AU PEUPLE. Mes FRÈRES, Vous aimez la franchise, et ne pouvez souffrir qu'on y aille par quatre chemins pour vous dire vos vérités, fût ce à bout portant. Laissez moi donc vous en dire une; elle vous expliquera la singularité de la forme et du ton de cet ouvrage. Emportés par un tourbillon continuel d'événements, d'affaires, de plaisirs, pénétrés comme d'une atmosphère d'indisférence et de frivolité, vous n'avez plus de goût aux choses sérieuses; les savantes dissertations vous fatiguent, les discussions philosophiques vous rebutent, les grands traités vous font peur: un livre de piété, si mignon, si onctueux, si parfumé qu'il puisse être, agit sur vos nerfs, et, pour vous plaire, ce n'est plus assez aujourd'hui d'avoir du talent et de vous aimer; il faut encore savoir vous prendre à vos heures et se mettre à votre unisson..., quand il vous plaît de rire ou de chanter, Et je viens, moi, pauvre et nạif enfant des montagnes, vous offrir un hommage... de prônes et de sermons !.., des prònes, à qui baille au théâtre; des sermons, à qui s'endort sur les rotnans !... Ra surez-vous pourtant, mes fréres ; je ne viens pas troubler votre gaite; c'est en riant que nous ferons de la morale: mais si parfois quelque sombre tableau passait sous vos yeux, ne vous hâtez pas de rejeter ce livre ; rappelezvous alors le véritable but de l'auteur en vous parlant un langage badin; armez-vous de courage, et pensez à la pierre brûlante qui cicatrise les chairs d'un malade pour lui épargner la gangrène et la mort. Mais, pour Dieu, ne criez pas au scandale en voyant un pròtre interrompu au pròne; ce prêtre gémissait de la solitude du temple, où la parole sainte se perdait dans le désert; il en était aux expédients pour ramener son peuple autour de la chaire chrétienne, et, ne pouvant l'attirer par ses talents, il a choisi la enriosité; mohile frivole, si l'on veut; mais le siècle lui-même est si frivole! et puis, nos missionnaires en ont-ils employé un autre pour humaniser les peuplades sauvages du Nouveau-Monde? ne les vit-on pas sur ses barques légères marier tour à tour leurs pieux cantiques au ramage des oiseaux, et les sons de la Jyre au bruit cadence des flots harmonieux ? Pourvu que le bien s'opère et que le navire aborde, qu'importe le nom de la vague qui le lance vers le rivage ? 21645 yos oripraux et vos guenilles pour amuser les enfants et les bonnes femmes; vous pous avez trop longtemps tenus au maillot, nous voulons enfin marcher sans lisières: assez, assez de pain bénit comme cela. Il est fou ! - Fou vous-même, monsieur; si votre rôle est d'abrutir le peuple, le mien consiste à l'éclairer. -Ah! mille pardons, monsieur Lucien, j'oubliais..., mais à vrai dire, je ne croyais pas tant de trésors de verve et d'éloquence dans l'étude de la bålarde et de l'alphabet. Kaillez tant qu'il vous plaira, monsieụr; le silence et le mépris seront ma réponse. - Mais enfin, me direz-vous le but de cette provocation en plein vent ? - Ah! c est donc vous provoquer, monsieur le curé, que de vous soutenir que ce sont les prêtres qui ont invente l'enfer, la messe, l'abstinence, le jeûne, l'absolution et tout ce fatras de chris:ianisme dont Dieu ne se soucie guère, mais dont les prêtres et les jésuites ont faji leur grand cheval de bat ille? - Mais pour quel motif, et quel grand intérêt y avaient ils done, je vous prie? M. Lucien (riant) : Ah! ah! voyez donc la malice ! mais l'intérêt de la cupidité, de la domination ! Ce sont donc en résumé les prêtres qui ont inventé lą religion? Qui, Monsieur! (Quelques voix dans la foule) : Bravo, bravo, M'sieu l'Régent!. Eh bien : monsieur Lucien, voulez-vous connaitre làdessus mon sentiment et mon unique réponse ? Oui, parlez ! - C'est une platitude à force d'i tre répétée, et dans le même cas..., vous permettez ? J'enrage ! mais parlez donc ! Çelại qui a le premier découvert cette vérité lumineuse peut avoir son mérite, sans doute; mais il n'a surement pas inventé la poudre (Rire général), et vous êtes trop modeste, Monsieur, pour vous attribuer un pareil honneur, - Des insultes ne sont pas des raisons, monsieur le cure; et je soutiens que la religion est une invention des prêtres pour dominer et s'enrichir. Où donc alors, quand, par qui a été faite cette sublime découverte? citez, nommez, je vous prie ; on ne détruit pas d'un mot, eut-on la science de Voltaire, fut on mème maitre d'école, la croyance du genre humain! Et vous n'ignorez pas sans doute, que dans tous les temps et les pays du monde, toutes les nations, mame les plus sauvages et les plus barhares, ont eu leurs divinités, leurs ceremonies, leurs timples, leurs prêtres et leurs auiels... Citez donc, Monsieur, nommez, encore une fois, et je vous inels au défi de rien dire qui ait l'ombre du bon sens. (M. Lucien, se grattant la tête) : Eh! mais... c'est trèsfacile assurément...c'est, je crois, sous Zoroastre, Consucius... ou du moins sous Lycurgue et Solon... J'ai du reste dans ma bibliothèque une sıvante dissertation d'un auteur fort ancien, je pourrai vous la montrer plus tard... quand vous voudrez. (M. le curé, avec un léger sourire) : Et si je vous priais d'aller la chercher et de nous lạ montrer tout à l'heure?... Allons, ne rougissez pas ainsi; avouez de bonne foi votre défaite et reconnaissez cette poudre de perlimpinpin dont vous parliez naguère, et dont vous voudriez comme toujours aveugler ces braves gens... Voyez, mon cher, ça ne prend pas; choisissez-la donc à l'avenir de meilleur aloi. Quand il vous plaira de nous montrer cette savante lissertution, nous la lirons avec reconnaissance; surtout si vous vouliez bien à notre prochaine entrevue être plus loyal dans vos raisonnements, et rester dans une question jusqu'à ce qu'elle soit épuisée, pour en prendre une autre; sans quoi nous ferions du gâchis, ou bien un pot-pourri, comme vous dites dans ce siècle de vapeur, de gaz et de lumières, et ces bonges gens n'y verraient que du bleu; ainsi donc c'est entendu, nous nous reverrons ? Oui, Monsieur! Et avec la dissertation savante de l'auteur fort ancien ? (M. Lucien, påle de colère) : Soyez tranquille, monsieur le curé ; vous trouverez bientôt à qui parler. A votre aise, Monsieur; mes bons amis, au revoir. ( M. Lucien aux paysans , tandis que le curé s'éloigne): Voyez un peu cet air sentencieux ! ne dirait-on pas qu'il parle toujours comme le pape ; ex cathedrå, du haut de la chaire, urbi et orbi ? Ah! c'est que lorsqu'il sermonne, il a beau jeu, le compère; il sent très-bien que personne n'osera le contredire; les lois sont si formelles ! Vrái Dieu ! s'il m'é. lait permis de l'interrompre, et de réduire à leur juste valeur les contes qu'il nous dèbite! mais le moyen, s'il vous plait, de n'avoir pas toujours raison quand on parle tout seu)? (Un villageois) : Oui dà! et lorsque tout l'monde est prêt à crier amen! (Un autre) : 05! ça, vrai de vrail qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son. |