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quer le concours de la religion aussitôt qu'elle a pu se croire définitivement assise. Le 9 décembre 1850, tous ses membres s'assemblaient dans la gothique cathédrale de Rouen pour assister à une cérémonie dont la présence de Mgr l'archevêque rehaussait encore le caractère. Les centsoixante ouvriers de l'Alliance avaient demandé euxmêmes à l'archevêché une messe du Saint-Esprit en faveur de l'œuvre dont ils attendaient assistance dans les épreuves de la vie. Le sermon prêché en cette circonstance par M. l'abbé Neveu, un des membres honoraires fondateurs de la Société, mêlait à la pensée chrétienne des considérations d'économie sociale. Comme ce point de vue était nouveau dans la chaire catholique, il n'est pas sans intérêt de voir comment le prédicateur savait réunir des idées prises dans le mouvement actuel de la société aux immuables enseignements de la doctrine évangélique. Abordant la question de savoir si les sociétés de secours mutuels pouvaient admettre le concours désintéressé de membres honoraires, l'orateur s'exprimait ainsi :

« Je ne comprendrais pas plus (les ouvriers qui se refuseraient de s'associer à cette œuvre, parce qu'elle aurait appelé des patrons, que les riches qui se refuseraient à un patronage si légitime. Aux uns, je dirais : «C'est un orgueil insensé ! » Aux autres, je crierais de toutes mes forces: « C'est un égoïsme impardonnable! » Aux premiers, dont on voudrait effaroucher l'honnête susceptibilité, en leur faisant voir dans l'offrande des patrons une aumône qui la blesse, nous dirons: «On vous trompe, ou vous vous trompez. L'aumône est un don purement gratuit, une envoyée de la charité qui ne connaît point de retour vers son maître, une offrande spontanée qui ne laisse après elle dans le cœur qui la reçoit que le sentiment de la reconnaissance renvoyant à Dieu seul l'obligation de la restituer dans les cieux...D

Puis, après avoir établi la convenance et la raison de l'institution, le prédicateur poursuivait en ces termes:

Cette œuvre ne se recommande pas moins par les avantages qu'elle promet à l'ouvrier. L'homme, vous le savez, ne vit pas tant du présent que de l'avenir. Montez l'un après l'autre tous les degrés de l'échelle sociale; demandez aux hommes de tous les états au-dessus de la classe ouvrière d'où leur vient, dans leurs travaux ou leurs affaires, cette activité qui ne sait point se reposer; quelle puissance invisible souffle et conserve dans leur àme cette énergie qui ne cède à aucun obstacle, cette patience qui porte si volontiers le poids du jour et de la chaleur, cette abnégation de soi-même qui subit tant de privations, cette volonté persistante qui traverse tant d'obstacles et dévore tant d'amertumes! Serait-ce le besoin du moment, du pain de chaque jour?' Sans doute, il a bien sa part d'inspiration et d'influence; mais il n'est pas en chacun d'eux le premier moteur qui met en mouvement sa tête, son cœur et son bras, le plus puissant levier qui l'aide à soulever son fardeau; l'espérance de l'avenir, la vision consolante du repos après le travail, du fauteuil d'honneur où il doit un jour s'asseoir au milieu de ses enfants, et manger avec eux le pain qu'il a gagné d'avance, d'une viellesse couronnée par la reconnaissance de sa famille et le respect de ses concitoyens ; l'assurance d'avoir assez mérité de vivre pour ne laisser à aucun de ceux qui l'entourent la cruelle pensée de désirer sa mort; enfin l'espérance de ne pas mourir tout entier, et d'avoir attaché un souvenir de bénédiction à tous les objets de son riche ou modeste héritage! Voilà ce qui donne l'activité à son intelligence et le courage à son cœur. Otez-lui cette espérance, cette seconde vue qui se plaît tant à fixer ce riant avenir, puis regardez autour de vous, et Vous verrez que de courages vont s'abattre, que de mains, auparavant si actives, sont devenues tout à coup lentes et

paresseuses, et partant que de fortunes, hier si grandissantes, vont descendre à la modique aisance, l'aisance au strict nécessaire et peut être à l'insuffisance. Ainsi le veut notre nature, ainsi en serait-il du plus grand nombre. Or, n'est-ce pas là forcément le triste sort de l'ouvrier dans les conditions ordinaires de son existence? Qu'il travaille aujourd'hui pour apaiser sa faim et celle de ses enfants; demain, pour qui travaillera-t-il? pour la faim du lendemain comme pour celle de la veille. Qu'il n'aille pas se demander pourquoi il doit travailler encore dans un an, pendant les trente ou quarante années que dureront sa santé et ses forces; toujours il verra devant lui ce hideux fantôme de la faim, absorbant chaque jour son salaire tout entier!...

< Or il dépend de vous de changer pour lui cet horizon ŝinistre en une douce et riante perspective, d'y faire luire à ses yeux sa part de bonne espérance qui doit le rattacher à la vie et au bonheur; montrez-lui, derrière son travail, au soleil couchant de sa pénible carrière, la chaumière prête à recevoir ses membres fatigués, un morceau de pain que personne ne pourra lui reprocher, sa vieillesse assise dans la paix à l'ombre de sa petite retraite, une épouse consolant ses dernières douleurs, des enfants rangés autour de lui comme des plans d'olivier sous l'ormeau qui les a vus grandir, et pleurant près de leur père en le voyant mourir. Oh! la douce espérance! Quel baume vivifiant il sentira couler dans son cœur et rafraîchir son sang dans ses veines. Oui, devant lui et pendant l'heure du travail, comme aux yeux du nautonier apparaîtra le phare du port natal à travers la tempête, cet avenir est là qui l'appelle, qui lui crie avec le roi prophète : «Courage, bon serviteur! encore quelques années de courage et de peines, et tu seras heureux. Si le présent te paraît dur, un jour tu pourras te reposer dans mon sein, je serai bon pour toi. Labores manuum tuarum quia manducabis, beatus es et bene

tibi erit. Enfin, il sait qu'il doit mourir; mais il sait aussi que sa mémoire ne s'éteindra pas dans son dernier soupir, qu'il ne descendra point dans la tombe sans emporter sa part de regrets et d'honneur ; il sait que, derrière son cercueil, deux cents amis viendront rendre hommage à sa vie tout entière et attester par leur présence qu'ils ont perdu un ami vertueux, sa famille un bon père, et la société un membre honorable qui a bien mérité de son estime et de sa reconnaissance : il sait enfin qu'on doit prier pour lui, et d'avance, il se résigne à mourir......... »

Telles sont les espérances et les consolations qu'un ministre de l'Évangile rattachait à l'institution des sociétés de secours mutuels pour ceux qui étaient appelés à profiter directement de ses avantages. «N'ai-je donc rien à promettre, ajoutait-il, à ceux qui la protégent? Je ne vous dirai pas qu'elle est, de toutes les bonnes œuvres, celle qui s'harmonise le mieux peut-être avec les besoins de l'époque; je n'en ferai point sortir l'intéressant tableau des préjugés vaincus, de la défiance qui s'en va pour faire place à la reconnaissance, des mains prêtes à tirer l'épée qui se lèveront au ciel pour bénir leurs patrons, de la sécurité que vous assure le gage d'estime et d'intérêt que vous déposez entre leurs mains; ce serait imputer tout à la fois à l'honnête ouvrier des intentions coupables que son honneur repousse, et à vous un sentiment de peur que vous ne connaissez pas. J'aime mieux élever vos pensées au-dessus de la terre et vous montrer dans les mains de Dieu la récompense de votre sacrifice. »

Un double appel terminait ces doubles exhortations: « Vous viendrez donc, disait le prédicateur, à cette nouvelle banque où Jésus-Christ lui-même s'est assis pour recevoir vos dons et payer au centuple l'intérêt de ce que vous prêterez à ses frères; vous viendrez les aider à reconstruire cette ruche qui, sans vous, menace de s'écrouler

encore; à élargir et à combler ces alvéoles que leur insuffisance a laissées vides du miel qu'ils s'en étaient promis. Vous viendrez, vous aussi, ouvriers de cette ville, en qui l'honneur, l'amour de la famille, et l'horreur de la mendicité, désormais si honteuse parce qu'elle serait sans excuse, éveillent en ce moment de glorieux instincts, la noble émulation de manifester vos droits à l'estime de vos concitoyens et au bonheur d'une vie honorable et sans reproches; vous viendrez déposer votre part d'économie dans ce trésor de prévoyance qui doit vous garantir le bien-être et la paix. ».

C'était bien là le christianisme, revendiquant une institution éclose jadis sous son aile, et cherchant à en tirer des moyens pour la pacification des âmes. Le même sentiment éclate à un très-haut degré dans une société de secours mutuels, existant aussi à Rouen, comme l'Alliance. sous le nom de Société d'émulation chrétienne. Cette association a pris pour épigraphe ces mots de la Bible: «Soyez charitables selon vos moyens. Dieu qui voit les actes de bienfaisance n'en perdra pas le souvenir, et au moment de la chute, l'homme charitable trouvera un appui.» Fidèle à cette devise, l'institution dévoile, dès le début de son réglement, le principe chrétien qui l'anime : « Tous les membres s'aimeront en Dieu, y est-il dit, assisteront leurs frères malades, leur porteront des consolations dans leurs souffrances et les accompagneront jusqu'à leur dernière demeure. En un mot, ils feront à leurs frères ce qu'ils voudraient qu'on leur fit à eux-mêmes. » Un peu plus loin, on ajoute que la société s'efforce d'engager ses membres à mettre en pratique les belles maximes de la religion chrétienne. On déclare qu'elle ne veut admettre dans son sein. que de bons maris, de bons pères et de bons fils; qu'elle refuse de s'affilier ceux qui par leurs fautes sont en mauvais rapports avec leurs supérieurs, les hommes sans mœurs

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