nement & la douleur de ces Pères de Rome, qui fans doute devraient marquer leur furprise autrement que par un jeu muet, qui même n'a pas été exécuté. que Les Anglais donnent beaucoup plus à l'action que nous, ils parlent plus aux yeux: les Français donnent plus à l'élégance, à l'harmonie, aux charmes des vers. Il est certain qu'il eft plus difficile de bien écrire de mettre fur le Théâtre des affaffinats, des roues, des potences, des forciers & des revenans. Auffi, la Tragédie de Caton, qui fait tant d'honneur à Mr. Addiffon votre fucceffeur dans le Ministère, cette Tragé die la feule bien écrite d'un bout à l'autre chez vôtre Nation, à ce que je vous ai entendu dire à vous-même, ne doit fa grande réputation qu'à fes beaux vers, c'està-dire, à des penfées fortes & vraies, exprimées en vers harmonieux. Ce font les beautés de détail qui foutiennent les ouvrages en vers, & qui les font paffer à la postérité. C'eft fouvent la maniére fingulière de dire des chofes communes; c'eft cet art d'embellir par la diction ce que penfent & ce que fentent tous les hommes, qui fait les grands Poëtes. Il n'y a ni fentimens recherchés, ni avanture romanefque dans le quatriéme livre de Virgile; il eft tout naturel, & c'est l'effort de l'efprit humain. Mr. Racine n'eft fi au- deffus des autres qui ont tous dit les mêmes chofes que lui, que parce qu'il les a mieux dites. Corneille n'est véritablement grand, que quand il s'exprime auffi-bien qu'il penfe. Souvenons-nous de ce précepte de Defpréaux: Et Et que tout ce qu'il dit facile à retenir, De fon ouvrage en vous laiffe un long fouvenir. Voilà ce que n'ont point tant d'ouvrages Dramatiques, que l'art d'un Acteur, & la figure & la voix d'une Actrice ont fait valoir fur nos Théâtres. Combien de piéces mal écrites ont eu plus de représentations que Cinna & Britannicus; mais on n'a jamais retenu deux vers de ces faibles Poëmes, au lieu qu'on fait Britannicus & Cinna par cœur. En vain le Regulus de Pradon a fait verfer des larmes par quelques fituations touchantes; l'ouvrage & tous ceux qui lui reffemblent font méprifés, tandis que leurs Auteurs s'applaudiffent dans leurs Préfaces. Des Critiques judicieux pourraient me demander, pourquoi j'ai parlé d'amour dans une Tragédie dont le titre eft JUNIUS BRUTUS? pourquoi j'ai mêlé cette paffion avec l'auftère vertu du Sénat Romain, & la politique d'un Ambaffadeur? On reproche à notre Nation d'avoir amolli le Théâ tre par trop de tendreffe; & les Anglais méritent bien le même reproche depuis près d'un fiècle; car vous avez toujours un peu pris nos modes & nos vices. Mais me permettez-vous de vous dire mon fentiment fur cette matière ? Vouloir de l'amour dans toutes les Tragédies me paraît un goût efféminé; l'en profcrire toujours eft uns mauvaise humeur bien déraisonnable. Le Théâtre, foit Tragique, foit Comique, eft la pein ture ture vivante des paffions humaines; l'ambition d'un Prince eft représentée dans la Tragédie; la Comédie tourne en ridicule la vanité d'un Bourgeois. Ici vous riez de la coquetterie & des intrigues d'une Citoyenne; là vous pleurez la malheureuse paffion de Phèdre; de même l'amour vous amufe dans un Roman, & il vous transporte dans la Didon de Virgile. L'amour dans une Tragédie n'eft pas plus un défaut effentiel, que dans l'Enéïde; il n'eft à reprendre que quand il eft amené mal-àpropos, ou traité fans art. Les Grecs ont rarement hazardé cette paffion fur le Théâtre d'Athènes; premiérement, parce que leurs Tragédies n'ayant roulé d'abord que fur des fujets terribles, l'efprit des fpectateurs était plié à ce genre de fpectacles; fecondement, parce que les femmes menaient une vie beaucoup plus retirée que les nôtres, & qu'ainfi le langage de l'amour n'étant pas comme aujourd'hui le fujet de toutes les converfations, les Poëtes en étaient moins invités à traiter cette paffion, qui de toutes eft la plus difficile à représenter, par les ménagemens délicats qu'elle demande. Une troifiéme raifon qui me paraît affez forte, c'est que l'on n'avait point de Comédiennes; les rôles des femmes étaient joués par des hommes mafqués. Il femble que l'amour eût été ridicule dans leur bouche. C'est tout le contraire à Londres & à Paris; & il faut avouer que les Auteurs n'auraient guère entendu leurs intérêts, ni connu leur Auditoire, s'ils n'avaient jamais fait parler les Oldfields, ou les Duclos, & les Le Couvreurs, que d'ambition & de politique. Le mal eft que l'amour n'eft fouvent chez nos Héros de Théâtre que de la galanterie, & que chez les vôtres il dégénère quelquefois en débauche. Dans notre Alcibiade, piéce très - fuivie, mais faiblement écrite, & ainfi peu eftimée, on a admiré longtems ces mauvais vers que récitait d'un ton féduifant l'Efopus du dernier fiécle. Ah! lorfque pénétré d'un amour véritable, Dans votre Venife fauvée, le vieux Renaud veut violer la femme de Jaffier, & elle s'en plaint en termes affez indécens, jufqu'à dire qu'il eft venu à elle un buton d., déboutonné. Pour que l'amour foit digne du Théâtre tragique, il faut qu'il foit le noeud néceffaire de la piéce, & non qu'il foit amené par force pour remplir le vuide de vos Tragédies & des nôtres, qui font toutes trop longues; il faut que ce foit une paffion véritablement tragique, regar regardée comme une faibleffe, & combattue par des remords: Il faut ou que l'amour conduife aux malheurs & aux crimes, pour faire voir combien il eft dangereux ou que la vertu en triomphe, pour montrer qu'il n'eft pas invincible; fans cela ce n'eft plus qu'un amour d'églogue ou de comédie. C'est à vous, MYLORD, à décider fi j'ai rempli quelques-unes de ces conditions; mais que vos amis daignent furtout ne point juger du génie & du goût de notre Nation par ce difcours, & par cette Tragédie que je vous envoye. Je fuis peut-être un de ceux qui cultivent les Lettres en France avec moins de fuccès; & fi les fentimens, que je foumets ici à votre cenfure, font défapprouvés, c'est à moi feul qu'en appartient le blâme. |