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IX

Sécurité contre les abus.

Toutes les choses humaines sont susceptibles d'abus et de dégénérescence; elles sont cependant loin de l'être toutes au même degré. Dans une entreprise humaine, l'ordre et la discipline systématique sont des garanties contre les abus; or nous savons tous que le chant grégorien, comme le cérémonial des offices, forme un système parfait. Ce système est contenu dans deux grands infolio de musique qui embrassent tout l'office canonial; il existe en outre une suite de règles qui fixent les moindres détails des cérémonies. L'art moderne, au contraire, n'a aucun système, aucune règle. Il est dans la pratique entièrement livré au caprice et au goût de chacun. L'un préfère Haydn, l'autre Mozart; celui qui aura fait quelques voyages à l'étranger rapportera ce qu'il a entendu de plus nouveau en France, en Allemagne et en Italie. Nous n'insisterons pas ici sur le petit nombre des fêtes liturgiques qui sont interprétées par les œuvres modernes, mais sur l'absence complète de tout système dans l'emploi de cette musique dont le choix dépend entièrement du goût et de la fantaisie de chaque per

sonne.

Il est vrai que l'Épouse du Christ est entourée de variété (circumdata varietate); mais l'Église de Dieu est aussi le royaume d'un Dieu d'ordre; et nous croyons qu'entre la variété caractéristique d'un pareil royaume et la variété introduite dans le culte par la prédominance anarchique du goût musical individuel, la différence est grande.

Les défenseurs même les plus zélés de la musique moderne ont senti combien cette absence de tout système était favorable à l'introduction d'abus de toute espèce, et un écrivain de mérite a prétendu que l'usage obligatoire de l'orgue, à l'exclusion de tout instrument d'orchestre, surtout du violon, offrait une ga

rantie suffisante. Mais il n'est pas facile de voir quel principe on invoquerait pour exclure de l'église la musique instrumentale quand le système musical tout entier de l'art moderne a pour base le principe de l'omnipotence du goût individuel. Il reste à savoir si même dans ce cas l'orgue est un instrument aussi irréprochable qu'on voudrait nous le faire croire.

Écoutons ici un témoin pris dans l'Église anglicane où, d'après l'écrivain cité ci-dessus, l'orgue serait un instrument à l'abri de tout reproche. Dans le numéro de juillet 1846 de l'Ecclésiastique, journal puséiste, nous trouvons les lignes suivantes : « Ces grands saints (Ambroise et Grégoire) auraient trouvé intolérable la prétention d'augmenter l'effet des Psaumes au moyen d'un habile emploi des jeux de l'orgue. Qu'auraient-ils pensé de cette ridicule imitation du bruit des flots, du fracas du tonnerre, de la chute de la grêle, des rugissements des lions courant après leur proie, du chant des oiseaux dans les forêts exprimé par le tur lu tu tu des petits tuyaux? Un poëte païen pourrait donner à ces messieurs une leçon et leur apprendre le respect que l'on doit aux choses saintes. Virgile semble regarder comme un point fondamental de la piété de ne pas chercher à imiter le fracas de la foudre que lancent les Dieux (1). Que le véritable tonnerre vienne à se faire entendre au milieu d'une de ces puériles tempêtes d'orgues et nous sentirons de suite combien une telle imitation est profane.>> Nous pouvons donc sans injustice demander si l'orgue devient le gardien de la modération et de la gravité de la musique moderne? Qui pourra prémunir l'orgue lui-même contre les abus que l'on pourrait en faire?

.... Quis custodiet ipsum Custodem ?

A l'époque du concile de Trente la musique moderne offrait de grands abus; cependant les Pères de ce concile s'abstinrent de la proscrire entièrement. Ils en permirent tacitement l'usage puis

(1) Virgile, Enéide, VI, v. 585.

qu'elle existait, et qu'elle ne pouvait être supprimée sans un danger sérieux. Pour ce qui est du point de vue favorable sous lequel l'envisagèrent quelques Évêques du concile et d'autres hommes éminents, grands admirateurs de la musique, nous devons nous rappeler que leur approbation a toujours été conditionnelle et subordonnée à cette clause : « que cette musique soit grave et décente; qu'elle ne dénature pas le sens des paroles saintes et qu'elle n'ait rien de commun avec la musique de théâtre (1). » D'autres témoignages prouvent encore que la musique moderne est loin d'être restée fidèle à ces conditions (2).

Quand les musiciens plaident la cause de la musique moderne, ce n'est pas la musique telle qu'elle est qu'ils défendent, mais cette musique que leur esprit conçoit. Le défenseur du chant du Rituel qui rejette la musique moderne, ne le ferait certainement pas si tous les organistes et les chanteurs étaient des David ou des fils d'Asaph: il agit ainsi parce qu'il sait ce qu'elle est, ce qu'elle a été, ce qu'elle sera d'après le témoignage des auteurs et des voyageurs et parce qu'il prévoit qu'elle sera la même jusqu'à la fin des siècles. Le premier conçoit dans son esprit les harmonies du ciel et les chœurs des anges; il croit y atteindre par les moyens terrestres. Il est ébloui par une vision de gloire, et, oubliant que la terre est peuplée de pécheurs, il croit arriver d'emblée à la perfection de la musique céleste. Le second n'oublie pas la triste réalité de ce qui existe; il se rappelle les églises qu'il a fréquentées, où il a entendu les accords du théâtre, le violon, le cor, les timbales; où il a entendu un chant de bayadères plutôt qu'un chant de pieux adorateurs du Seigneur, un chant d'idolâtres plutôt que les accents d'hommes ayant foi dans les mystères auxquels ils assistent (3).

Nous demanderons ici, après avoir constaté les caprices infinis de l'esprit humain, si on peut attendre du principe de la suprématie du goût individuel autre chose que la confusion et le désordre ;

(1) Benoît XIV, Lettre encyclique.

(2) L'évêque Lindanus, Lettre encyclique au sujet de la musique religieuse; Salvator Rosa, le célèbre artiste du XVIe siècle (Danjou, Revue de musique, troisième année, p. 119); Gerbert, Préface du De musica sacra.

(3) Voyez Homère, Iliade, B, 111; Hudibras, canto 11, book II.

et, après avoir démontré que la musique religieuse doit être regardée comme devant accomplir les vues d'un Dieu d'ordre, nous demanderons encore si on prétend réaliser la pensée divine, en rejetant les garanties d'un ordre et d'un système déterminés et en abandonnant tout au hasard du caprice des individus.

X

Dernier point de la comparaison. Catholicité du chant ecclésiastique. alliance aux doctrines catholiques dans l'univers entier.

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Ce dernier point, qui est loin d'être le moins important aux yeux de ceux qui réfléchissent avec attention, peut heureusement se prouver en peu de mots. Le prophète Malachie prédit que de l'Orient à l'Occident le nom de Dieu sera grand parmi les gentils, et qu'une offrande pure (munda oblatio) lui sera offerte. La prédiction est accomplie, car les missionnaires ont fait connaître le saint sacrifice de la Messe à toute la terre. Si donc il existe un chant qui a toujours fidèlement accompagné la célébration de ce saint sacrifice partout où il a pénétré, qui a toujours existé quand on l'a offert, qui a survécu aux générations passées, qui n'a pas varié, qui est toujours ce qu'il a été jadis, qui est le même pour les prêtres de toutes les nations; si ce chant existe, on doit admettre qu'il est le chant authentique et réel du royaume du Christ. Or tel est le chant du Rituel qui, du moins dans ses parties les plus connues, a pénétré par toute la terre. Un voyageur français trouvant en Russie le chant grégorien commun à l'Église grecque et à l'Église latine, en parle comme d'un chant faisant partie du dogme catholique, et ces traditions lui paraissent aussi concluantes que les traditions de la foi (1).

Si le partisan de la musique moderne ne peut nous citer aucun fait analogue en faveur de sa cause, s'il est obligé d'avouer que cette musique est exclusivement en usage chez les peuples Euro

(1) L'Ecclésiastique, journal du clergé anglican (juillet 1846).

péens par leur origine ou par leur éducation, et qu'elle n'existe ni pour le Caffre de l'Afrique, ni pour le Tartare de l'Asie, encore moins pour le sauvage de l'Australie, l'homme rouge de l'Amérique, les Esquimaux, etc.; enfin qu'elle est un luxe réservé à l'Européen, on ne peut douter que, sous ce dernier point de vue, le chant du Rituel ne soit la seule musique qui réalise la pensée divine.

CHAPITRE III

Réponse à quelques objections populaires contre le chant
grégorien.

I. On prétend que le système du plain-chant a des intonations défectueuses et l'on suppose qu'il a été imposé aux fidèles par suite de l'insuffisance des éléments musicaux en usage dans les temps reculés. Si cette objection n'est pas spécieuse, elle veut dire que les huit modes du chant grégorien sont des inventions d'hommes sans goût et peu versés dans la science musicale. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer ce qui n'est pas généralement compris, c'est-à-dire quelle est, sous le rapport musical, la différence qui existe entre l'art moderne et le chant grégorien. Il suffira de dire qu'ils ont tout au plus autant d'analogie que deux langues qui possèdent un alphabet commun. A cette objection, que les modes du chant grégorien sont défectueux, on peut répondre que plusieurs auteurs se sont appliqués à étudier les modes pour pouvoir mieux juger de leur caractère et de leurs beautés (1), et que le lecteur devra consulter leurs travaux. Les musiciens modernes se trouvent embarrassés par les témoignages

(1) Adam de Fulde (vers cités par Gerbert); le Père Martini, Hist. de la musique, C. H. C. Spencer (préface); Mortimer de Berlin (der Choralgesang).

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