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Quelle journée fut jamais plus remplie d'émotions de toute nature! La nouvelle s'était répandue dans le bourg. Marc, depuis le moment où il s'était senti entraîné par la vague, ne se souvenait absolument de rien. On criait au miracle: un ange avait recueilli l'enfant et l'avait porté dans son lit' Tous les habitants, attroupés sur le quai, assiégeaient la porte de Mme Henry et demandaient à voir le petit Marc, trop faible encore pour pouvoir des

cendre; Mme Henry fut obligée de se montrer à la fenêtre et de le présenter à la population émerveillée. Assis sur le seuil de la porte, et complétement étranger à ce qui se passait autcur de lui, Bibia collationnait tranquillement d'une croûte de pain et d'un oignon cru.

Cependant les premiers transports apaisés, la mère avait reconnu le châle dans lequel son fils était enveloppé : c'était le tartan qu'elle avait laissé aux mains de Bibia. Quelle apparence que Bibia eût joué un rôle dans cette aventure? Seule, Mme Henry, sans pouvoir l'expliquer, entrevoyait déjà la vérité. Avant de se faire dans son esprit, la lumière se faisait dans son cœur : l'esprit cherche, le cœur devine.

Une chaloupe qui avait disparu du port pendant la nuit venait d'être retrouvée au fond d'une anse, près du bourg de Batz, sans un homme d'équipage

à bord.

Voici ce qu'on apprit dans la soirée :

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Il y avait sur la côte, au-dessus de la baie où la chaloupe était encore échouée, une masure qu'habitait un pauvre ménage. L'homme était malade; la femme avait passé toute la nuit à son chevet. Une heure avant que le jour parût, la porte s'était ouverte comme poussée par un coup de vent, et Bibia était entré avec un enfant dans ses bras.

L'enfant était roulé dans un châle, sans connaissance, à moitié mort de froid. Bibia semblait transfiguré : ses yeux brillaient comme deux tisons. A peine entré, il avait jeté deux fagots dans la cheminée, présenté l'enfant à la flamme, et, tout en le berçant sur ses genoux, il lui versait goutte à goutte entre les lèvres le vin d'une fiole entourée d'osier, qu'il avait tirée de sa besace tout cela avec l'intelligence et la tendresse d'une mère. Vingt minutes après, il s'en allait comme il était venu, emportant avec lui l'enfant, qui dormait contre sa poitrine.

L'ange, c'était Bibia. Quoi! dira-t-on, ce monstre, ce méchant, cet idiot? Eh bien, oui! il avait suffi de la bonté d'une femme, des caresses et de la grâce d'un enfant, pour jeter dans cette fange un germe d'affection, de reconnaissance et de dévouement. Ce germe, indolent, presque inerte, avait éclaté tout à coup en présence du désespoir et de la fureur de la mère. Bibia avait compris enfin que Marc était parti avec les autres, que sa vie était en danger. Instinctivement, sans conscience peut-être de l'acte prodigieux qu'il allait accomplir, comme un projectile obéissant à l'impulsion qu'il a reçue, Bibia avait couru vers le port, il s'était précipité dans une chaloupe, il avait gouverné sur la Roche, il était arrivé juste à point pour saisir l'entant que la vague emportait. Dieu l'avait conduit, Dieu l'avait

ramené. La lueur qui s'était faite en lui n'avait duré que quelques heures: sa mission remplie, son œuvre terminée, le pauvre idiot était retombé dans sa nuit, il ne se souvenait plus. Mme Henry eut beau le tourner et le retourner de tous sens, aucun tressaillement intérieur n'ébranla sa carapace informe.

« Embrasse-le! dit-elle à Marc en le jetant au cou de Bibia.

Bibia regardait tour à tour la mère et l'enfant. Il porta à sa bouche un des doigts de sa main, celui qu'avait pansé Mme Henry, et il s'éloigna.

Quand j'arrivai au Pouliguen, le hameau se remettait à peine de ses émotions. J'assistais, le lendemain, à une cérémonie touchante. Dès le matin, tous les enfants, dans leurs habits de fête, se tenaient rangés le long du quai, sur une seule file. Au premier appel des cloches, qui sonnaient à toute volée, le cortége s'ébranla, et se déroula sur la côte en se dirigeant vers le bourg de Batz. Pieds nus, chacun d'eux un cierge à la main, ils se rendaient en pèlerinage à la chapelle de la Vierge : c'était un vœu qu'au moment suprême ils avaient fait, sur la Roche, à NotreDame-de-Bon-Secours. Les familles cheminaient derrière; M. et Mine Henry fermaient la marche. A la même heure, le curé du bourg de Batz et son vicaire, précédés de la crcix et de la bannière, sui

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