l'air : chacune de ces deux parties rentre dans son indépendance naturelle d'opération à l'égard de l'autre. Il doit arriver de là que l'ame, loin d'être anéantie par cette désunion qui ne fait que la remettre dans son état naturel, est alors libre de penser indépendamment de tous les mouvements du corps; de même que je suis libre de marcher tout seul, comme il me plaît, dès qu'on m'a détaché d'un autre homme avec lequel une puissance supérieure me tenoit enchaîné. La fin de cette union n'est qu'un dégagement et qu'une liberté; comme l'union n'étoit qu'une gêne et qu'un pur assujettissement: alors l'ame doit penser indépendamment de tous les mouvements du corps; comme on suppose, dans la religion chrétienne, que les anges, qui n'ont jamais été unis à des corps, pensent dans le ciel. Pourquoi done craindroit-on l'anéantissement de l'ame dans cette désunion, qui ne peut opérer que l'entière liberté de ses pensées?

IV. De son côté, le corps n'est point anéanti. Il n'y a pas le moindre atome qui périsse. Il n'arrive, dans ce qu'on appelle la mort, qu'un simple dérangement d'organes; les corpuscules les plus subtils s'exhalent; la machine se dissout et se déconcerte mais en quelque endroit que la corruption ou le hasard en écarte les débris, aucune parcelle ne cesse jamais d'exister; et tous les philosophes sont d'accord pour supposer qu'il n'arrive jamais dans l'univers l'anéantissement du plus vil et du plus imperceptible atome. A quel propos craindroit-on l'anéantissement de cette autre substance très noble et très pensante que nous appelons l'ame? Comment pourroit-on s'imaginer que le corps, qui ne s'anéantit nullement, anéantisse l'ame qui est plus noble que lui, qui lui est étrangère, et qui en est absolu

ment indépendante? La désunion de ces deux êtres ne peut pas plus opérer l'anéantissement de l'un que de l'autre. On suppose sans peine que nul atome du corps n'est anéanti dans le moment de cette désunion des deux parties: pourquoi donc cherche-t-on avec tant d'empressement des prétextes pour croire que l'ame, qui est incomparablement plus parfaite, est anéantie? Il est vrai qu'en tout temps Dieu est tout puissant pour l'anéantir, s'il le veut; mais il n'y a aucune raison de croire qu'il le venille faire dans le temps de la désunion du corps, plutôt que dans le temps de l'union. Ce qu'on appelle la mort n'étant qu'un simple dérangement des corpuscules qui composent les organes, on ne peut pas dire que ce dérangement arrive dans l'ame comme dans le corps. L'ame, étant un être pensant, n'a aucune des propriétés corporelles : elle n'a ni parties, ni figure, ni situation des parties entre elles, ni mouvement ou changement de situation. Ainsi nul dérangement ne peut lui arriver. L'ame, qui est le moi pensant et voulant, est un être simple, un en soi, et indivisible. Il n'y a jamais dans un même homme deux moi, ni deux moitiés du même moi. Les objets arrivent à l'ame par divers organes, qui font les différentes sensations: mais tous ces divers canaux aboutissent à un centre unique, où tout se réunit. C'est le moi qui est tellement un, que c'est par lui seul que chaque homme a une véritable unité, et n'est pas plusieurs hommes. On ne peut point dire de ce moi qui pense et qui veut qu'il a diverses parties jointes ensemble, comme le corps est composé de membres liés entre eux. Cette ame n'a ni figure, ni situation, ni mouvement local, ni couleur, ni chaleur, ni dureté, ni aucune autre qualité sensible. On ne la voit point, on ne l'entend point, on ne la touche point; on conçoit seulement qu'elle pense et veut, comme la nature du corps est d'être étendu, divisible et figuré. Dès qu'on suppose la réelle distinction du corps et de l'ame, il faut conclure sans hésiter que l'ame n'a ni composition, ni divisibilité, ni figure, ni situation de parties, ni par conséquent arrangement d'organes. Pour le corps, qui a des organes, il peut perdre cet arrangement de parties, changer de figure, et être déconcerté : mais pour l'ame, elle ne sauroit jamais perdre cet arrangement qu'elle n'a pas, et qui ne convient point à sa nature.

V. On pourroit dire que l'ame n'étant créée que pour être unie avec le corps, elle est tellement bornée à cette société, que son existence empruntée cesse dès que sa société avec le corps finit. Mais c'est parler sans preuve et en l'air, que de suppo

ser que l'ame n'est créée qu'avec une existence en.. tièrement bornée au temps de sa société avec le corps. Où prend-on cette pensée bizarre, et de quel droit la suppose-t-on, au lieu de la prouver? Le corps est sans doute moins parfait que l'ame, puisqu'il est plus parfait de penser que de ne penser pas; nous voyons néanmoins que l'existence du corps n'est point bornée à la durée de sa société avec l'ame après que la mort a rompu cette société, le corps existe encore jusque dans les moindres parcelles. On voit seulement deux choses. L'une est que le corps se divise et se dérange; c'est ce qui ne peut arriver à l'ame, qui est simple, indivisible et sans arrangement: l'autre est que le corps ne se meut plus avec dépendance des pensées de l'ame. Ne faut-il pas conclure que tout de même, à plus forte raison, l'ame continue à exister de son côté, et qu'elle commence alors à penser indépendamment des opérations du corps ? L'opé ration suit l'être, comme tous les philosophes en conviennent. Ces deux natures sont indépendantes l'une de l'autre, tant en nature qu'en opération. Comme le corps n'a pas besoin des pensées de l'ame pour être mu, l'ame n'a aucun besoin des mouvements du corps pour penser. Ce n'étoit que par accident que ces deux êtres si dissemblables et si indépendants étoient assujettis à opérer de concert : la fin de leur société passagère les laisse opérer librement chacun selon sa nature, qui n'a aucun rap port à celle de l'autre.

VI. Enfin il ne s'agit que de savoir si Dieu, qui est le maître d'anéantir l'ame de l'homme, ou de continuer sans fin son existence, a voulu cet anéantissement ou cette conservation. Il n'y a nulle apparence de croire qu'il veuille anéantir les ames, lui qui n'anéantit pas le moindre atome dans tout l'univers; il n'y a nulle apparence qu'il veuille anéantir l'ame dans le moment où il la sépare du corps, puisqu'elle est un être entièrement étranger à ce corps, et indépendant de lui. Cette séparation n'étant que la fin d'un assujettissement à un certain concert d'opérations avec le corps, il est manifeste que cette séparation est la délivrance de l'ame, et non la cause de son anéantissement. Il faut néanmoins avouer que nous devrions croire cet anéantissement si extraordinaire et si difficile à comprendre, supposé que Dieu lui-même nous l'apprît par sa parole. Ce qui dépend de sa volonté arbitraire ne peut nous être découvert que par lui. Ceux qui veulent croire la mortalité de l'ame, contre toute vraisemblance, doivent nous prouver que Dieu a parlé pour nous en assurer. Ce n'est nullement à nous à leur prouver que Dieu ne veut

point faire cet anéantissement; il nous suffit de supposer que l'ame de l'homme, qui est le plus parfait des êtres que nous connoissons après Dieu, doit sans doute beaucoup moins perdre son existence que les autres vils êtres qui nous environnent: or l'anéantissement du moindre atome est sans exemple dans tout l'univers depuis la création; donc il nous suffit de supposer que l'ame de l'homme est, comme le moindre atome, hors de tout danger d'être anéantie. Voilà le préjugé le plus raisonnable, le plus constant, le plus décisif. C'est à nos adversaires à venir nous en déposséder par des preuves claires et décisives. Or ils ne peuvent jamais le prouver que par une déclaration positive de Dieu même. Quand un homme doit très vraisemblablement avoir pensé en faveur de son ami intime ce qu'il pense en toute occasion en faveur des derniers d'entre les hommes qui lui sont les plus indifférents, chacun est en droit de croire qu'il pense de même pour cet intime ami, à moins qu'il ne déclare le contraire. De plus, sa volonté libre et purement arbitraire ne peut être connue que par lui seul. Quand je suis libre de sortir de ma chambre ou d'y demeurer, il n'y a que moi qui puisse apprendre à mes domestiques la résolution libre que j'ai prise là-dessus pour l'un ou pour l'autre parti. Il est donc manifeste que nos adversaires devroient nous prouver par quelque déclaration de Dieu même, qu'il eût fait contre l'ame de l'homme une exception toute singulière à sa loi générale de n'anéantir aucun être, et de conserver l'existence du moindre atome. Qu'on se taise donc, ou qu'on nous montre une déclaration de Dieu pour cette exception de sa loi générale.

VII. Nous produisons le livre qui porte toutes les marques de divinité, puisque c'est lui qui nous a appris à connoître et à aimer souverainement le vrai Dieu. C'est dans ce livre que Dieu parte si bien en dieu, quand il dit: Je suis celui qui est. Nul autre livre n'a peint Dieu d'une manière digne de lui. Les dieux d'Homère sont l'opprobre et la dérision de la divinité. Le livre que nous avons en main, après avoir montré Dieu tel qu'il est, nous enseigne le seul culte digne de lui. Il ne s'agit point de l'apaiser par le sang des victimes: il faut l'aimer plus que soi; il faut ne s'aimer plus que pour lui, et que de son amour; il faut se renoncer pour lui, et préférer sa volonté à la nôtre; il faut que son amour opère en nous toutes les vertus, et n'y souffre aucun vice. C'est ce renversement total du cœur de l'homme que l'homme n'auroit jamais pu imaginer: il n'auroit jamais inventé une telle religion, qui ne lui laisse

pas même sa pensée et son vouloir, et qui le fait être tout à autrui. Lors même qu'on lui propose cette religion avec la plus suprême autorité, son esprit ne peut la concevoir, sa volonté se révolte, et tout son fond est irrité. Il ne faut pas s'en étonner, puisqu'il s'agit de démonter tout l'homme, de dégrader le moi, de briser cette idole, de former un homme nouveau, et de mettre Dieu en la place du moi, pour en faire la source et le centre de tout notre amour. Toutes les fois que l'homme inventera une religion, il la fera bien différente; l'amour-propre la dictera; il la fera toute pour lui; et celle-ci ne lui laisse rien. Celle-ci est néanmoins si juste, que ce qui nous soulève le plus contre elle est précisément ce qui doit le plus nous convaincre de sa vérité. Dieu tout, à qui tout est dû; et la créature rien, à qui rien ne doit demeurer qu'en Dieu, et pour Dieu. Toute religion qui ne va pas jusque là est indigne de Dieu, ne redresse point l'homme, et porte un caractère de fausseté tout manifeste. Il n'y a sur la terre qu'un seul livre original qui fàsse consister la religion à aimer Dieu plus que soi, et à se renoncer pour lui: les autres qui répètent cette grande vérité l'ont tirée de celui-ci. Toute vérité nous est enseignée dans cette vérité fondamentale. Le livre qui a fait connoître ainsi au monde le tout de Dieu, le rien de l'homme, avec le culte de l'amour, ne peut être que divin. Ou il n'y a aucune religion, ou celle-là est la seule véritable. De plus, ce livre si divin par sa doctrine est plein de prophéties dont l'accomplissement saute aux yeux du monde entier, comme la réprobation du peuple juif, et la vocation des peuples idolâtres au culte du vrai Dieu par le Messie. D'ailleurs ce livre est autorisé par des miracles innombrables, faits au grand jour, en divers siècles, à la vue des plus grands ennemis de la religion. Enfin, ce livre a fait tout ce qu'il dit; il a changé la face du monde; il a peuplé les déserts de solitaires qui ont été des anges dans des corps mortels; il a fait fleurir, jusque dans le monde le plus impie et le plus corrompu, les vertus les plus pénibles et les plus aimables: il a persuadé à l'homme idolâtre de soi de se compter pour rien, et d'aimer seulement un être invisible. Un tel livre doit être lu, comme s'il étoit descendu du ciel sur la terre. C'est ce livre où Dieu nous déclare une vérité qui est déja si vraisemblable par elle-même. Le même Dieu tout bon et tout puissant, qui pourroit seul nous ôter la vie éternelle, nous la promet; c'est par l'attente de cette vie sans fin qu'il a appris à tant de martyrs à mépriser la vie courte, fragile et misérable de leurs corps.

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