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une condition indispensable de leur action sur les âmes des hommes religieux qui viennent chercher au pied des autels non des distractions nouvelles, mais le recueillement, la paix, et qui veulent se fortifier par le souvenir et l'espérance des promesses divines.

Elles doivent en outre être claires et à la portée de toutes les intelligences. Les mystères des religions anciennes, familiers à un petit nombre d'initiés, expliquent l'obscurité des formes hiératiques et pourquoi les prêtres égyptiens, grecs, assyriens les enveloppaient d'épaisses ténèbres. Il ne saurait en être ainsi dans la religion chrétienne qui ne veut tromper personne, et dont le divin fondateur a apporté dans le monde la lumière, non pas pour qu'elle soit mise sous le boisseau, mais pour qu'elle brille aux yeux de tous. Les symboles chrétiens doivent donc être clairs et sans ambages. Les actes de la foi, les formules de la prière ont un sens précis et des objets déterminés. Leur expression ne peut être fidèle qu'autant qu'elle portera un cachet de vérité tel qu'on puisse appliquer au chant liturgique cette assertion d'un excellent écrivain (1) : Il n'y a qu'une seule manière d'exprimer une chose, c'est la bonne.

Le plain-chant répond-il à nos sentiments religieux comme œuvre d'art? a-t-il pour lui l'autorité de l'histoire et de la tradition? est-il raisonnable et utile aux intérêts de la religion de l'employer dans les offices divins à l'exclusion presque absolue des autres formes de la musique? Nous espérons que le plainchant sortira victorieux de cette triple épreuve à laquelle nous l'avons soumis.

Pour faire ressortir l'autorité du chant de l'Église catholique et pour démontrer sa supériorité sur tout autre genre de musique, nous avons fait connaître dans un premier chapitre l'antiquité de ses origines, les circonstances et les causes de son adoption dès les premiers siècles du christianisme. Nous avons défini sa nature, sa constitution tonale et son application aux différentes parties du culte public.

(1) Montaigne (Essais).

De même qu'une histoire de la musique profane ne saurait être complète, si elle ne comprenait pas la musique dramatique, les opéras et les compositions lyriques, nous avons fait connaître les principales solennités dans lesquelles, pendant le cours du moyen âge, la musique religieuse a occupé une place importante. Dans les drames liturgiques, c'est-à-dire dans l'interprétation des faits évangéliques au moyen des cérémonies, de la poésie et du chant, on ne pourra s'empêcher de constater les formes graves de la piété de nos pères. La plupart des auteurs qui ont traité ce sujet ont cherché à satisfaire la curiosité de leurs lecteurs en faisant connaître les détails plus ou moins piquants, plus ou moins grossiers de ces représentations, en relevant avec une indignation souvent trop affectée pour être sincère, les inconvenances, le mauvais goût, les anachronismes, la licence, les excès auxquels elles donnaient lieu. Sous ce rapport, le seizième siècle s'est tout d'abord offert à leurs regards, et le quinzième leur a fourni un ample répertoire de scandaleux abus propres à nourrir des préjugés invétérés contre la société chrétienne du moyen âge tout entière. En remontant plus haut que cette triste époque de décadence morale, en étudiant surtout les détails de ces représentations dans les Antiphonaires en quelque sorte officiels et autorisés, on ne rencontre nulle part ces scènes burlesques et ridicules qui ont motivé beaucoup plus tard leur suppression. L'immixtion de l'élément laïque dans les formes extérieures du culte leur a fait perdre leur caractère et leur heureuse influence. D'ailleurs c'est dans les cathédrales et dans les grands monastères qu'il faut étudier toutes ces choses, et non pas au milieu des populations des campagnes chez lesquelles, au moyen âge comme de nos jours, on ne peut s'attendre à voir les règles du goût et des convenances bien rigoureusement observées. Pendant les quinze années que nous avons consacrées à l'étude comparée des arts religieux à différentes époques et chez différents peuples, nous avons acquis la conviction que les formes de la piété ont été plus graves, mieux raisonnées et en réalité plus raisonnables en France qu'en aucun autre pays.

Après avoir suffi pendant de longs siècles à l'expression des sentiments religieux de la société catholique dans l'occident, le plain-chant s'est vu sinon détrôné par un art rival, du moins menacé par lui d'une ruine complète. A ses formes sévères et consacrées par l'usage de nombreuses générations a succédé une musique nouvelle, dont les éléments sont essentiellement variables de leur nature parce qu'ils doivent subir les influences de l'art profane. Nous avons tracé un tableau des premiers commencements de cette musique, de son épanouissement au seizième siècle, de ses développements excessifs au dix-huitième jusqu'à nos jours, et nous espérons avoir démontré ses dangers, ses défaillances, comme aussi son impuissance pour exprimer les prières de la liturgie et son inefficacité sur les âmes au point de vue strictement religieux. L'histoire, la tradition, l'examen des ressources de cette musique et de leur emploi presque général nous ont servi pour établir notre thèse sur des bases qui nous ont paru solides.

Le chant collectif est éminemment propre à conserver dans le temple l'égalité des hommes devant Dieu. Or le plain-chant est la seule musique susceptible d'une popularité durable. Il s'adresse également et avec la même force aux classes éclairées et aux classes ignorantes. Il exerce sur le riche et le pauvre, l'homme le plus civilisé et le paysan le plus simple les mêmes effets. Pourquoi ? parce qu'il exprime fidèlement des pensées communes à tous; parce qu'il rappelle cette égalité des âmes rachetées par le Christ. L'Église est comme le lieu de rendezvous des événements principaux de la vie humaine, de ceux qui rappellent à l'homme qu'il est sur le seuil de l'éternité, de ceux qui le ramènent à la méditation des impénétrables mystères de la vie et de la mort. Il s'y accomplissent, quant au fond, avec la plus complète égalité. Les formalités et les cérémonies qui entourent le baptême d'un prince ne modifient en rien le sacrement lui-même et n'augmentent pas l'efficacité des prières du Rituel. Sous la bénédiction du prêtre, une rivière de diamants étincelante sur le front d'une fiancée n'ajoute rien au symbole exprimé par une simple couronne de fleurs d'oranger. Le mau

solée construit à grands frais, enrichi de marbres précieux, chargé de sculptures, d'inscriptions et d'emblèmes lugubres, n'exprime pas avec plus d'éloquence l'amertume des regrets, la douleur de la séparation d'un être aimé que la croix de bois noire achetée à la porte du cimetière.

La plupart des ouvrages de l'art musical moderne ne peuvent être compris, appréciés et goûtés sans une éducation préalable. D'ailleurs ils ne naissent pas spontanément. Ils sont sollicités par les circonstances. Sans l'espérance de faire partager à un public plus ou moins restreint ses propres impressions, et de trouver dans des applaudissements un encouragement sympathique, l'artiste resterait oisif et la source de ses inspirations serait bientôt tarie. L'art est communicatif et éminemment sociable. Tout artiste attend donc du public un jugement de son œuvre. Il en résulte que celle-ci se ressent presque toujours de la qualité de celui-là. Si l'artiste a en vue un auditoire grossier, ignorant, facile à entraîner quand on s'adresse à ses vices ou tout au moins à ses défauts de prédilection, on sait à quelles bassesses l'art peut descendre pour captiver ses suffrages.

Si au contraire l'artiste sait que son œuvre fixera l'attention d'une société d'élite, d'esprits éclairés par le commerce habituel des œuvres de l'intelligence, qu'il s'adressera à des âmes élevées au-dessus des préjugés vulgaires et ayant un jour ouvert sur le monde des idées, c'est alors qu'encouragé, stimulé par l'espérance d'une gloire digne de son ambition, il fera de grands efforts et pourra produire des œuvres remarquables. Le succès populaire pourra même ne pas lui faire défaut. Préparé en haut, il descendra en grandissant jusqu'aux humbles degrés de l'échelle sociale. Les princes de l'Italie ont favorisé l'essor des artistes de génie qui ont joui depuis d'une célébrité universelle, tels que Michel-Ange, Raphaël, Léonard de Vinci, Titien, comme aussi Palestrina, Pergolèse, Scarlatti, Allegri et la plupart des compositeurs de la féconde école napolitaine. Les princes électeurs et d'autres membres de la noblesse allemande en ont fait autant pour Haydn, Mozart et même Beethoven. Malgré les luttes

et les rivalités inséparables de la vie humaine, ces artistes ont profité d'une organisation sociale beaucoup plus favorable que la nôtre aux progrès des arts, et on peut tenir pour certain qu'ils n'auraient pas facilement trouvé les occasions de développer leurs facultés dans notre société démocratique. L'art musical depuis le seizième siècle jusqu'à l'avénement des classes moyennes a été aristocratique. Les compositeurs comme les poëtes écrivaient alors pour des individus, et fort indirectement pour le public. De nos jours c'est pour le public qu'on écrit. Au lieu de l'élever à la hauteur de leurs inspirations, le poëte et l'artiste descendent jusqu'à lui, le flattent, et, de sacrifices en sacrifices, arrivent à n'être que des échos complaisants de ses passions et de ses instincts bons ou mauvais.

Il y a cependant des génies créateurs qui, par des combinaisons nouvelles des jeux de la nature et des lois du beau, ne prennent le mot d'ordre d'aucun public, marchent hardiment les premiers et imposent aux spectateurs ou aux auditeurs de leurs ouvrages l'admiration des produits de leur conception idéale. Mais Dieu ne semble pas permettre à un homme par siècle d'user d'une telle puissance.

La musique religieuse et véritablement liturgique ne saurait être subordonnée à d'aussi incertaines fluctuations. Elle doit être impersonnelle pour être populaire. Elle doit s'adresser à tous, répondre aux facultés physiques et morales de tous et se maintenir constamment au-dessus des caprices de la mode et du goût changeant des hommes.

Quels que soient les priviléges qu'on accorde aux arts, aux coutumes des peuples, aux dévotions particulières, à l'organisation et au goût de chacun, il ne faut pas cependant jouer sur les mots. On ne prie pas en dansant, on ne prie pas en excitant le jeu de ses nerfs par un rhythme vif, on ne prie pas en proférant des sons inarticulés, ou ne prie pas en exécutant des roulades mélodieuses ni en formant les accords compliqués d'une harmonie à deux chœurs et à huit parties. En faisant ces choses fort innocentes en elles-mêmes, souvent belles, utiles et louables, vous faites de la musique, mais vous ne priez pas.

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