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a de plus gratuit: toutes les autres graces sont données par rapport à celle-là. Cette grace, qui renferme toutes les autres, n'est fondée sur aucun titre que sur la promesse purement gratuite et suivie de l'application aussi gratuite des mérites de Jésus-Christ. La promesse elle-même, qui est le fondement de tout, n'est appuyée que sur la pure miséricorde de Dieu, sur son bon plaisir et sur le bon propos de sa volonté. Dans cet ordre des graces tout se réduit évidemment à une volonté souverainement libre et gratuite.

Ces principes indubitables étant posés, je fais une supposition. Je suppose que Dieu voulût anéantir mon ame au moment où elle se détachera de mon corps. Cette supposition n'est impossible qu'à cause de la promesse purement gratuite. Dieu auroit donc pu excepter mon ame en particulier de sa promesse générale pour les autres. Qui osera nier que Dieu n'eût pu anéantir mon ame suivant ma supposition? La créature, qui n'est point par soi, n'est qu'autant que la volonté arbitraire du créateur la fait exister: afin qu'elle ne tombe pas dans son néant, il faut que le créateur renouvelle sans cesse le bienfait de sa création, en la conservant par la même puissance qui l'a créée. Je suppose donc une chose très possisible, puisque je ne suppose qu'une simple exception à une regle purement gratuite et arbitraire. Je sup

pose que Dieu, qui rend toutes les autres ames immortelles, finira la durée de la mienne au moment de ma mort: jesuppose encore que Dieu m'a révélé son dessein. Personne n'oseroit dire que Dieu ne le peut.

(1.)

Ces suppositions très possibles étant admises, il n'y a plus de promesse, ni de récompense, ni de béatitude, ni d'espérance de la vie future pour moi. Je ne puis plus espérer ni de posséder Dieu, ni de voir sa face, ni de l'aimer éternellement, ni d'être aimé de lui au-delà de cette vie. Je suppose que je vais mourir; il ne me reste plus qu'un seul moment à vivre, qui doit être suivi d'une extinction entiere et éternelle. Ce moment, à quoi l'emploierai-je? je conjure mon lecteur de me répondre dans la plus exacte précision. Dans ce dernier instant, me dispenserai-je d'aimer Dieu, faute de pouvoir le regarder comme une récompense? Renoncerai-je à lui dès qu'il ne sera plus béatifiant pour moi? Abandonnerai-je la fin essentielle de ma création? Dieu, en m'excluant de la bienheureuse éternité, qu'ilne me devoit pas, a-til pu se dépouiller de ce qu'il se doit essentiellement à lui-même ? A-t-il cessé de faire son ouvrage pour sa pure gloire? A-t-il perdu le droit de créateur en me

(1) Ces suppositions ne sont pas impossibles, mais elles sont i nutiles; cn' morale il faut toujours partir de ce qui est, et non pas de ce qui peut être.

créant? M'a-t-il dispensé des devoirs de la créature, qui doit essentiellement tout ce qu'elle est à celui par qui seul elle est ? N'est-il pas évident que dans cette supposition très possible je dois aimer Dieu uniquement pour lui-même, sans attendre aucune récompense de mon amour, et avec une exclusion certaine de toute béatitude, en sorte que ce dernier instant de ma vie, qui sera suivi d'un anéantissement éternel, doit être nécessairement rempli par un acte d'amour pur et pleinement désintéressé?

Mais si celui à qui Dieu ne donne rien pour l'éternité doit tant à Dieu, qu'est-ce que lui doit celui à qui il se donne tout entier lui-même sans fin? Je vais être anéanti tout à l'heure; jamais je ne verrai Dieu; il me refuse son royaume qu'il donne aux autres; il ne veut ni m'aimer ni être aimé de moi éternellement: je suis obligé néanmoins, en expirant, de l'aimer encore de tout mon cœur et de toutes mes forces; si j'y manque, jesuis un monstre et une créature dénaturée "). Et vous, mon lecteur, à qui Dieu prépare, sans vous le devoir, la possession éternelle de lui-même, craindrez-vous comme un raffinement chimérique cet amour dont je dois vous donner l'exemple? Aimerez-vous Dieu moins que moi, par

(1) Mais après tout il ne m'en arrivera ni bien ni mal, puisque je dois être anéanti.

cequ'il vous aime davantage "1? La récompense ne servira-t-elle qu'à vous rendre intéressé dans votre amour? Si Dieu vous aimoit moins qu'il ne vous aime, il faudroit que vous l'aimassiez sans aucun motif d'intérêt. Est-ce donc là le fruit des promesses et du sang de Jésus-Christ, que d'éloigner les hommes d'un amour généreux et sans intérêt pour Dieu? A cause qu'il vous offre la pleine béatitude en lui-même, ne l'aimerez-vous qu'autant que vous serez soutenu par cet intérêt infini? Le royaume du ciel, qui vous est offert pendant que j'en suis exclus, vous est-il un bon titre pour ne vouloir point aimer Dieu sans y chercher le motif de votre propre gloire et de votre propre félicité?

Ne dites pas que cette félicité est Dieu même. Dieu pourroit, s'il le vouloit, n'être pas plus béatifiant pour vous que pour moi. Il faut que je l'aime, quoiqu'il ne le soit point pour moi; pourquoi faut-il que vous ne puissiez vous résoudre à l'aimer sans être soutenu par ce motif, qu'il est béatifiant pour vous? Pourquoi frémissez-vous au seul nom d'un amour qui ne donne plus ce soutien d'intérêt (2)?

(1) Cette récompense m'est proposée par Dieu pour m'exciter à l'aimer. Est-ce une imperfection de suivre un attrait présenté par Dieu lui-même?

(2) C'est qu'on est humble, qu'on sent sa foiblesse, et que pour

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Si la béatitude éternelle nous étoit due de plein droit, et que Dieu, en créant les hommes, fût à leur égard un débiteur forcé pour la vie éternelle, on pourroit nier ma supposition, mais on ne pourroit la nier sans une impiété manifeste. La plus grande des graces, qui est la vie éternelle, ne seroit plus grace : la récompense nous seroit due indépendamment de la promesse Dieu devroit l'existence éternelle et la félicité à sa créature; il ne pourroit plus se passer d'elle; elle deviendroit un être nécessaire. Cette doctrine est monstrueuse. D'un autre côté, ma supposition met en évidence les droits de Dieu, et fait voir des cas possibles, où l'amour sans intérêt seroit nécessaire. S'il ne l'est pas dans les cas de l'ordre établi par la promesse gratuite, c'est que Dieu ne nous juge pas dignes de ces grandes épreuves, c'est qu'il se contente d'une préférence implicite de lui et de sa gloire à nous et à notre béatitude, qui est comme le germe du pur amour dans les cœurs de tous les justes. Mais enfin ma supposition, en comparant l'homme prêt à être anéanti avec celui qui a reçu la promesse de la vie éternelle, fait sentir combien

éviter ou la présomption, ou le découragement, les plus grands saints ont cru devoir s'exciter à la crainte de Dieu, et se soutenir dans les combats de cette vie par les douceurs de l'espérance,

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