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senguy (1), un des plus vertueux et des plus savans ecclésiastiques du royaume. Ce fut sous des yeux si éclairés que Louis Racine fit ses études, et qu'il se fortifia dans les principes de la sagesse et du goût. Il faisoit des vers, mais il falloit se cacher de sa mère : restée veuve d'un des plus grands poètes de la France, avec un bien très-médiocre, elle n'étoit pas prévenue en faveur de la poésie; elle redontoit les Muses comme des Sirènes, qui n'étoient euvironnées que de naufrages. Boileau lui-même, par une sorte de trahison, le détournoit de leur commerce : « Depuis que le monde est monde, lui di» soit-il, on n'a point vu de grand poète fils d'un » grand poète; et d'ailleurs, vous devez savoir >> mieux que personne à quelle fortune cette gloire >> peut conduire.» Ces remontrances furent inutiles : il falloit qu'un aiglon prît l'essor, et que le fils de Racine fît des vers.

Au sortir du collége, il étudia en droit et se fit recevoir avocat ; mais ne se sentant aucun goût pour cette profession, il prit l'habit ecclésiastique, et se retira chez les Pères de l'Oratoire de Notre-Dame des Vertus. Pendant les trois ans de séjour qu'il fit dans cette maison, il composa le poëme de la Grâce, par lequel, débutant comme son père avoit fini, il consacroit les prémices de son génie, et s'engageoit au service de la religion. Ce n'étoit pas la voie la plus courte, ni la plus aisée pour réussir au Par

(1) Fr. Ph. Mésenguy, né à Beauvais en 1677, mort à Paris le 19 février 1763. Il a laissé plusieurs ouvrages, dont le plus connu est l'Exposition de la Doctrine chrétienne, én 6 vol. in-12. (Note de l'Ed.)

nasse ; et cette entreprise hardie supposoit plus d'amour de la vérité, que de passion pour une réputation frivole. Quel essai pour un poète de son âge, d'abandonner les ruisseaux et l'émail des prairies pour franchir un sentier étroit, escarpé, presque inaccessible et environné de ténèbres, où il falloit marcher avec précaution entre deux abymes! Il y marcha d'un pas ferme, à la lueur du flambeau de la foi; il sema de fleurs ces précipices. L'austère théologie s'embellit entre ses mains, et prit les brillantes couleurs de la poésie, sans rien perdre de sa sévère majesté.

La lecture de ce poëme qu'il ne put refuser à différentes personnes, l'ayant introduit dans le monde, il perdit le goût de la retraite, et quitta l'habit ecclésiastique. M. le chancelier d'Aguesseau étoit alors retiré à Fresnes; il avoit chéri le père; il fit venir le fils auprès de lui. L'exil du magistrat fut pour le poète une source de délices: il trouva dans un seul homme tout ce qu'il auroit cherché à la cour, où les jeunes poètes volent avec toute l'ardeur de leurs désirs. Il jouissoit en paix de ces plaisirs purs que lui procuroient la sagesse, le discernement délicat, l'esprit universel, l'imagination riche et féconde du maître de ce lieu enchanté. Il admiroit le doux éclat que répand sur la vertu une disgrâce qui n'exclud que les embarras et les inquiétudes de la vie, semblable à une de ces belles nuits si fraiches et si lumineuses, qui succèdent à un des jours brûlans de l'été. Lorsque M. d'Aguesseau fut rappelé, ils quittèrent tous deux en soupirant cette agréable retraite, qui avoit été pour le magistrat un séjour de repos

et d'étude, et pour le poète une école de science et de vertu.mp

La connoissance des langues savantes et de la belle antiquité, ouvroit à Louis Racine l'entrée de cette Académie. Il avoit encore un autre titre, qui, tout honorable qu'il étoit, n'auroit pas suffi s'il eût été seul. Son père avoit vu naître l'Académie des Belles-Lettres; il fut un de ses premiers membres; il partagea ses premiers travaux. Le fils fut reçu le 8 d'août 1719; et ce fut en considération de son père, autant que pour son mérite personnel, que sa place lui fut conservée, dans la longue absence à laquelle il fut obligé par l'état de ses affaires. Voici par quelles circonstances il se trouva, contre son gré, entraîné aux emplois de finance :

M. de Valincour aimoit tendrement notre académicien; il engagea les amis qu'il avoit dans l'Académie française, à donner leur voix à Louis Racine pour une place qui vaquoit alors. L'ancien évêque de Fréjus, depuis cardinal de Fleury, informé des démarches du jeune poète, traversa son élection. Il le fit venir, et l'assura que c'étoit par amitié pour lui qu'il s'opposoit à ses désirs; qu'il vouloit l'arracher à des occupations stériles, pour lui en procurer de plus utiles et de plus capables de relever sa fortüne. En effet, Louis Racine étoit presque sans biens: le système avoit réduit à la moitié le peu que son père avoit laissé à cinq enfans, et le modique revenu dont jouissoit leur mère. Cette raison détermina de ages amis à lui conseiller d'accepter le parti que lui proposoit l'ancien évêque de Fréjus, qui, se déclarant son protecteur, entreprit de faire de lui

un directeur des fermes. Il fallut obéir et partir pour la province en 1722, avec l'espérance que son Mé, cène, devenu si puissant, le retireroit bientôt d'un emploi très-contraire à son goût, dans lequel il ne portoit que la probité la plus scrupuleuse, l'assi¬ duité, l'humanité, le désintéressement: qualités sans essor, et qui par des efforts hardis ou par une ingénieuse souplesse, ne savent jamais s'ouvrir des routes inconnues, et s'élancer hors de la sphère étroite qui les renferme !

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Revêtu du titre d'inspecteur-général des fermes du Roi en Provence, il se rendit à Marseille, où sa réputation s'étoit déjà répandue. Le goût des belleslettres est commun dans cette grande ville, et le commerce de l'esprit n'y est pas moins animé que celui des richesses du Levant. Sur cette côté de la Méditerranée, les dames ont beaucoup d'agrémens, de vivacité, de facilité de langage. Elles attendoient avec une extrême impatience le fils du grand Racine, grand poète lui-même. Dès le lendemain de son arrivée, elles se rendirent en bon nombre dans une maison où il devoit passer la soirée. Elles se préparoient à une conversation vive, enjouée, étincelante d'esprit; elles ne désespéroient pas même d'entendre quelque, beau morceau de poésie. Par malheur pour elles, Louis Racine étoit distrait, accoutumé à s'entretenir lui-même, souvent seul au milieu d'une nombreuse compagnie : pendant deux heures de visite, il ne répondit jamais que oui et non, prenant même quelquefois l'un pour l'autre Tout le cercle fut déconcerté; on doutoit que ce fût lui. De ce moment sa réputation tomba dans

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toute la province: on le regarda comme un homme ordinaire, et il ne s'en aperçut pas.

Voilà donc l'élève de Clio comptant, calculant, vérifiant des registres, dressant des rôles, enveloppé d'arrêts, de mémoires, de procès-verbaux entre lesquels se perdoient souvent son Homère et son Virgile; passant successivement de Marseille à Salins, de Salins à Moulins, de Moulins à Lyon, de Lyon à Soissons. Pendant son séjour dans cette dernière ville, où il demeura quinze ans, il fut reçu à la Table de Marbre maître particulier des eaux et forêts du duché de Valois, dans l'apanage de M. le duc d'Orléans.

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Des occupations si étrangères aux lettres n'étouffoient pas en lui l'amour de l'étude il payoit son tribut à notre Académie, par les mémoires qu'il y venoit lire presque tous les ans ; et ce fut pendant l'exercice de ces divers emplois qu'il composa son poëme de la Religion, ses Epîtres sur l'homme et sur l'âme des bêtes, ses Odes, ses Réflexions sur la poésie, et les Mémoires de la vie de son père, dont il fit imprimer les Lettres, ainsi que celles de Boileau. Entre ces différens écrits, son poëme de la Religion mérite sans doute le premier rang: ouvrage immortel où la poésie se soutient par une force divine, sans emprunter les charmes du mensonge; où la vérité, revêtue de sa propre parure, brille aux yeux sans les éblouir, enlève notre raison sans l'endormir par des songes enchanteurs! Dieu, notre âme, la révélation, le Rédempteur, les mystères, la morale chrétienne, de quel vol le poète s'élève à la hauteur de tant d'objets sublimes! Comment tou

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