Mais en ce temps-là, ce n'étoit pas seulement Astrée, c'étoit aussi la lune qui se servoit de mulets : Si les mulets sous la nuit brime Ne trainoient le char de la lune, Phœbé avoit probablement adopté ce modeste attelage pour ne pas rivaliser avec les chevaux du soleil son frère. Après cette digression en l'honneur des mulets, Prévost retourne à ses moutons, c'est-à-dire à son âne, et poursuit ainsi : Si quelqu'un me veut d'aventure Des asnes tardifs et musars N'est propre aux belliqueux hasards, Encore pourtant ne faut-il, Defrauder notre aspe gentil Des honneurs acquis en la guerre. Témoin le service qu'il rendit aux dieux attaqués par les géants, lorsqu'il vint si bien en aide aux premiers par son cri, qu'il mit en fuite les mutins. Quel genet sous un cavalier, Acquit jamais un tel laurier? Mais de quelque laurier que l'âne se soit jamais couronné, c'est dans la paix qu'il triomphe : Il sçait labourer et semer, Pais en esté lorsque les bleds Sont en javelles assemblez, De là les conduit au meusnier. Le poète fait ensuite allusion au roi Midas, et dit qu'il faut prendre en bonne part ce que la fable dit de ses oreilles d'âne, qui signifient qu'il entendoit tout ce qui se disoit à sa cour. Quant à cette histoire d'un poète comique, qui jadis mourut en riant de voir un âne manger une figue, l'auteur tourne en raillerie le reproche de gourmandise qu'on pourroit en tirer, et n'y voit qu'un trait de gaillardise D'un asne joyeux et raillard Ce dernier, à son avis, ne pouvoit mourir plus agréablement. Dans la suite de son éloge, Prévost mêle à sa bonhommie une pointe de satire, à propos de l'heureuse condition qu'il attribue aux ânes en ce monde : Les asnes tiennent les offices, Les plus grands ont plus de caquet. Et à ce sujet, l'auteur rappelle le mot de Louis XI, qui donnoit aux ânes le pas sur les chevaux, disant que ces derniers alloient chercher à Rome des mitres pour les premiers. Mais quel plus beau titre de gloire pour l'âne, que d'avoir servi de monture : Au fils de la divine essence, Et cela par deux fois, d'abord lors de sa fuite en Égypte, ensuite lors de son entrée à Jérusalem : Depuis, quand ce Dieu salutaire La croix où souffrir il devoit. Ces derniers vers font allusion à la croix qui est marquée sur le dos de l'âne, circonstance que ne devoit point omettre la piété des catholiques, ingénieuse en ces sortes de raffinements, qui ont besoin d'avoir leur naïveté pour excuse. Prévost termine son éloge de l'âne par un nouveau trait de satire, en donnant à un ami le conseil de laisser là l'étude : Ce soin qui t'empesche de vivre, Les Muses pour la récompense Qu'elle rend l'homme ridicule. L'âne ayant la propriété d'éloigner cette importune pauvreté, veuille donc, s'écrie l'auteur : Veuille donc la faveur royale Un jour m'estre si libérale Au lieu des deux grandes oreilles, Ou voir mon fils asne mythré. C'est assez peut-être nous arrêter sur les poésies de Prévost. Nous aurions pu donner quelqu'analyse et citer quelque fragment de ses tragédies. Nous avons mieux aimé faire connoître son éloge de l'âne. Prévost se présente à vous sous les auspices de cette bonne créature. Le plus humble de ses clients d'autrefois est aujourd'hui son patron, patron que nous avons préféré à Clovis, à Clotilde, à saint Léonard lui-même. Que ces grands personnages nous le pardonnent, et les lecteurs aussi ! Cet article étoit à peine achevé, que nous mettant par curiosité et pour épuiser le sujet, à lire l'éloge de l'âne, par Jean Passerat, nous avons trouvé que les traits les plus saillants de la pièce de Prévost étoient empruntés à son confrère, ou plutôt maître en poésie. L'âne n'a rien à perdre à cette découverte, son éloge subsiste, mais celui de Prévost pourroit en être diminué. Il restera toujours à notre auteur le mérite d'avoir rendu assez gentiment, en notre langue, ce que Passerat n'avoit exprimé qu'en latin. Il y a deux hommes en Passerat : Jean Passerat, et Joannes Passeratius, professor regius, ce qui fait bien des noms en us. C'est ce dernier qui a écrit en latin la pièce du Rien, si vantée en son temps, et qu'on ne lit plus guère, quel que puisse être son mérite. Jean Passerat, au contraire, a fait la métamorphose de l'homme en coucou, pièce charmante et qu'on lit toujours. Si la Muse, au lieu d'inspirer en latin à Joannes Passeratius l'éloge de l'àne, encomium asini, avoit soufflé à l'oreille de Jean Passerat quelques jolis vers sur le même sujet, avec quel agrément ne les lirions nous pas. Hé bien, c'est ce que Prévost a cherché à faire, et ce qu'il a fait de son mieux et selon la mesure de son talent; sachons-lul-en gré. Outre ses tragédies et quelques pièces détachées, Prévost a fait un poème en trois chants, intitulé: Apothéose du très chrestien roy de France et de Navarre, Henry IIII. Ses œuvres ont été imprimées à Poitiers, en 1613, chez Julien Thoreau, imprimeur ordinaire du roy et de l'Université. Ce libraire a pour marque un cygne avec cette légende: Albus intus et in cute. Ce Thoreau étoit probablement le successeur de l'imprimeur Blanchet, qui le premier avoit adopté cet emblème en harmonie avec son nom. VICOMTE DE GAILLON. REVUE DE PUBLICATIONS NOUVELLES. Depuis la dernière Revue que nous avons offerte aux lecteurs du Bulletin, plusieurs ouvrages nouveaux nous sont encore parvenus. Nous en signalerons quelques uns à l'attention des Bibliophiles. Nous inscrivons en premier lieu la Bibliographie biographique universelle, Dictionnaire des ouvrages relatifs à l'histoire de la vie publique et privée des personnages célèbres de tous les temps et de toutes les nations, depuis le commencement du monde |