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Attentats du Saint - Office contre la constitution politique d'Aragon.

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I. Tous les évènemens dont je viens de parler avaient été occasionnés par le procès d'Antoine Perez; mais leur véritable cause fut le grand attachement des Aragonais pour un privilége que Philippe II voulait anéantir comme mettant des bornes à son despotisme; ils n'avaient pas oublié que ce prince se servait de l'Inquisition pour des vues politiques, et ils se tenaient sur leurs gardes, instruits par des tentatives faites vingt ans auparavant, et dont je crois qu'il est bon d'instruire le lecteur.

II. Pendant que D. Mathias de Moncayo commandait dans la ville de Téruel, avec le titre de capitaineprésident, et que D. Bernard de Bolea, vice-chancelier du royaume d'Aragon, était dans cette ville en qualité de commissaire du roi, pour y régler quelques points relatifs à ses priviléges municipaux et à ceux de son district, le roi révoqua un droit que les habitans avaient acquis de Charles V pour la somme de deux mille écus, qui leur fut remboursée. Les jésuites songeaient alors à établir un collége à Téruel : D. Bernard de Bolea, excité par le père Roman , proposa d'employer cette somme à la reconstruction d'une église qui tombáit en ruine, pour la donner aux jésuites. La proposition de Bolea fut rejetée ; et lorsque ce commissaire quitta la ville, il dit que les deux mille écus en feraient dépenser plus de soixante-dix mille. Cette menace fut le commencement des malheurs de

Téruel; car, lorsque Bolea fut arrivé à Madrid, il fit entendre au roi que cette ville jouissait de priviléges particuliers, différens de ceux d'Aragon; qu'en vertu de l'un de ces droits, confirmé par Pierre IV dans les Cortès de Monzon de l'année 1372, les habitans étaient dispensés de s'adresser pour leurs affaires au grand justicier du royaume; qu'il était, en conséquence, nécessaire de les empêcher de faire usage, contre la prérogative royale, du droit de firma ou manutention de jouissance; de celui de la privilegiada, qui accordait au prisonnier la liberté sous caution; et de la faculté connue sous le nom de Manifestation, laquelle restreignait encore plus que les autres le pouvoir du souverain. Bolea ne dit point au roi que le privilége de Téruel était municipal, et qu'il ne s'appliquait qu'aux affaires particulières de son district, sans affranchir celui-ci de l'obligation d'obéir aux lois générales du royaume dont il faisait partie.

III. Le 26 juillet 1562, le roi fit expédier une ordonnance par laquelle il était défendu aux habitans de Téruel d'avoir recours dans aucun cas au grand justicier d'Aragon. Les intéressés réclamèrent vivement; mais le gouverneur Moncayo, voyant que le mécontentement était à son comble chez des hommes qu'on dépouillait de leurs droits, eut recours, pour les réduire, aux plus grandes violences, et employa même les exécutions. Les opprimés s'adressèrent au grand justicier et à la députation permanente, qui, en voulant faire leur devoir, donnèrent occasion à Moncayo de rendre sa tyrannie plus insupportable; ses vexations étant appuyées par la cour de Madrid, à laquelle il rendait compte de ses opérations, il vint à bout du projet le plus infâme que la dépravation

humaine puisse concevoir: ce fut d'exciter une émeute populaire, pour avoir une raison plausible de dépouiller le pays de tous ses priviléges. Les arrestations nombreuses qu'il commanda, les rigueurs qu'il faisait éprouver à ses prisonniers, les amendes pécuniaires' exorbitantes dont il frappait les habitans, et enfin, les mauvais traitemens de toute espèce dont il les accablait, poussèrent à bout ce peuple outragé, et il · en résulta une insurrection dans laquelle périt Jean de Orihuela, l'un des familiers de l'Inquisition de Valence.

IV. Le roi chargea D. François d'Aragon, duc de Segorve (descendant du roi Ferdinand I, par l'infant D. Henri d'Aragon, son fils), de traiter le pays de Téruel comme s'il eût été en état de révolte, en réunissant promptement sous ses ordres les troupes qui étaient en garnison à Molina, Morella, Xerica, Calatayud, Daroca et dans d'autres villes. Le duc (dont le caractère était malheureusement sanguinaire, injuste, arrogant, et d'autant plus dangereux qu'il pouvait ordonner en maître) engagea l'inquisiteur général à envoyer à Téruel un inquisiteur de Valence, qui y arriva en effet avec lui; c'était le docteur Soto de Calderon: ils firent leur entrée dans la ville le Jeudi-Saint, et le lendemain, toutes les prisons étaient déjà remplies d'habitans, et les maisons converties en cachots. Je ne ferai point le tableau des horreurs qui furent commises sur les habitans par le duc de Segorve, au mépris des réclamations du vice-roi d'Aragon, son cousin, don Ferdinand d'Aragon, archevêque de Saragosse, petit-fils du roi Ferdinand le catholique, prélat que sa bonté, sa justice et son amour pour la paix, rendaient infiniment cher aux

habitans, qui le nommaient leur ange tutélaire. La cruauté du duc, les injustices et les violences qu'elle lui fit commettre, ont été décrites (avec trop de modération pour le juste châtiment dû à sa mémoire) par le célèbre historien d'Aragon, Léonard d'Argensola, dans une histoire particulière dont l'impression n'a pas été permise, par ménagement pour le règne de Philippe II.

V. Sur ces entrefaites, l'inquisiteur Soto de Calderon fit arrêter un grand nombre de personnes qui furent conduites dans les prisons secrettes de Valence, en même temps que le duc de Segorve en envoyait d'autres dans l'église paroissiale de Saint Jean; une bulle surprise au pape lui avait permis de la profaner pour en faire une maison de force, sous prétexte qu'étant voisine du territoire ennemi, elle avait été abandonnée. Michel Perez Arnal, procureur général des bourgs et des villages qui composaient le district de Téruel; Jérôme Espejo, maire de la ville, et Michel Jean Malo, député pour suivre auprès de la Suprême les causes d'appel, tous les trois familiers du Saint-Office, furent conduits à l'Inquisition de Valence, comme coupables de n'avoir pas empêché l'assassinat de Jean de Orihuela, et pour avoir protégé les ministres du Fuero d'Aragon, plutôt que ceux du Saint-Office.

VI. Antoine Gamiz, député représentant de la ville et du district de Téruel auprès du vice-roi d'Aragon, se hâta de revenir à Téruel, lorsqu'il fut informé que le duc avait fait publier que tous les émigrés et les absens eussent à rentrer dans le pays, sous peine de mort, et à se présenter après les sommations judiciaires qui leur seraient faites pour répondre à l'accusation du procureur fiscal sur la part qu'ils avaient

prise à la sédition: quoique Gamiz n'eût aucun sujet de crainte pour lui-même, il avait obéi à l'ordre du commandant. Mais cette précaution ne lui servit de rien, car le crime dont on voulait le punir, était de défendre les priviléges de son pays. Il se présenta à la prison ordinaire de la juridiction du gouverneur D. Mathias de Moncayo. L'inquisiteur Calderon fit saisir sa personne et on le conduisit dans le couvent des religieux de la Merci (où Calderon logeait lui-même); il fut ensuite enfermé dans la nouvelle prison de Saint-Jean d'après l'ordre que le duc en avait donné. Pendant qu'on l'y conduisait, il aperçut dans la foule Jean de Santa, officier du grand justicier du royaume; il réclama aussitôt le privilége de la prison des Manifestados, contre la violence qu'on lui faisait en le traînant dans une autre qui n'était pas publique; la populace s'ameuta, une partie prit la défense du commissaire de l'Inquisition, l'autre se rangea du côté du représentant du grand justicier. Un domestique de l'inquisiteur tira un coup de pistolet à Gamiz et le manqua; cependant ce lui-ci fut ramené dans la prison ordinaire, et Jean de Santa ne tarda pas à l'envoyer dans celle des Manifestados de Saragosse.

VII. L'inquisiteur fit arrêter afors et envoya à l'Inquisition de Valence, Jean de Ambel: membre de la municipalité, Jean de Arcaduz, prêtre, Louis-Jean Malo, Jean de Valles, Pierre de Roda, Pierre de la Mata et Jean Calbo. Le juge ecclésiastique de Téruel se disposait à en faire autant à l'égard de quelques prêtres, en les dirigeant sur Saragosse, dont Téruel dépendait comme partie de ce diocèse; mais il ne put en obtenir la permission, et on les enferma dans les prisons secrettes du Saint-Office. Le duc et l'inqui

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