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pas lu, la tâche seroit difficile, mais au moins feuilleté cet ouvrage pour se faire une idée de la verve de Garasse quand il s'agit d'attaquer ses adversaires. Son imagination, après avoir épuisé tout le vocabulaire des injures, en crée de nouvelles contre les prétendus athées qu'il appelle pécorissimes, pécorifiés, ventres ventrissimes (ventres ventrissimi). Le Dante a effrayé ses contemporains, en affirmant qu'il avoit vu aux enfers certains personnages qui ne paroissoient vivants que parce que le Diable, ayant pris la place de leurs âmes, continuoit à leurs corps le mouvement et l'apparence de la vie. Eh bien, Garasse a créé un mot qui exprime bouffonnement cette pensée dantesque : transsubstandiablés. Et le bon Père, emporté par sa fougue, n'a pas assez de jugement pour sentir qu'il y a dans cette expression une allusion irrévérentieuse à l'un des plus saints mystères de la religion. Les noms que Garasse ramène le plus souvent sous sa plume sont ceux de Luther, ce gros sanglier écumant, de Calvin, de Bèze qu'il se permet de railler sur les cornes que lui a mises au front sa Candide, d'Erasme ce thiercelet d'atheïsme, de Charron, de Vanini; mais c'est contre Théophile qu'il revient surtout à la charge, attaquant à travers les jeux de mots et les quolibets, le dérèglement de sa vie et les impiétés de son Parnasse satirique, où sont indignement parodiés, selon lui, le Magnificat, le Libera me, le Sursum corda. Le livre du Père jésuite a cela de précieux qu'en faisant la part des exagérations, il nous donne une peinture assez vraie de la vie du poète et de ses contemporains. Nous les voyons livrés à leurs passions, hantant les cabarets de la Pomme de Pin et du Cormier. Nous savons le nom que porte leur confrérie, la Confrérie des bouteilles, et qu'elle se réunit quelquefois dans une petite chapelle située en l'île du Pont de bois (l'île Saint-Louis). Une fois entre autres, le jour des Innocents, de l'année 1622, des refrains impudiques y furent chantés parmi des scènes d'ivrognerie, sans doute à l'imitation des anciens divertissements qu'on célébroit ce jour-là; mais les folies de nos jeunes épicuriens n'avoient rien d'innocent. Nous adresserions volontiers à

Garasse la question qu'on lui fit en son temps: Comment étoitil si bien instruit de tous ces scandales? Je n'en sais que trop, nous répondroit-il avec un accent de conviction; plût à Dieu que je n'en susse que la centième partie, et ne fusse pas si savant!

Comme s'il n'avoit pas suffi de ces graves accusations, Garasse amasse contre Théophile tout un menu fatras de peccadilles et de chicanes misérables. Les poëtes dont l'âme mobile est quelque peu à la merci de la pluie et du beau temps, ne sont pas obligés d'avoir la force d'un Pascal qui disoit : J'ai mon soleil ou mon brouillard en moi. Le soleil et le brouillard du dehors influent sur leurs dispositions, et font une partie de leur bonne ou de leur mauvaise humeur. «Quand il pleut, je suis assoupi et presque chagrin; lorsqu'il fait beau, je trouve toutes sortes d'objets plus agréables. » Ainsi parle Théophile, et Garasse, à cet aveu d'un effet naturel de tempérament, de crier à l'impiété, au matérialisme. Un autre jour, le poëte se rendit plus coupable encore; ce n'étoit plus sur le chapitre de la pluie, mais sur un chapitre qui se rattache au premier, celui des manteaux que la pluie rend nécessaires, et dont, malgré cette nécessité, les poëtes ont souvent faute si l'on en croit Regnier :

Là, grâce à Dieu, Phœbus et son troupeau,
Nous n'eûmes sur le dos jamais un bon manteau.

Par suite du bon accueil que la cour faisoit à Théophile, ces vers de Regnier recevoient un démenti. Ma muse, dit le poëte, n'a souci de rien :

On me souffre au coucher du roy,
Et Phoebus tous les jours chez moy

A des manteaux doublés de panne.

Ces manteaux doublés de panne étoient les vêtements d'hiver des bourgeois de Paris : jugez s'il n'y avoit pas de quoi faire

tourner la tête à un poëte des bords de la Garonne. Donc, sous ce manteau, dont la douce chaleur se communique à ses épaules et s'étend autour de son cœur, Théophile-Phoebus se sent pris d'un accès de verve et de bonne humeur (c'étoit le cas d'être joyeux malgré le brouillard et la pluie), il marche à grands pas dans sa chambre que l'on va tapisser, devant sa table chargée d'hypocras fait avec de l'ambre, et, regardant le ciel par sa fenêtre, il nargue cette destinée qui ne lui avoit pas dit son dernier mot :

Mon ame incague les destins.

Les destins ne se mettoient guère en peine d'être incagués par Théophile; mais Garasse, qui en ce moment, sans doute, passoit sous la fenêtre où s'excrimoit le poëte, entendit le blasphème et en prit note. Dans son livre accusateur, il n'ose rapporter et marque par des points le mot qui l'a scandalisé. Autre sujet de querelle auquel on ne se fût pas attendu le pauvre banni s'étant avisé, dans une ode au roi où il demandoit son retour, de se comparer à Job et de trouver que cet homme de bien avoit accusé le ciel d'injustice pour un moindre mal que le sien, Garasse taxa d'irrévérence cette réflexion qui à coup sûr manquoit de justesse, puisque Job, au lieu d'accuser le ciel d'injustice, se résigna, au contraire, et bénit la main qui le frappoit. Étoit-ce un si grand crime que de manquer en ce point à l'exactitude? et la réputation de Job n'est-elle pas assez bien établie pour n'avoir rien à souffrir de cette étourderie? Quant à ce qui est du crime d'irrévérence à l'égard du saint personnage amené mal à propos en scène, essayons de venger un peu Théophile et de prendre en son nom une revanche contre le bon Père. L'occasion s'offre ici d'elle-même et nous ne voulons pas la manquer. Nous voulons bien traiter Garasse avec indulgence, mais nous n'avons point promis de ne jamais égayer nos lecteurs à ses dépens. Disons donc qu'en une certaine préface d'un petit volume composé pour sa propre apologie, il fait très cava

lièrement intervenir Job et sa femme que plus cavalièrement encore il déclare ne pas vouloir épouser. Cette femme du saint. patriarche, c'est la Patience qui « après avoir enseveli Job, son cher mari, a demeuré veuve l'espace de plusieurs siècles et n'a pu trouver de mari au monde que Jésus-Christ, notre maître. › Vous voyez que Garasse, en fait d'irrévérence enjouée, l'emporte encore sur Théophile. Il seroit, en effet, bien téméraire d'oser, après deux premiers maris, dont le second surtout est si considérable, se mettre sur les rangs pour épouser leur veuve. N'osant aspirer au titre d'époux, il se borne auprès d'elle à celui de serviteur.

Puisque voici Job sur la scène, et que nous sommes en train de nous égayer, qu'une petite digression nous soit ici permise pour faire remarquer de quelle singulière façon sa destinée. étoit d'être mêlée à la littérature. Quelques années plus tard, Benserade alloit le faire intervenir dans un sonnet, et lui recruter dans les ruelles un parti, les jobelins. Job présenté à l'hôtel des plus illustres précieuses, craignant qu'elles ne soient pas émues de ses maux, et derrière lui son introducteur, M. de Benserade, approuvant sa crainte, et trouvant qu'en effet, puisqu'il peut parler de ses maux, il en est de plus misérables que lui, la froide galanterie a-t-elle jamais rien imaginé de plus ridicule? Le ton une fois donné se continua de proche en proche. A quelques années encore de distance, un courtisan exilé, avant de faire le récit de sa disgrace, cherche quels illustres malheureux il peut s'associer, et a la malencontreuse idée d'ouvrir sa liste par Job dont il fait un gentilhomme, seigneur de la terre de Hus, comme lui l'était de Bussy, Chaseu et autres lieux. Nous n'en avons point fini avec notre digression sait-on, une fois qu'on s'est jeté dans les sentiers, quand on retrouvera le grand chemin? Voici qu'à son tour Sancho Pança s'égaie aux dépens du saint patriarche. Un jour, causant de son histoire avec don Quichotte, il dut choquer l'esprit sérieux de son maître par cette réflexion plaisante que le Diable qui ôte au saint homme ses richesses, ses troupeaux, ses enfants, se garde bien, il s'en

tendoit trop à faire le mal pour cela, de lui ôter sa femme. Que don Quichotte cependant ne se scandalise pas du propos de son écuyer. Cette même pensée, nous la trouvons, qui le croiroit? dans saint Augustin. Cette circonstance est elle-même plus plaisante que la plaisanterie de Sancho. C'est ici comme chez Nicolet, de plus fort en plus fort. L'un des plus beaux et des plus religieux ouvrages de saint Augustin, ses Enarrations sur les psaumes, ont donné lieu à notre découverte. Voici les expressions du saint docteur Job a tout perdu, le voici sans richesses, solus à facultatibus; sans famille, sans enfants, solus à familia, solus à filiis; il ne lui est resté que sa femme, uxore sane relicta. Vous autres bonnes gens, comme diroit La Fontaine, croyez que le Diable en a agi ainsi par pitié, misericordem putabis Diabolum qui ei reliquit uxorem. Oh! que vous n'y êtes pas! Connaissant comme il fait la femme depuis Ève, et pour l'avoir pratiquée la première, noverat per quem deceperat Adam. Le Diable laisse à Job la sienne, non pour consoler, mais pour accroître ses maux, non mariti consolatricem, sed suam adjutricem, c'est-à-dire comme auxiliaire de lui Satan. Certes, voici bien la pensée de Sancho dans un Père de l'Église; mais, ô ami Pança! vous n'avez pas été la chercher si loin, et il n'y a pas à vous accuser de plagiat, mais à appliquer ici cet adage que les beaux-esprits se rencontrent, car, sous votre rude écorce, vous êtes vous aussi un bel-esprit, grâce à Cervantes qui vous a soufflé votre rôle. Vous le voyez, lecteur, le péché de Théophile est le péché de Garasse, le péché de Bussy, le péché de Benserade, le péché de Sancho Pança, le péché de saint Augustin enfin ! Quel motif pour être indulgent et pardonner à tout le monde! Quant à Job ainsi travesti, ainsi mêlé à toutes les futilités de la littérature, nous le plaignons sincèrement, et croyons que c'est dans ces circonstances bien plus que dans le récit de la Bible qu'il faut aller chercher ses véritables infortunes.

Des infortunes de Job, revenons à celles de Théophile. Le malheureux fugitif, traqué par ses ennemis, après quelque sé

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