circonstance serait loin de changer l'état du sujet. Il importe peu en définitive, quand un édifice est achevé d'après un plan arrêté, qu'une arrière-pensée ait existé ou non chez ceux qui ont travaillé à le construire. Une autre remarque préliminaire vient à l'appui. Pourrait-on dénier la réalité de plusieurs croyances constitutives du christianisme originel, par le seul motif qu'elles paraissent trop extraordinaires de nos jours lorsque ces croyances sont d'ailleurs d'une nature tout identique avec celles qui n'ont jamais cessé d'être proclamées par l'église. Ainsi, une fois que cette église reconnaît avec unanimité la résurrection future des morts, une fois qu'elle reconnaît que Jésus est positivement ressuscité, qu'il a vécu plusieurs jours sur la terre après sa sortie du tombeau, et qu'il doit y revenir pour le dernier jugement, personne n'est plus en droit de s'étonner si, dans l'esprit du maître et des premières générations de chrétiens, cette résurrection future des morts, cette rénovation miraculeuse et éternelle de toute l'humanité, avait à s'accomplir à deux reprises différentes : l'une partielle, et appelée depuis du nom de règne de mille ans, promettait de servir de récompense préalable aux apôtres, et à tous les fidèles qui se seraient sacrifiés en faveur de Jésus-Christ; l'autre est la résurrection universelle. Elles conservaient entre elles les mêmes rapports que les prophètes avaient établis dans l'ordre du monde présent, entre la réhabilitation privée du peuple d'Israël et la reconstitution subséquente de la famille humaine entière. Personne n'est plus en droit de s'étonner si, d'après tous les documens primitifs, le retour visible de Jésus du haut du ciel sur la terre et l'accomplissement de la première résurrection des morts devaient arriver dans une période de temps très-rapprochée. L'histoire particulière du nouveau dogme prend son point de départ naturel dans un fait qui ira toujours en se confirmant. L'idée purement métaphysique qu'on attache aujourd'hui à l'immortalité individuelle des ames, conformément au dualisme de l'Égypte modifié par Platon, ou à la division ab solue entre la matière et l'esprit, est une conception entièrement distincte des croyances du maitre nazaréen, qui unissait cette durée des ames à l'immortalité individuelle des corps par des liens indissolubles 1. Dans l'hébraïsme natif, et quelque initiés qu'ils fussent à tout le savoir égyptien, les législateurs sacrés n'avaient jamais enchaîné la liberté de la conscience à ces questions. Et ce qui nous a même déjà convaincus que cet hébraïsme offrait, dans ses doctrines, le cachet de la simplicité et de l'universalité religieuses les plus complètes qu'aucune pensée humaine puisse dépasser en aucun lieu ni en aucun temps, ce n'est pas seulement parce qu'il avait établi en principe l'unité de Dieu, mais parce qu'il avait admis aussi cette unité comme prin Les opinions sur la vie future qui se partageaient le monde à l'époque de Jésus-Christ, constituent trois systêmes distincts. Le plus ancien et la source des deux autres est sans contredit celui de la transmigration des ames, ou la métempsycose conçue en grand. D'après son principe, chaque ame, partie d'un foyer commun, revêtirait sans cesse, en passant dans les différentes sphères de l'univers, un corps nouveau plus ou moins épuré ou dégradé en proportion de sa vie précédente. Par là, les ames se trouvaient avoir parcouru tôt où tard un cercle qui les faisait rentrer dans leur foyer primitif. Le systême de l'immortalité de Platon, au contraire, avait immobilisé les ames à mesure qu'elles sortaient de nos cipe indépendant, comme dogme unique. Toutes les autres croyances sont en dehors de sa loi; il ne les repousse ni ne les impose de sa main, il les livre à leurs propres forces. Voilà pourquoi cet événement historique a pu trèsbien arriver, que ses autels aient vu apparaître tour à tour, et sans en être surpris, des hommes revêtus du suprême pontificat, des hommes chargés de donner la bénédiction au peuple de par l'Éternel, qui professaient tout haut, au sujet des ames et des corps, les opinions les plus contraires 1. corps, et il les avait rendues éternelles dans cet état métaphysique. Enfin, la doctrine de la résurrection corporelle des morts, qui est celle du christianisme de Jésus, et qui a réuni des argumens nombreux contre l'immortalité des ames de Platon, regardait la séparation de ces ames d'avec les corps comme un état suspensif ou négatif, comme une époque de captivité et de sommeil, et avait pour objet d'immobiliser, sauf épuration, et d'éterniser la personne tout entière. 'Bossuet expose le fait avec beaucoup de simplicité : « Encore donc que les Juifs eussent dans leurs écritures, dit-il, quelques promesses des félicités éternelles, et que vers les temps du Messie, où elles devaient être déclarées, ils en parlassent beaucoup davantage, toutefois cette vérité faisait si peu un dogme formel et universel de l'an C'est principalement durant leur séjour dans la Babylonie et dans la Perse que les Juifs avaient contracté l'habitude de transporter par l'imagination aux choses du monde à venir ce que la lettre des livres sacrés disait de la nature présente. La figure majestueuse, entre autres, d'après laquelle le peuple souffrant, le peuple opprimé, le peuple tombé comme un seul homme sous les coups de ses ennemis, et réduit à un état de mort, saurait se réveiller de la nuit du tombeau et présider cien peuple, que les Sadducéens, sans la reconnaître, non-seulement étaient admis dans la synagogue, mais encore élevés au sacerdoce. (Disc. sur l'hist, univ. 11o part. chap. v1.) Le même fait, un des plus importans qui existent dans l'histoire des libertés accordées à la conscience et aux opinions religieuses, est exposé aussi dans la correspondance philosophique de d'Alembert et de Voltaire, mais en termes tout différens : « Les Juifs, cette canaille bête et féroce, dit le premier de ces écrivains en s'adressant à l'autre, n'attendaient que des récompenses temporelles, les seules qui leur fussent promises; il ne leur était défendu ni de croire ni d'attaquer l'immortalité de l'ame, dont leur charmante loi ne leur parlait pas. Cette immortalité était donc une simple opinion d'école sur laquelle leurs docteurs étaient libres de se partager, etc......... » Correspond., Lettre cxxx1.) ( |