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tables synoptiques de ses synonymies ou divers temps ne seraient pas sans intérêt pour le linguiste. »

Voilà ce que Nodier disait de l'argot dans son catalogue de 1844, au n° 198. D'un autre côté, l'auteur du Dernier jour d'un condamné, après avoir rapporté, au chapitre XVI, les sept couplets d'une chanson d'argot, qu'il met dans la bouche d'une jeune fille de quinze ans, ajoute : « C'était une chose repoussante que toutes ces monstrueuses paroles sortant de cette bouche vermeille et fraîche. On eût dit la bave d'une limace sur une rose. Je ne saurais rendre ce que j'éprouvais; j'étais à la fois blessé et caressé. Le patois de la caverne et du bagne, cette langue ensanglantée et grotesque, ce hideux argot, marié à une voix de jeune fille, gracieuse transition d'une voix d'enfant à une voix de femme! tous ces mots difformes et mal faits, chantés, cadencés, perlés! »

Telle est l'impression produite par l'argot sur le condamné à mort, ou plutôt sur son éloquent interprète, qui n'a besoin que de quelques mots pour caractériser à merveille cette langue étrange, si riche en expressions immondes. Sans doute elle ne m'inspire pas moins de répugnance qu'à lui, qu'elle soit dans la bouche d'une jeune fille ou dans celle d'un vieux larron; sans doute je n'entends jamais parler argot sans un sentiment de frayeur et de tristesse qui remue tout mon être ; et malgré cela j'ai toujours éprouvé une envie irrésistible de me familiariser avec les formes de ce mystérieux jargon, et de me rendre compte de ce qu'il est, de ce qu'il a pu être, non-seulement en France, mais encore dans les autres parties de l'Europe. C'est chez moi une curiosité comparable à celle du digne Parent-Duchâtelet, cet homme au cœur si pur, dont la vie se passa dans le contact, dans l'étude des impuretés de toutes les espèces; curiosité encore plus semblable à celle du missionnaire anglais George Borrow, qui, au début de son livre sur les Bohémiens d'Espagne, avoue s'être toujours invariablement intéressé à cette race, et n'avoir jamais entendu prononcer le nom de Gypsy sans être agité de sentiments difficiles à définir, mais dans lesquels prédominait un plaisir étrange. A tout prendre, ce plaisir n'est peut-être que celui dont les femmes et les enfants, surtout les natures nerveuses, se montrent si avides, et qui les porte à suivre les débats des cours d'assises, à se pencher sur un abîme dont la vue fait refluer tout le sang au cœur, à contempler des cadavres, des reptiles et des

monstres.

S II.

De tout temps il y a eu des gueux, des voleurs; c'est une de ces vérités qui n'ont nullement besoin d'être démontrées. Ce qui n'est pas aussi connu, c'est leur histoire dans l'antiquité (4) et dans le moyen âge, leur organisation en bandes, leurs coutumes, et le langage dont ils se servaient, soit pour communiquer entre eux, soit pour dérober la connaissance de leurs secrets à la justice, et de leurs projets à leurs victimes; et cependant il n'y a pas à douter que les vagabonds et les voleurs des anciens temps ne se comportassent comme ceux de nos jours: les mêmes nécessités engendrent les mêmes moyens d'y parer.

Ce serait un livre bien curieux que celui qui nous aurait conservé la manière de vivre et les exploits des Cartouches, des Mandrins et des gueux et bélitres de Rome et d'Athènes; mais l'histoire et la poésie n'ont pas daigné descendre jusqu'à ces héros, que je soupçonne de faire partie de ceux dont Horace disait :

Multi, sed omnes illacrymabiles
Urgentur, ignotique longa

Nocte, carent quia vate sacro.

(HORAT., Od. 9, lib. IV.)

Il nous faut donc renoncer à savoir si ces grands hommes inconnus, quos fama obscura recondit, comme dit Virgile (5), parlaient un argot quelconque.

Toutefois, un rimeur du dernier siècle, auquel l'idée vint de célébrer un héros du même acabit, dans un poëme peu fait pour accroitre la réputation de l'un ni pour en donner à l'autre, Nicolas Ragot, dit Granval, ne craignit pas d'avancer, après Furetière, que ce mot venait de la ville d'Argos, en Grèce. C'est lorsqu'au chant X, réunissant son héros avec quelques-uns des principaux de sa bande et leurs maîtresses, au cabaret de la Courtille, il fait dire par Cartouche à Lisette, son amie :

Votre aspect, ma déesse, embellit seul ces lieux...

Je veux sur votre nom faire des anagrammes,

Des sonnets, des chansons, des..... Je veux, en un mot,
Employer comme il faut le plus sublime argot.

Je me surpasserai. Que vous serez contente,

a.

Vous qui parlez si bien cette langue charmante!
Mais, à propos d'argot, dit alors Limosin,
Ne m'apprendrez-vous pas, vous qui parlez latin,
D'où cette belle langue a pris son origine?

De la ville d'Argos, et je l'ai vu dans Pline,
Répondit Balagni; le grand Agamemnon
Fit fleurir dans Argos cet éloquent jargon.
Comme sa cour alors était des plus brillantes,

Les dames de son temps s'y rendirent savantes.
Électre le parlait, dit-on, divinement;

Iphigénie aussi l'entravait gourdement.

Jusqu'aux champs phrygiens les Grecs le transporterent,
Tous les chefs en argot leurs soldats haranguèrent,
Connaissant quelle était sa force et sa vertu

Pour pouvoir relever un courage abattu.

J'ai vu, s'il m'en souvient, dans Ovide ou Virgile,
Que, lorsqu'on disputa pour les armes d'Achille,
L'éloquent roi d'Ithaque en eût été le sot

S'il n'eût pas su charmer ses juges en argot.

Cartouche, ayant ensuite repris la parole, non-seulement approuve le discours de Balagni, mais, poussant encore plus haut l'origine de l'argot, il la fait remonter jusqu'à la conquête de la Toison d'Or (6).

C'est là, à notre sens, une témérité; mais de quoi des scélérats tels que Cartouche ne sont-ils pas capables? Nous ne voudrions pour rien au monde qu'on nous crût son complice, surtout dans une entreprise aussi périlleuse que la recherche de l'étymologie du mot argot.

Plus braves que nous, plusieurs savants l'ont tentée, et n'ont pas douté un seul instant qu'ils n'eussent réussi. Le Duchat, dans sa note 14 sur le livre II, chap. x1, de Rabelais (7), dit que ce mot, « qui proprement signifie le jargon des Bohémiens, vient..., très-vraisemblablement de Ragot, par une légère transposition de lettres, et non pas de la ville d'Argos,» etc. Ragot était un fameux bélitre, contemporain de Louis XII et quelque peu de François Ier, souvent cité par les écrivains de l'époque (8), et que les gueux du temps considéraient comme leur législateur, s'il faut en croire Noël Dufail (9). « C'est de là, ajoute le Duchat, parce que les gueux et mendiants prennent toujours le ton plaintif lorsqu'ils vous abordent, qu'on a dit ragoter, pour grommeler, se plaindre, murmurer en se plaignant. »

Il eût été bien plus simple, comme Roquefort l'a fait observer avant nous (10), de dire que l'on avait donné le nom d'argot au langage des gueux de l'hostière, parce que ces gens, sans aucun doute, parlaient le lan

gage de Ragot; et puis, pour le remarquer en passant, ragoter ne signifie pas se plaindre, mais gronder, murmurer, ou grommeler à toute heure, suivant l'explication d'Oudin, qui fait précéder ce mot d'une étoile (11).

Quoi qu'il en soit, le Duchat ne persévéra point dans l'opinion qu'il avait émise en commentant Rabelais; il l'abandonna pour s'en former une autre, qu'il consigna dans ses notes sur le Dictionnaire de Ménage : « A Metz (dit-il), les enfants ont entre eux une espèce de jargon ou d'argot, qui consiste à allonger chaque syllabe de leur discours de deux autres syllabes dans la première desquelles domine un R, et dans l'autre un G. Par exemple, pour dire, Vous êtes un fou, ils diront: Vousdregue esdregue undregue foudregue. Ce pourroit bien estre là proprement l'argot, qu'on auroit nommé de la sorte à cause de l'R et du G qui y dominent (12). » Voilà certainement une découverte dont tout le monde n'eût pas été capable : j'avoue cependant que j'aurais préféré voir cette explication de le Duchat dans ses notes sur Rabelais, qui, en cet endroit, ne se fussent pas montrées moins plaisantes que le texte.

Un autre commentateur de Ménage revint au grec, en se fondant sur d'autres motifs que Furetière. Après avoir cité la première explication proposée par le Duchat, Vergy ajoute: « Je ne sais si cette étymologie trouvera beaucoup de partisans. Pour moi, je suis convaincu que le mot argot vient du grec, et qu'il a été fait d'apyós, qui signifie un fainéant, qui mène une vie oisive, qui n'a ni travail ni métier; que de ce mot grec, qui convient si bien à cette sorte de gens, on a appelé argot le jargon qu'ils parlent entre eux : de même que nous disons l'esclavon, l'espagnol, pour exprimer la langue que les Esclavons et les Espagnols parlent (13). »

De nos jours, un savant académicien, Clavier, pensait que, l'argot ayant été formé par les gueux et les voleurs pour n'être point entendus lorsqu'ils s'entretiendraient de leurs complots, ils lui avaient donné ce nom par allusion aux ergo des écoles, manière de parler qui n'était usitée que là. M. de la Mésangère, qui reproduit cette étymologie dans son Dictionnaire des proverbes français, pag. 21, la trouve excellente pour moi, sans m'en expliquer davantage ici, je m'étonne que Clavier, en bon helléniste qu'il était, n'ait point pensé à Argus, symbole d'une vigilance que tous les efforts des malfaiteurs tendent à mettre en défaut.

Un autre de nos contemporains, Nodier, peu porté, comme il le dit lui-même (14), à chercher des étymologies grecques aux mots qui paraissent anciennement naturalisés dans notre langue, rapporte l'opinion qui attribue au mot argot l'étymologie d'apyós, otiosus, qui veut que jargon

soit le même terme à peine modifié, et que baragouin soit fait de ßáw et d'apyós; après quoi, sans s'expliquer sur la valeur de cette opinion, il émet la sienne en ces termes : « On a dit autrefois narquin, un mendiant; narquois, le langage des narquins. La lettre n se rattache souvent aux voyelles initiales, et cette synthèse arrive souvent par son échange contre l'article apostrophé avec lequel elle se confond aisément : l'argot, nargot et narquois.

« Au reste, ajoute le même écrivain, il n'y a rien de plus douteux que ces étymologies si faciles à soutenir. Argot vient, peut-être, comme alfana vient d'equus, d'une origine bien plus éloignée, de zingano ou zingaro, bohémien. C'est le langage que ces aventuriers ont eux-mêmes appelé le zergo, contraction de zingaro, qui est tout à fait dans le goût de l'argot. De zergo nous aurions fait gergon. De là jargon, argot, et le reste (15).

Argot, selon M. Cousin, dut avoir le même sens qu'argutie. Pour ce mot, au xvio siècle, on disait argoterie, d'où ergoterie (16). L'exemple suivant, emprunté à une pièce de cette époque, semble donner un démenti à l'illustre philosophe :

S'il avoit bien seut nostre argot...

Il eust baisé la mere encore, etc.

(Ms. de mon cabinet, fol. 119 recto.)

Plus prudent que les autres lexicographes, Leroux s'est bien donné garde de se prononcer entre les diverses opinions relatives à l'étymologie du mot argot. Il se borne à dire que « c'est une espèce de baragouin que parlent à Paris les gueux, les laquais, les polissons, les décrotteurs entre eux. On appelle, ajoute-t-il, ce jargon le langage des gueux, parce qu'il leur est plus commun qu'aux autres (17). » Observons, à notre tour, qu'on lui a donné bien d'autres noms, entre autres ceux d'artis et de langage de Larty, qu'il avait déjà dans le xv1° siècle (18).

Roquefort, que nous citions tout à l'heure, distingue trois sortes d'argot: l'argot des gueux et mendiants, celui des voleurs et des filous, et celui des ouvriers. Il est permis de ne point adopter cette distinction. Quelque commisération que nous ayons pour les malheureux en proie à cette affreuse maladie désignée par maître François sous le nom de faulte d'argent, nous faisons, cher lecteur, très-peu de différence entre les mendiants et les voleurs qui exploitent nos grandes villes. Quand on demande l'aumône, on est bien près de l'exiger:

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