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HISTOIRE ET DESCRIPTION

DE TOUS LES PEUPLES,

DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, COUTUMES, ETC.

DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE

DE L'HISTOIRE DE FRANCE,
PAR M. PH. LE BAS,
MEMBRE DE L'INSTITUT.

ABAILARD Ou Abélard, (le nom le plus populaire que le moyen âge nous ait legue) naquit en 1079 à Palais, petit bourg situé à quelques lieues de Nantes, et dont son père Bérenger était seigneur. Abailard, l'aîné des fils de Bérenger, était appelé à lui succéder dans son fief; mais aux joutes des armes il préféra les luttes de l'école, et, au grand étonnement des contemporains, un noble dédaigna l'épée de son père pour le grimoire des clercs. Au reste, dans cette carrière en apparence si pacifique, Abailard devait porter l'ardeur belliqueuse de sa caste; et ses combats de parole, ses controverses, son ardente polémique devaient avoir plus de retentissement que tous les tournois des chevaliers. Des ses premières annees il montrade grandes dispositions pour l'étude, et du consentement de son père il s'y livra tout entier; afin même de n'être point arrêté dans ses travaux par les devoirs de chef de famille, de représentant d'une race féodale, il renonça à son héritage et à son droit de primogéniture, ne se nom

A.

mant plus depuis cet acte qu'Abailardus junior. On ignore quels furent ses premiers maîtres; cependant, il semble hors de doute que vers l'âge de treize ou quatorze ans, et peut-être plus tard, il reçut les leçons du fameux Roscelin, esprit audacieux qui, non content de fonder une nouvelle école de philosophie, le nominalisme, réputée une hérésie par l'Église, osa attaquer le dogme de la Trinité sur lequel repose le christianisme tout entier; puis, passant de la théologie à la politique, se prit à la plus grande puissance du temps, la puissance ecclésiastique, et voulut la contraindre à se réformer elle-même dans un de ses abus les plus choquants. Comme nous le verrons, les leçons de cet esprit audacieux porterent leur fruit.

Les connaissances que les plus savants hommes possédaient à la fin du onzième siècle étaient singulièrement bornées, parce que l'antiquité n'avait pas encore été retrouvée tout entière, comme elle le fut au quinzième et au seizième siècle, et parce que la nouvelle

1re Livraison (DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE, ETC.)

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société était trop jeune encore pour avoir beaucoup inventé. On avait bien conservé les Pères de l'Eglise latine et quelques débris de la littérature romaine, un peu de Cicéron, de Virgile et d'Ovide; mais en mathématiques on n'avait que l'arithmétique de Boèce et les quelques pages qu'il a laissées sur la géometrie. Du grec on ne connaissait généralement que quelques éléments de grammaire grecque, et tout au plus quelques termes philosophiques transcrits et expliqués par les Pères de l'Église latine. En philosophie, on n'avait de Platon que la version latine du Timée; d'Aristote, que les parties de l'Organum traduites par Boèce. «Quatre écrits, de Boece, commentateur clair et methodique, mais sans profondeur; d'Aristote lui-même, l'Interprétation, c'est-à-dire, un traité de grammaire, et les Catégories, qui, n'étant plus rattachées à la métaphysique et à la physique, n'offrent guère qu'une classilication dont on n'aperçoit pas toute la portée; enfin, l'Introduction de Porphyre, évidemment destinee à des commençants, et où l'auteur évite a dessein toutes les grandes questions et s'arrête à la surface des choses, tels sont, dit M. V. Cousin, les seuls matériaux que possédaient Abailard et son siècle... Ainsi Boèce et le peu qu'il avait traduit et commenté d'Aristote et de Porphyre, voilà le point de départ de l'esprit humain au moyen âge, voilà le cercle dans lequel il se meut en tâtonnant pendant plusieurs siècles. »

Cette pénurie laissait aussi, il faut le dire, l'esprit plus libre: n'ayant pas à se charger préalablement d'une masse énorme de connaissances, il devenait plus facile d'être original, pourvu qu'on trouvât en soi d'abondantes ressources naturelles. Abailard, en effet, eut bientôt épuisé la science de tous ses maîtres; alors il vint à Paris, qui était déjà le rendez-vous de toutes les illustrations de la chrétienté. La brillait Guillaume de Champeaux, le plus hable dialecticien de l'epoque. Abailard se plaça parmi ses élèves, écouta quelque temps, puis proposa ses doutes au maître, combattit ses réponses, renversa sa

méthode, et força le vieux jouteur désarçonné à aller cacher dans un cloître la honte de sa défaite. Maître à son tour, quoique à peine âgé de vingt ans, Abailard alla ouvrir une école à Melun où se trouvait la cour; plus tard il la transporta à Corbeil, et enfin aux portes mêmes de Paris, sur la montagne Sainte-Geneviève, afin d'être plus à portée d'attaquer chaque jour celui auquel Guillaume de Champeaux avait laissé son école. Alarmé des succès de son adversaire, Guillaume, qui avait repris courage dans sa solitude, accourut à Paris « pour délivrer, comme dit Abailard, le lieutenant qu'il avait installé dans sa forteresse, et pour ravitailler la garnison que son rival tenait assiégée.

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Sur ces entrefaites, le père d'Abailard se retira dans un cloître, et sa mère, suivant cet exemple, rappela son fils pour qu'il assistat à sa prise de voile. Telles étaient les mœurs du temps, au moins celles des familles qui se tenaient en dehors de la grossièreté générale une vie active et sérieuse, puis aux derniers jours la retraite et la prière.

Quand Abailard revint à Paris, Guillaume de Champeaux, son antagoniste, était devenu de moine évêque de Châlons. Abailard abandonna comme lui les sciences profanes pour la théologie, et se fit disciple d'Anselme de Laon, le plus grand théologien de la France, comme il s'était fait l'élève du plus habile dialecticien de l'époque. Le sort de ce second maître fut semblable à celui du premier; Abailard éleva bientôt chaire contre chaire, et les auditeurs d'Anselme, laissant son école déserte, coururent en foule écouter le nouveau-venu. Celui-ci, content de son triomphe et redoutant l'autorité épiscopale du vaincu, quitta Laon pour un plus grand théâtre et revint fixer à Paris son école. Trois mille auditeurs de toutes les nations chretiennes suivirent ses leçons, et parmi eux il s'en trouva qui devinrent pape (Célestin II), cardinaux, évêques, etc. Saint Bernard lui-même fut au nombre de ses disciples. C'est que personne

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