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produisant hors de vous ce qui n'est pas vous-même. Vous avez voulu faire des êtres qui, tenant tout de vous, se raportassent uniquement à vous.

O mon Dieu! ô amour! aimez-vous vous-même en moi; par là vous serez aimé suivant que vous êtes aimable. Je ne veux subsister que pour me consumer devant vous, comme une lampe brûle sans cesse devant vos autels. Je ne suis point pour moi : il n'y a que vous qui êtes pour vous-même : rien pour moi, tout pour vous; ce n'est pas trop. Je suis jaloux de moi pour vous contre moi-même. Plutôt périr que de souffrir que l'amour qui doit tendre à vous se recourbe trop sur moi! Aiméz, ô amour! aimez, dans votre foible créature, aimez votre souveraine beauté. O bonté infinie! ô amour infini! brûlez, consumez, transportez, anéantissez mon cœur; faites-en un holocauste parfait.

DIEU a fait toutes choses pour lui-même "", comme dit l'écriture; il se doit à lui-même tout ce qu'il fait ; et en cela il ne peut jamais rien relâcher de ses droits. La créature intelligente et libre n'est pas moins à lui que la créature sans intelligence et sans liberté. Il rapporte essentiellement et totalement à lui seul tout ce qui est dans la créature sans intelligence, et il veut que la créature intelligente se rapporte de même tout entiere et sans réserve à lui seul. Il est vrai qu'il veut notre bonheur ; mais notre bonheur n'est ni la fin principale de son ouvrage ni une fin égale à celle de sa gloire. C'est pour sa gloire même qu'il veut notre bonheur : notre bonheur n'est qu'une fin subalterne, qu'il rapporte à la fin derniere et essentielle qui est sa gloire. Il est lui-même sa fin unique et essentielle en toutes choses.

Pour entrer dans cette fin essentielle de notre création, il faut préférer Dieu à nous, et tâcher de vouloir notre béatitude pour sa gloire; autrement nous renverserions son ordre. Ce n'est pas uniquement l'intérêt propre de notre béatitude qui doit nous faire desirer sa gloire, c'est au contraire le

(1) Prov. 16, v. 4.

TOME VIII.

F

desir de sa gloire qui doit nous faire desirer notre béatitude comme une chose qu'il lui a plu de rapporter à sa gloire. Il est vrai que toutes les ames justes ne sont pas capables de cette préférence si explicite de Dieu à elles: mais la préférence implicite est au moins nécessaire; et l'explicite, qui est la plus parfaite, ne convient qu'aux ames à qui Dieu donne la lumiere et la force de le préférer tellement à elles, qu'elles ne veulent leur béatitude même que pour sa gloire.

Ce qui fait que les hommes ont tant de répugnance à entendre cette vérité et que cette parole leur est si dure, c'est qu'ils s'aiment et veulent s'aimer par intérêt propre. Ils comprennent en général et superficiellement qu'il faut aimer Dieu plus que toutes les créatures; mais ils n'entendent point ce que veut dire aimer Dieu plus que soi-même, et ne s'aimer plus soi-même que pour lui. Ils prononcent ces grandes paroles sans peine, parcequ'ils le font sans en pénétrer toute la force; mais ils frémissent dès qu'on leur explique qu'il faut préférer Dieu et sa gloire à nous et à tout enfin, en sorte que nous aimoins sa gloire avant même notre béatitude, et que nous rapportions sincèrement l'un à l'autre, comme la fin subalterne à la principale.

Il seroit étonnant que les hommes eussent tant de

peine à entendre une regle si claire, si juste, si essentielle à la créature : mais, depuis que l'homme s'est arrêté en lui-même, comme parle saint Augustin, il ne voit plus rien que dans ces bornes étroites de l'amour-propre où il s'est renfermé : il perd de vue à tout moment qu'il est créature, qu'il ne se doit rien, puisqu'il n'est pas lui-même à lui-même, et qu'il se doit sans réserve au bon plaisir de celui par qui seul il est. Dites-lui cette vérité accablante, il n'ose la nier; mais elle lui échappe, et il veut toujours insensiblement revenir à compter avec Dieu pour y trouver son intérêt.

On allegue que Dieu nous a donné une inclination naturelle pour la béatitude, qui est lui-même. Encela il peut avoir voulu faciliter notre union avec lui, et avoir mis en nous une pente pour notre bonheur, comme il en a mis une pour les aliments dont nous avons besoin pour vivre; mais il faut soigneusement distinguer la délectation que Dieu a mise en nous à la vue de lui-même, qui est notre béatitude, d'avec la pente violente que la révolte du premier homme a mise dans nos cœurs pour nous faire centre de nous-mêines, et pour faire dépendre notre amour - pour Dieu de la béatitude que nous cherchons dans cet amour. D'ailleurs ce n'est d'aucune inclination naturelle, nécessaire et indélibérée, qu'il s'agit ici.

Peut-on craindre que les hommes tombent dans l'illusion, se dispensant de ce qui est nécessaire et indélibéré? Ces desirs indélibérés, qui sont moins des desirs des inclinations nécessaires, ne peuvent que non plus manquer dans les hommes que la pesanteur dans les pierres. Il n'est question que de nos actes volontaires et délibérés, que nous pouvons faire ou ne faire pas. A l'égard de ces actes libres, le motif de notre propre béatitude n'est pas défendu : Dieù veut bien nous faire trouver notre propre intérêt dans notre union avec lui; mais il faut que ce motif ne soit que le moindre, et le moins voulu par la créature: il faut vouloir la gloire de Dieu avec notre béatitude il ne faut vouloir cette béatitude que

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pour la rapporter à sa gloire, comme la chose qu'on veut le moins à celle qu'on veut le plus. Il faut que notre intérêt nous touche incomparablement moins que sa gloire. Voilà ce que la créature, attachée à ellemême depuis le péché, a tant de peine à comprendre. Voilà une vérité qui est dans l'essence même de la créature, qui devroit soumettre tous les cœurs, et qui les scandalise néanmoins quand on l'approfondit. Mais qu'on se fasse justice et qu'on la fasse à Dieu. Nous sommes-nous faits nous-mêmes? Sommes-nous à Dieu ou à nous ? Nous a-t-il faits pour nous ou pour lui? A qui nous devons-nous? Est-ce

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