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La Typographie françoise est-elle en progrès sur celle des époques précédentes? Y a-t-il, dans les vitrines où sont exposés les livres sortis des presses de l'Imprimerie impériale, de MM. Firmin Didot, Henri Plon, Claye, Paul Dupont, de Paris, Mame, de Tours, rien qui puisse égaler ou surpasser les éditions des Alde, des Estienne, des Plantin, des Pierre Didot, des Bodoni? Les illustrations du présent peuvent-elles être comparées avec ces gloires vénérées du passé, saints du calendrier typographique dont les bibliophiles sont les fidèles? Telles sont les questions que l'on s'adresse en quittant l'enceinte assignée à l'imprimerie dans la nef des Champs-Élysées, et que nous désirons soumettre au public, dont l'opinion peut seule décider en dernier ressort.

Nous ne dissimulons pas notre sympathie pour les anciens imprimeurs; mais nous n'ignorons pas que la bienveillance doit être la première règle dans un pareil examen, et nous

n'aurons aucune difficulté à nous montrer impartial pour des œuvres ou des noms qui méritent l'intérêt de tous.

Notre examen sera fait au point de vue artistique. Les bibliophiles, délicats par essence, ne doivent pas en connoître d'autre. La typographie est pour eux le plus noble des arts, et ils repoussent l'idée même de l'invasion de l'industrie dans le domaine de leurs plaisirs. L'odi profanum vulgus est le premier article de leur symbole. Les éditions à bon marché sont des phénomènes dont ils ne peuvent nier l'existence, mais dont la raison d'être échappe à leur intelligence. L'imprimerie mise à la portée des masses et reproduisant par le clichage, par la galvanotypie ou la galvanographie (mots barbares qui ne peuvent exprimer que des opérations barbares), une multitude de productions dont l'impression et la valeur littéraire sont en parfait accord, leur paroît une regrettable déviation de l'invention de Jean Genfleisch. Dussions-nous être mis au ban par les utilitaires, nous sommes de l'avis de ces délicats.

Les premiers imprimeurs réunissoient deux mérites qui deviennent rares de nos jours. A l'habileté de main-d'œuvre d'ouvriers consommés, ils joignoient les profondes connoissances de l'érudit. Leur science n'avoit d'égale que leur patience. Les exemples en sont nombreux; je n'en veux citer qu'un seul, le plus marquant de tous : Alde l'ancien, l'illustre inventeur des caractères penchés, le premier qui substitua les commodes in-octavo aux lourds in-folio; Alde partageoit son temps entre la révision des manuscrits et la fonte de ses propres caractères. Quand on songe au désordre dans lequel se trouvoit le texte de ces manuscrits qu'il falloit revoir et corriger mot par mot, à l'ignorance des copistes qui les avoient reproduits, à l'absence complète de travaux antérieurs qui pussent le guider; quand on se rappelle que la guerre désoloit alors l'Italie et venoit chaque jour mettre en péril la vie ou la fortune d'Alde, et que, malgré tous ces obstacles, toutes ces préoccupations constantes, pendant vingt ans, de 1495 à 1515, il fit paroître à peu près chaque mois une nouvelle édition d'un classique latin ou

grec, on est saisi d'une exprimable tristesse en lisant ce passage d'une de ses préfaces : « C'est une rude tâche que d'imprimer correctement les livres latins, et plus dure encore les livres grecs, et rien n'est plus pénible que d'apporter tous les soins qu'ils exigent dans un temps aussi dur, où les armes sont beaucoup plus maniées que les livres. Depuis que je me suis imposé ce devoir, voici sept ans que je puis affirmer par serment n'avoir pas joui pendant tant d'années, même une heure, d'un paisible repos. »

Lorsque les recherches scientifiques étoient terminées, arrivoient les travaux manuels. Alde dessinoit lui-même ses caractères, fondus ensuite par Jean de Douai; et, pour les caractères italiques ou aldins, ce fut lui-même, je viens de le dire, qui les fondit. Aussi, quand la mémoire se reporte à des travaux aussi écrasants et aussi héroïquement supportés, trouve-t-on toute simple cette inscription que l'infatigable imprimeur avoit fait tracer sur la porte de son atelier: « Qui que tu sois, Alde te prie et te supplie, si tu veux quelque chose de lui, de le faire vite et de te retirer aussitôt, à moins que, comme Hercule, Atlas fatigué, tu ne viennes pour l'aider de tes épaules; car il aura toujours de quoi t'occuper, toi et tous ceux qui porteront ici leurs pas1. » Jamais homme n'a mieux mis en pratique le précepte contenu dans la devise Festina lente.

On comprend tout ce qu'une pareille sollicitude, une persévérance aussi courageuse, devoient apporter de progrès dans un art à peine naissant. Aussi le seizième siècle est-il la grande époque de l'imprimerie. Les amateurs peuvent demander aux siècles suivants des raretés ou des curiosités, ils n'y trouveront jamais rien qui surpasse les travaux des typographes de la Renaissance. Ces glorieux exemples ont trouvé d'ailleurs, dans des temps plus rapprochés de nous, de consciencieux imitateurs.

(1) Quisquis es, rogat te Aldus etiam atque etiam : ut ni quid est, quod a se velis per paucis agas: deinde actutum abeas : nisi tanquam Hercules, defesso Atlante: veneris suppositurus humeros. Semper enim erit : quod et tu agas, et quotquot huc attulerint pedes. (Préface du Cicéron de 1514).

Au commencement de ce siècle, le nom de Pierre Didot, savant, imprimeur, fondeur, fabricant de papier tout ensemble, est resté comme une des gloires les moins contestées de son art; et, plus près encore de nous, Charles Crapelet a réuni à la critique littéraire une élégance qui en fait en France le dernier grand représentant de l'art typographique.

Un livre, pour obtenir droit de cité dans la bibliothèque d'un amateur délicat, doit réunir certaines conditions qui portent sur quatre objets principaux: le papier, l'encre, les caractères, l'impression.

Le papier doit être blanc, ferme et uni. A la consistance, il doit joindre la souplesse, la douceur et l'égalité de texture et de nuance. Sous bien des rapports, je doute que nos papiers modernes égalent les anciens papiers, et ici encore, la nécessité de produire vite et beaucoup a dû nuire à la qualité. Les papiers dont se servoient les anciens imprimeurs étoient faits de pâte de fil et à la forme. Le chlore n'étoit pas employé pour le blanchiment des chiffons de coton. Le papier étoit moins blanc, mais aussi beaucoup plus ferme, et la main intelligente de l'homme apportoit à sa confection une attention que l'on ne peut demander à une aveugle machine. Composée de matières sans cohésion, chargée d'éléments corrosifs, saisie par un rouleau de fonte qui la sèche instantanément, la pâte de nos papiers, cotonneuse, spongieuse, se détériore avec une déplorable promptitude, se couvre de piqûres ou s'effrite à la main. Dans cinquante ans d'ici elle tombera en lambeaux. Les anciens papiers étoient, en outre, toujours collés, ce qui, malgré leur minceur, leur donnoit une solidité que l'on ne peut remplacer par l'épaisseur. M. Ambroise-Firmin Didot, dont l'opinion fait autorité en ces matières, reconnoît que les papiers modernes « ne possèdent ni la solidité, ni l'inaltérabilité des anciens papiers1. » Un pareil aveu nous dispense de considérations ultérieures.

(1) Rapport de M. Ambroise-Firmin Didot, à la suite de l'Exposition de Londres (1851).

Pour que l'encre d'imprimerie soit belle, il faut qu'elle soit noire, brillante, siccative, ne laissant ni viscosité ni maculatures. Ici, malgré l'opinion d'un de nos premiers imprimeurs, M. Paul Dupont, je crois que les procédés modernes sont supérieurs à ceux des anciens. Jadis les imprimeurs composoient eux-mêmes leur encre, et l'on peut croire qu'ils soignoient cette opération. Aujourd'hui, cette fabrication est devenue une branche spéciale d'industrie; mais, grâce aux découvertes de la chimie, « la mauvaise qualité de l'encre, que l'on remarque dans les éditions actuelles, provient beaucoup moins de l'ignorance du prétendu secret de la bonne fabrication que d'une parcimonie mal entendue, tant de la part de l'acheteur que de la part du vendeur1. » C'est-à-dire qu'en y mettant le prix on a de belle et bonne encre.

En outre, le procédé de distribution est supérieur à ceux employés autrefois. Il n'y a pas longtemps encore, l'encre étoit distribuée sur la forme avec un tampon imbibé, manœuvré par un ouvrier ad hoc. Quelles que fussent l'habileté et l'habitude singulières acquises dans cet exercice, il arrivoit souvent que le tampon, inégalement imprégné ou inégalement manœuvré, chargeoit plus un côté de la forme qu'un autre. De là un manque d'uniformité dans la distribution de l'encre. Par le procédé nouveau, cette inégalité disparoit. Le mouvement de va-et-vient imprimé à la table sur laquelle sont placées les formes fait tourner sur la forme même plusieurs rouleaux de gélatine couverts dans toute leur longueur par l'encre et la distribuant également et avec une égale pression aux caractères. Certainement l'encre des éditions courantes est quelque chose de déplorable, mais les typographes qui ont le sentiment de leur art l'abandonnent au condottieri de l'imprimerie, et quand ils veulent attacher leur nom à de belles éditions, il se servent d'une encre supérieure en qualité à celle de leurs devanciers. Elle pourra s'altérer; mais, dans ma conviction, cette altération viendra de la qualité du papier et non de celle de l'encre.

(1) Histoire de l'Imprimerie, par Paul Dupont, t. II, p. 414, Paris, 1854.

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