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parce qu'on les décourage, pour trop en attendre. On leur redemande des talens qu'ils ne sont pas obligés d'avoir, et l'on s'imagine qu'ils doivent représenter un bien qu'on ne reçoit jamais par droit d'héritage.

J'ai donc sujet d'appréhender qu'on ne me traite avec la même rigueur. Je pourrois y opposer quelques raisons; mais comme les lecteurs ne sont pas obligés d'écouter nos raisons, je n'alléguerai point la difficulté de la matière que je traite, dans laquelle il est impossible de ne pas sacrifier quelquefois la richesse d'une rime et la cadence d'un vers à l'exactitude du dogme. Je ne rapporterai pas non plus les motifs particuliers qui m'ont engagé à choisir une matière si épincuse; il me suffit de dire ici que la lecture de saint Prosper m'ayant inspiré l'envie de traiter comme lui, en vers, une question agitée depuis si long-temps, la hardiesse de l'entreprise engagea quelques personnes fort éclairées à m'encourager et à m'aider de leurs secours, qui m'étoient absolument nécessaires.

Né, pour ainsi dire, dans le sein des Muses, avec une grande inclination pour elles, et plus d'ardeur à les suivre que de talens, j'ai perdu, dès la plus tendre enfance, celui qui pouvoit m'instruire le mieux à leur commerce, et par l'autorité qu'il avoit sur moi, et par la longue habitude qu'il avoit avec elles. Je puis dire de Boileau ce qu'Ovide disoit en parlant de Virgile: Virgilium vidi tantùm. Je n'ai fait que le voir, et je n'étois pas en âge de mettre à profit la conversation d'un pareil maître. Ainsi, lorsque j'ai eu l'ambition d'entrer dans la carrière poétique, je me suis trouvé sans guide, et je me serois souvent égaré, sans les lumières que m'ont bien voulu accorder ces personnes

auprès desquelles ma muse a trouvé un accès aussi utile qu'honorable. Mon amour-propre n'a rien souffert en se soumettant à de pareils juges : j'ai corrigé avec docilité les faules qu'ils ont reprises; et s'il en reste encore beaucoup, elles n'ont point échappé à leur vue, mais je n'ai pas toujours été capable de suivre leurs avis.

:

Ces fautes, que je reconnois sans peine, n'intéressent que la poésie je ne me suis permis aucune négligence pour celles qui pourroient intéresser la doctrine. J'ai eu la précaution la plus scrupuleuse pour ne rien laisser qui méritât une censure raisonnable; et je me déclare toujours prêt à corriger ce qui pourra la mériter. Je parle d'une censure raisonnable; car j'ose dire aussi qu'il seroit injuste de faire le procès à un poète comme à un théologien, et de vouloir rappeler tous ses mots à la précision de l'école. Ce n'est point ici un traité théologique, c'est un poëme; ce n'est point aux docteurs que je parle, c'est au commun du monde. Il me suffit d'expliquer ce que tout le monde doit entendre et doit savoir. La poésie a cet avantage, qu'elle rend sensibles au peuple les vérités les plus abstraites, par les images sous lesquelles elle les présente, et que par sa mesure et son harmonie elle les imprime dans la mémoire. On lui raviroit un si beau privilége, si on la soumettoit à des lois rigoureuses qui la rendissent sèche et stérile.

J'ai souvent employé les termes de l'Ecriture Sainte et des Pères, et c'est en cela que consiste le mérite de mon travail : je ne prétends pas non plus en tirer comme poète une grande gloire. Je n'ai presque fait que traduire, et j'ai remarqué que les endroits qui ont été le mieux reçus, lorsque je les ai récités, étoient l'assemblage de plusieurs

pensées des prophètes, rendues fidellement. Aussi faut-il avouer que l'Ecriture Sainte nous fournit les idées les plus nobles et les plus magnifiques, et qu'on ne trouve point ailleurs ce véritable sublime, qui charme tous les hommes, cet enthousiasme divin qui saisit l'âme, qui l'étonne et qui l'enlève.

Après avoir parlé de ce qui regarde le poète, venons au théologien, si ce titre peut me convenir, et rendons compte de la doctrine de ce poëme.

Un Etre tout-puissant, qui à tout fait, qui conserve tout, qui règne sur les esprits, comme sur les corps, de qui viennent toutes les lumières et toutes les vertus, et dont les décrets sont la règle de l'avenir, est une vérité dont nous sommes intérieurement convaincus, et qui est renfermée nécessairement dans l'idée que nous avons d'un Etre infini. La liberté de notre âme est encore une vérité qu'il n'est pas nécessaire de prouver. Nous en trouvons la preuve en nous-mêmes, et nous sentons que nous sommes plus libres de vouloir telle ou telle chose, que de remuer la main de tel ou tel côté. Ces deux vérités incontestables semblent cependant se contredire : ce qui ne nous doit pas surprendre, puisque même nous trou→ vons dans la géométrie des propositions, lesquelles, quoique certaines, nous paroissent cependant s'opposer les unes aux autres. Comment ne trouverons-nous pas ces difficultés lorsque nous parlons de Dieu et de l'âme ? Si nous ignorons ce que c'est que Dieu, ce que c'est que notre âme, et comment elle agit sur notre corps, pouvons-nous savoir comment Dieu agit sur elle? L'opération d'un Dieu nous est inconnue; celle de notre âme nous l'est aussi : comment donc pourrons-nous com→

prendre l'accord de deux opérations inconnues? Lorsque dans la géométrie deux propositions qui semblent se contredire, sont également démontrées, nous ne doutons ni de l'une ni de l'autre. Lors donc que dans la religion deux vérités égalemeut certaines semblent se contredire, devons-nous pour cela hésiter? Si notre raison n'a pas assez de lumière pour les accorder, qu'elle ait assez d'humilité pour les adorer toutes deux. « Il faut, dit Bossuet, >> tenir fortement les deux bouts de la chaîne, quoiqu'on >> ne voie pas toujours le milieu par où l'enchaînement » se continue. »

Puisque nous avons tant de peine à concilier la puissance divine et la liberté humaine, nous ne devons pas nous étonner d'entendre, sur cette question, parler les Païens d'une façon souvent contraire. Homère qui répète si souvent la volonté divine, rien n'arrive que que par fait dire à Achille : « Les Dieux donnent la victoire, mais >> c'est à vous à modérer votre fierté et votre colère. » (Iliad. 10.) Achille est donc le maître de son cœur et le méme Homère dit dans l'Odyssée, liv. 23, « qu'il dépend >> des Dieux de rendre insensée la personne la plus sage, » et de rendre sage la personne la plus insensée. » Horace demande aux Dieux de bonnes mœurs pour la jeunesse :

Di probos mores docili juventæ,

et le même Horace prétend qu'il ne doit demander aux Dieux les biens de la santé et de la fortune; que ceux que de l'âme sont en sa disposition:

Det vitam, det opes; animum mí æquum ipse parabo.

Les Païens ont été souvent jusqu'à faire les Dieux auteurs

des crimes, pour excuser leurs passions, dont ils noient la violence pour une force divine:

Sua cuique Deus fit dira libido.

pre

Ils trouvoient fort commode, quand ils avoient commis quelque faute, de la rejeter sur les Dieux :

Crimen erit Superis et me fecisse nocentem,

dit Caton dans Lucain. Hélène, dans Homère, reproche à Vénus de l'avoir séduite; et dans Euripide, de l'aveu de Ménélas lui-même, elle ne lui a été infidelle que par obéissance aux Dieux. Malgré ce langage si commun chez les Païens, ils en tiennent un autre tout opposé, quand ils parlent en philosophes. Ils se laissoient tromper par ce faux raisonnement de notre amour-propre, que nous n'aurions point de mérite, si notre vertu étoit un don du ciel. C'est ce que Cicéron fait dire à un de ses interlocuteurs, dans le troisième livre de la Nature des Dieux : In virtute rectè gloriamur, quod non contingeret, si id donum à Deo, non à nobis haberemus. On trouve encore dans le même Cicéron, qu'on ne doit demander au ciel que les dons de la fortune; mais que notre sagesse est en notre pouvoir: Fortunam à Deo petendam, à seipso sumendam esse sapientiam.

«< En effet, disoit-il, quelqu'un s'est-il jamais avisé de remercier les Dieux d'être honnête homme? » Nam quis, quòd bonus vir esset, gratias Diis egit unquam? Action de grâces qu'un Chrétien fait tous les jours. Ces deux langages si contraires et si communs chez les Païens, ont été bien rendus par Corneille dans son Œdipe. Il fait dire à

Jocaste :

C'étoit là de mon fils la noire destinée :
Sa vie à ces forfaits par le ciel condamnée 2

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