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étoit un peu, s'en prenoit du discrédit où il disoit qu'étoit tombée la poésie :

Ce malheur est venu de quelques jeunes veaux,
Qui mettent à l'encan l'honneur dans les bordeaux,
Et ravalant Phoebus, les Muses et la Grace,

Font un bouchon à vin du laurier du Parnasse.

Théophile n'étoit pas encore connu, lorsque Régnier fit ces vers, sans quoi on croiroit qu'ils le désignent; il n'y a pas jusqu'à cette expression de jeunes veaux qui ne semble, d'avance, une allusion à son nom de famille, de Viaud, allusion que Garasse a répétée jusqu'à satiété. Il débuta par sa tragédie de Pyrame et Thisbé qui fut bien reçue à la cour et dont le roi lui fit compliment. Bientôt sa vie dissipée, l'application de son talent à des sujets moins élevés que la tragédie, le mirent en mauvais renom, et il eut à subir, vers 1619, un premier exil qui ne fut pas de longue durée. Cette leçon ne le corrigea pas, et l'on sait comment sa disgrâce se renouvela et s'aggrava en 1622 à l'occasion du Parnasse satyrique qu'on lui attribua en partie, malgré ses dénégations et les poursuites que lui-même exerça contre les éditeurs. Bientôt la clameur fut telle, qu'il crut prudent de se dérober par la fuite, à la justice du parlement; un arrêt survint qui le condamnoit à être conduit dans un tombereau jusqu'à la principale porte de Notre-Dame, pour y faire amende honorable, puis à être brûlé vif sur la place de l'Hôtel-de-Ville, son corps réduit en cendres et les cendres jetées au vent. L'arrêt lui donnoit trois compagnons : Berthelot, Colletet et Frenide; Berthelot devoit être pendu et étranglé à une potence. Quant à Colletet, jugé moins coupable, il n'étoit condamné qu'à neuf années de bannissement hors du royaume, sous peine, s'il ne gardoit son ban, d'être aussi pendu et étranglé. Qu'est-ce que ce Colletet? Seroit-ce, par hasard, Guillaume que cette aventure de jeunesse n'empêcha pas de devenir membre de l'Académie Françoise, et l'un des cinq collabora

teurs de Son Éminence Mgr le cardinal de Richelieu, et qui corrigé de faire des vers gaillards, n'en fit plus que de ridicules qu'admira et récompensa son puissant protecteur? Pour ce qui est de Frenide, nous ferons comme le parlement qui, après avoir décrété à son sujet des informations, cessa probablement de s'occuper de lui. L'absence des coupables ayant été prévue, il était dit que dans le cas où on ne pourrait les appréhender au corps, ils seroient suppliciés, Théophile par figure et représentation, Berthelot par un tableau attaché à la potence. Ce cruel et ridicule spectacle fut donné au public le 29 août 1623.

Il est difficile de ne pas trouver bien sévère cet arrêt du parlement, où le bûcher et la potence reviennent trop souvent à propos de chansons. Peut-être aussi, sans prétendre excuser Théophile, seroit-ce ici le lieu de montrer comment ses fautes se rattachoient à tout un côté de l'esprit du temps. Le XVII siècle, après les révolutions religieuses du XVIa, s'ouvroit comme une époque de raffermissement pour les deux autorités monarchique et catholique. Paris, le théâtre des fureurs de la ligue, s'étoit rendu à Henri IV, mais la ligue avoit en réalité vaincu son vainqueur. Le roi des huguenots avoit été forcé d'abjurer; d'ailleurs, par l'avènement de son fils qui étoit aussi celui de Marie de Médicis, toute tache, tout soupçon d'hérésie disparoissoit de la maison de Bourbon. La puissance des protestants diminuée n'attendoit, pour subir le dernier coup, que le bras vigoureux de Richelieu. La société, heureuse de cette consolidation des pouvoirs qui la protégeoient, suivoit cette double pente à travers quelques secousses inévitables, quelques remuements, vaine image des troubles passés. Mais dans tout état social, il y a toujours plusieurs courants d'idées; la question religieuse tranchée dans les faits et par la force des armes, ne l'étoit pas dans les consciences; la lutte y subsistoit sérieuse, ardente. Le catholicisme, il est vrai, se sentoit comme chez lui en France, et tenoit le haut du pavé, mais un autre ennemi surgissoit. Les discordes de l'âge précédent, les discussions théologiques entre les deux religions avoient porté leurs fruits,

et produit ce que produisent toujours de pareils debats. Les sceptiques, les incrédules, sans prendre part à la querelle, en disoient leur mot tout bas, et en rioient sous cape. Ce scepticisme ne ressembloit plus à celui de Montaigne qui, mettant la religion à part, ne s'exerçoit que dans les hautes spéculations de l'esprit, dans les questions inoffensives et vagues de la philosophie. Dans ces régions élevées, le doute (celui dont nous parlons) se serait morfondu lui qui, surtout à sa naissance, est aggressif; ce n'est que plus tard, et sur les ruines accumulées par lui, qu'il devient triste et méditatif. Sous Louis XIII, son œuvre commence, ne l'oublions pas. Donc, en ce temps-là, il y avoit toute une bande de beaux-esprits inquiets ou railleurs, avides de dogmatiser, à qui la haine de la religion tenoit déjà lieu de croyance. La Bible, tirée en tous sens par l'argumentation des théologiens, n'étoit plus pour les libertins qu'un sujet de moqueries, moqueries que Voltaire reprit un siècle plus tard, presque dans les mêmes termes et sur les mêmes sujets. Puisque nous venons de nommer Voltaire, disons qu'en France à l'époque où nous sommes, on peut déjà se figurer un petit XVIIIe siècle, comme si l'on voyoit se former et se chercher ces ruisseaux qui réunis à 150 ans de là, formeront ce fleuve grossi et débordé qui submergera tout l'état social. Garasse, qui vit et connut le mal, l'augmenta en voulant le combattre; ses raisonnements n'étoient propres qu'à prêter des armes aux ennemis de la religion. Mais ce mal, Garasse n'est point le seul à le signaler. Un auteur qui ne sera point suspect, un poète huguenot d'un esprit aventurier, un faiseur de tragédies qui eut une fin tragique, Montchrestien, dans son Traité d'Economie Politique, publié en 1615, se plaint de la licence des mœurs et du débordement de l'impiété. Il montre celle-ci parlant haut, et l'athéisme qui, sorti de ses profondes cachettes, ne murmure plus entre ses dents et ne parle plus à l'oreille, mais ouvre la bouche haut et clair en blasphêmes exécrables contre Dieu. Un contemporain de Garasse, religieux aussi, mais plus grave, et dont le caractère a une autorité qu'on ne sauroit récuser,

l'ami, le correspondant de Descartes, le père Mersenne, tout retiré qu'il est dans son couvent de l'Annonciade, près la place Royale, entend les mêmes blasphêmes et les dénonce. Dans ses Commentaires sur la Genèse, il s'en trouble, s'en préoccupe et dresse une liste des impies du temps, liste qu'il lui fallut supprimer dans les éditions suivantes. Mais ce n'étoit pas assez de traiter en passant de cette plaie, il lui consacre un livre spécial. « Voyant, dit l'auteur de sa vie, le père Hilarion de Coste, que l'impiété s'augmentoit en ce malheureux siècle, et que Dieu étoit grandement déshonoré par quelques jeunes libertins, il lui vint une forte inspiration de réfuter, en françois, leurs détestables maximes, comme il l'avoit déjà fait en latin, dans son Commentaire sur la Genèse. » C'est pourquoi il mit en lumière un livre divisé en deux parties. sous ce titre : l'Impiété des déistes, des athées et des subtils libertins de ce temps, combattue et renversée de point en point par raisons tirées de la philosophie et de la théologie. C'est presque le titre de l'ouvrage du père Garasse : la Doctrine curieuse des beaux-esprits de ce temps, combattue et renversée, etc.

Le volumineux pamphlet du père jésuite parut la veille du jour où devoit se jouer la tragédie de la place de Grève; c'étoit comme le tocsin funèbre sonné contre le pauvre poète, avec les grelots de la folie. Mais avant de parler du livre, disons un mot de l'auteur dont le nom s'est déjà bien des fois rencontré sous notre plume. Garasse est bien l'esprit le plus falot, le plus grotesque qu'il y ait au monde, et cela avec les meilleures intentions, et sans que l'on puisse des extravagances de son imagination, rien conclure contre le fond solide et réel de sa piété.

Nous avons dit qu'il ne falloit point séparer Théophile de cette jeunesse émancipée sur laquelle il se modeloit; lui aussi le bon père, il faut le voir dans le milieu qui l'entoure. Successeur et héritier de ces prédicateurs de la ligue, dont les plaisanteries n'étoient pas encore oubliées, il nous faut lui pardonner les rires qu'il excite dans son auditoire, et penser qu'à quelques pas de

lui, l'ami de Saint-François-de-Sales, l'évêque de Belley, produit le même effet, et parlant, par exemple, de certains moines dont il veut railler la dévotion superstitieuse, dit qu'ils sont moins crucifiés que cruchifiés. Mais ce n'est point assez qu'avant d'arriver à la poésie, le burlesque règne dans la chaire évangélique, cette même chaire est en proie à la licence aristophanesque on y nomme les choses et les gens par leur nom; Théophile et ses compagnons y sont désignés, dénoncés ; quelquefois eux-mêmes font partie de l'auditoire, chuchotant, troublant le sermon par leurs murmures. Au sortir de l'église, le prédicateur retrouve sous le portail cette jeunesse accusée par lui, qui lui lance à son tour ses brocards. Tout cela n'est guère édifiant, et ce n'est point ainsi que les Bourdaloue et les Bossuet interpelleront, dans ces mêmes chaires, les successeurs de ces libertins; Théophile, du reste, n'étoit point attaqué dans toutes les chaires, tandis que Garasse s'acharnoit à le poursuivre. Ce même Camus, évêque de Belley, dont nous venons de parler, lui faisoit, au contraire, l'insigne honneur d'emprunter à ses poésies des passages dont il appuyoit ses sermons, et le poète de s'applaudir, en pensant que ces fleurs cueillies dans ses jardins, vont, grâce à cette transplantation, répandre leur odeur dans l'univers. Hélas! l'univers s'est bien vite rétréci et fermé pour les sermons de Camus et pour les poésies de Théophile. Il n'en est pas moins singulier de voir les textes d'un des auteurs du Parnasse satirique cités, peut-être, à côté de ceux de Saint-Paul. Etoit-ce une espiéglerie que jouoit Camus à son rival le père jésuite? Tout cela, il faut l'avouer, ne tournoit qu'au profit du diable, et qu'à agrandir la seigneurie de ce dernier, que Garasse compare au pauvre état, en ce monde, de Jésus-Christ, qu'il appelle un cadet de Gascogne. Le cadet de Gascogne est devenu, de nos jours, dans un sermon célèbre, le premier gentilhomme du monde, et ce rapprochement, s'il n'incrimine point le père Lacordaire, excuse au moins le père Garasse.

Cette plaisanterie nous ramène au livre de la Doctrine curieuse. que nous avions un peu perdu de vue. Il faut avoir, je ne dis

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