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la Règle elle-même, accordèrent aux religieux la liberté de boire sur le soir un coup de vin avant les Complies, afin de restaurer leurs forces épuisées par les fatigues de la journée. Ce soulagement se prenait en commun, et au moment où l'on faisait la lecture du soir appelée Conférence, en latin Collatio, parce qu'elle consistait principalement à lire les célèbres Conférences (Collationes) de Cassien de la vint le nom de Collation donné à cet adoucissement du jeûne monastique.

Dès le 1x siècle, nous voyons l'Assemblée d'Aixla-Chapelle de 817 1, étendre aux jeûnes même du Carême cette liberté, à raison de la grande fatigue qu'éprouvaient les moines dans les Offices divins. de ce saint temps. Mais on remarqua dans la suite que l'usage de cette boisson pouvait avoir des inconvénients pour la santé, si l'on n'y joignait pas quelque chose de solide; et du xive au xve siècle, l'usage s'introduisit de donner aux religieux un léger morceau de pain qu'ils mangeaient en prenant le coup de vin qui leur était accordé à la Collation.

Ces adoucissements du jeûne primitif s'étant introduits dans les cloîtres, il était naturel qu'ils s'étendissent bientôt aux séculiers eux-mêmes. La liberté de boire hors de l'unique repas s'établit peu à peu ; et dès le XIe siècle saint Thomas, examinant la question de savoir si la boisson rompt le jeûne, la résout négativement 2; toutefois, il n'admet pas encore que l'on puisse joindre à cette boisson une nourriture solide. Mais lorsque, dès la fin du XIIIe siècle et dans le cours du xive, le repas eut été, sans retour, avancé à midi, une simple bois

1. Convent. Aquisgran., cap. xII. LABB. Conc., tom. VII. 2. In IV. Quæst. CXLVII, art. 6.

son dans la soirée ne pouvait plus suffire pour soutenir les forces du corps; ce fut alors que l'usage de prendre du pain, des herbes, des fruits, etc., outre la boisson, s'introduisit à la fois dans les cloîtres et dans le siècle, à la condition cependant d'user de ces aliments avec une telle modération que la collation ne fût jamais transformée en un second repas.

Telles furent les conquêtes que le relâchement de la ferveur, et aussi l'affaiblissement général des forces chez les peuples occidentaux obtinrent sur l'antique observance du jeûne. Toutefois, ces envahissements ne sont pas les seuls que nous ayons à constater. Durant de longs siècles l'abstinence de la viande entraînait l'interdiction de tout ce qui provient du règne animal, sauf le poisson, qui a toujours été privilégié à cause de sa nature froide, et pour diverses raisons mystérieuses fondées sur les saintes Ecritures. Les laitages de toute espèce furent longtemps prohibés; et aujourd'hui encore le beurre et le fromage sont défendus à Rome, tous les jours où n'a pas été donnée la dispense pour manger de la viande.

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Dès le Ix° siècle, l'usage s'établit dans l'Europe occidentale, particulièrement en Allemagne et dans les pays septentrionaux, d'user des laitages en Carême; le concile de Kedlimbourg, au x1o siècle, s'efforça en vain de le déraciner 1. Après avoir essayé de légitimer cette pratique, au moyen de dispenses temporaires qu'elles obtenaient des souverains pontifes, ces Eglises finirent par jouir paisiblement de leur coutume. Jusqu'au xvi° siècle, les Eglises de France maintinrent l'ancienne rigueur, qui paraît n'avoir cédé tout à fait que

I. LABB. Concil., tom. X.

dans le xvii. En réparation de cette brèche faite à l'ancienne discipline, et comme pour compenser par un acte pieux et solennel le relâchement qui s'était introduit sur cet article des laitages, toutes les paroisses de Paris, auxquelles se joignaient les Dominicains, les Franciscains, les Carmes et les Augustins, se rendaient en procession à l'Eglise de Notre-Dame, le Dimanche de Quinquagésime; et ce même jour, le Chapitre métropolitain, avec le clergé des quatre paroisses qui lui étaient sujettes, allait faire une station dans la cour du Palais, et chanter une Antienne devant la relique de la vraie Croix qui était exposée dans la Sainte-Chapelle. Ces pieux usages, qui avaient pour but de rappeler l'ancienne discipline, ont duré jusqu'à la Révolution.

Mais la concession des laitages n'entraînait pas la liberté d'user des œufs en Carême. Sur ce point, l'ancienne règle est demeurée en vigueur; et cet aliment n'est jamais permis que selon la teneur de la dispense qui peut être donnée annuellement. A Rome, les œufs demeurent toujours prohibés, les jours où la dispense pour user de la viande n'a pas été octroyée; en d'autres lieux, les œufs permis à certains jours demeurent interdits en d'autres, et particulièrement dans la Semainte sainte. On voit que partout l'Eglise, préoccupée du bien spirituel de ses enfants, a cherché à maintenir, dans leur intérêt, tout ce qu'elle a pu conserver des salutaires observances qui doivent les aider à satisfaire à la justice de Dieu. C'est en vertu de ce principe que Benoît XIV, alarmé de l'extrême facilité avec laquelle dès son temps les dispenses de l'abstinence se multipliaient de toutes parts, a renouvelé par une solennelle Constitution, en date du 10 juin 1745, la défense de servir sur la même

table du poisson et de la viande aux jours de jeûne.

Ce même Pontife, que l'on n'a jamais accusé d'exagération, adressa dès la première année de son pontificat, le 30 mai 1741, une Lettre Encyclique à tous les Evêques du monde chrétien, dans laquelle il exprime avec force la douleur dont il est pénétré à la vue du relâchement qui déjà s'introduisait partout au moyen des dispenses indiscrètes et non motivées. « L'observance du Carême, « disait le Pontife, est le lien de notre milice; <«< c'est par elle que nous nous distinguons des <«< ennemis de la Croix de Jésus-Christ; par elle « que nous détournons les fléaux de la divine «< colère; par elle que, protégés du secours céleste << durant le jour, nous nous fortifions contre les princes des ténèbres. Si cette observance vient « à se relâcher, c'est au détriment de la gloire de « Dieu, au déshonneur de la religion catholique, « au péril des âmes chrétiennes; et l'on ne doit

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pas douter que cette négligence ne devienne la << source de malheurs pour les peuples, de désas<«<tres dans les affaires publiques et d'infortunes « pour les particuliers 1.

Un siècle s'est écoulé depuis ce solennel avertissement du Pontife, et le relâchement qu'il eût voulu ralentir est toujours allé croissant. Combien compte-t-on dans nos cités de chrétiens strictement fidèles à l'observance du Carême, en la forme pourtant si réduite que nous avons exposée? Ne voyons-nous pas chaque année les Pasteurs des Eglises publier des dispenses générales toujours plus étendues, et en même temps le nombre de ceux qui s'astreignent à ne pas dépasser ces dis

1. Constitution : Non ambigimus.

penses diminuer de jour en jour? Où nous conduira cette mollesse qui s'accroît sans fin, si ce n'est à l'abaissement universel des caractères et par là au renversement de la société ? Déjà les tristes prédictions de Benoît XIV ne sont que trop visiblement accomplies. Les nations chez lesquelles l'idée de l'expiation vient à s'éteindre défient la colère de Dieu; et il ne reste bientôt plus pour elles d'autre sort que la dissolution ou la conquète. De pieux et courageux efforts ont été faits pour relever l'observation du Dimanche, au sein de nos populations asservies sous l'amour du gain et de la spéculation. Des succès inespérés sont venus couronner ces efforts; qui sait si le bras du Seigneur levé pour nous frapper ne s'arrêtera pas, en présence d'un peuple qui commence à se ressouvenir de la maison de Dieu et de son culte ? Nous devons l'espérer; mais cet espoir sera plus ferme encore, lorsque l'on verra les chrétiens de nos sociétés amollies et dégénérées rentrer, à l'exemple des Ninivites, dans la voie trop longtemps abandonnée de l'expiation et de la pénitence.

Mais reprenons notre récit historique, et signalons encore quelques traits de l'antique fidélité des chrétiens aux saintes observances du Carême. Il ne sera pas hors de propos de rappeler ici la forme des premières dispenses dont les annales de l'Eglise ont conservé le souvenir: on y puisera un enseignement salutaire.

Au XIe siècle, l'archevêque de Brague recourait au Pontife Romain, qui était alors le grand Innocent III, pour lui faire savoir que la plus grande partie de son peuple avait été obligée de se nourrir de viande durant le Carême, par suite d'une disette qui avait privé la province de toutes les provisions ordinaires; le prélat demandait au

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